Couv_Loveless_Cat Fouin_Visuel 1 © Arnaud Bertereau Agence Mona - @loeildoliv

Loveless ou les confessions crues et intimes de putains révoltées

A la ferme du Buisson, Anne Buffet et Yann Dacosta mettent en scène Une vie de putain de Claude Jaget.

Répressions, taxations, violences d’Etat, font partie du quotidien de ces femmes qui louent leur corps pour survivre suite à un accident de vie, un événement singulier ou une incongruité de parcours. Loin de les stigmatiser, le journaliste Claude Jaget leur donne la parole dans un recueil de témoignages qu’Anne Buffet et Yann Dacosta ont bien du mal à faire entendre à trop dissocier fond et forme.

Sur un drap blanc qui sert de rideau, des images d’archives sont projetées. Véritable kaléidoscope d’une époque, les années 1970, ce séquençage introductif d’extraits télévisuels nous plonge dans le contexte social d’après mai 68. Certes, la sexualité s’est libérée, mais très vite la pudibonderie et la morale paternaliste a repris le dessus cantonnant l’épouse au foyer, la femme à un objet de désir et toute volonté d’émancipation au stade d’utopie à peine esquivée.

Loveless_Chat_Fouin © Arnaud Bertereau Agence Mona_@loeildoliv

Au ban de la société, les prostituées sont une cible facile. Faute la plupart du temps de pouvoir atteindre leurs proxénètes, les politiques répressives, qu’elles soient fiscales ou policières, s’abattent sur ces femmes, ces hommes, que la vie n’a pas épargnés, qu’un incident, qu’un concours de circonstances plus ou moins dramatiques a poussé vers la prostitution. Face à tant de violence physique, psychologique, un mouvement se lève. En juin 1975, les putains sacrifiées d’un monde hypocrite et faussement prude se révoltent occupant différents lieux saints à travers la France. Mais, c’est à Lyon, dans l’église de Saint-Nizier que tout a commencé. Une centaine de travailleu(rs)ses du sexe envahissent l’édifice religieux et durant une dizaine de jours, soutenues par le curé de la paroisse, la population, certaines associations catholiques et féministes, vont faire retentir leur parole, raconter leur histoire et ouvrir les yeux à une société encline à ne pas voir les laissés-pour-compte, les injustices.

Pour ne pas oublier, pour rappeler que finalement rien n’a changé, ou si peu, que le mépris est toujours de mise pour ceux dont la vie est différente, au-delà des normes imposées par une morale de petits bourgeois, Anne Buffet et Yann Dacosta ont souhaité revenir sur le combat de ces femmes, de ces hommes et faire retentir une nouvelle fois leurs paroles. S’appuyant sur le recueil de témoignages poignants et crus, Une vie de putain de Claude Jaget, édité en 1975, les deux metteurs en scène signent un spectacle perturbant, obscur et peu lisible qui nous laisse sur le carreau. Esthétiquement réussie, la scénographie de Fabien Persil nous emmène au cœur de cette église lyonnaise. Devant l’autel, sous le regard immaculé de la vierge, chacun des six prostituées (un homme et cinq femmes) prend à son tour la parole, conte son histoire, son parcours, énonce ses revendications. Là, où on aurait aimé sentir l’émulation de ces êtres révoltés, leur connivence, leur complicité, le temps de cette occupation de fortune, dépasser l’image d’Epinal de corps corsetés dans du skai et de la dentelle, on assiste malheureusement la plupart du temps à une succession décousue façon patchwork d’anecdotes allant du scabreux au sordide, du cri revanchard à la supplique chicanière.

Loveless_Cahat Fouin_Visuel 2 © Arnaud Bertereau Agence Mona_@loeildoliv

Si l’authenticité de ces confessions intimes fait le sel et l’intérêt du spectacle, si le jeu habité des comédiens donne un visage humain à ces exclus de la société, à ces travailleu(rs)ses du sexe, la sauce ne prend pas. Faute de véritable lien entre les êtres, entre les scènes, de parti-pris singuliers, le texte n’arrive pas à être transcendé, malgré une bande-son énergique et quelques moments de grâce où les corps fatigués s’abandonnent en danses lascives envoûtantes. On ressort de Loveless partagé entre l’envie féroce de porter haut ces paroles de femmes, d’hommes, de putains et l’impression, un brin agacée, d’un gâchis. Dommage !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Loveless_Chat_Fouin_@loeildoliv

d’après Une vie de putain de Claude Jaget
La Ferme du Buisson – Scène Nationale de Marne La Vallée
Allée de la Ferme
77186 Noisiel
Du 20 au 22 novembre 2017

Les Célestins – Théâtre de la ville de Lyon
4 Rue Charles Dullin
69002 Lyon
du 14 au 24 mars 2018
durée 1h30

Conception, adaptation et mise en scène d’Anne Buffet et d’Yann Dacosta assistés de Lucile Roullet
Avec Anne Buffet, Jade Collinet, Rebecca Chaillon, Julien Cussonneau, Marie Petiot & Susanne Schmidt
Chorégraphie de Stéphanie Chêne
Lumières de Jean-François Lelong
Scénographie de Fabien Persil
Costumes de Corinne Lejeune
Compagnie du Chat Foin

Crédit photo © Arnaud Bertereau – Agence Mona

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