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Christophe Montenez, la jeune et fougueuse garde du Français

Révélation Des Damnés, qui signait le grand retour de la Comédie Française au Festival d'Avignon, Christophe Montenez est une étoile montante du théâtre.

Regard clair, voix légèrement fêlée, le timide Christophe Montenez est un jeune homme pressé. En tournage le jour, il joue tous les soirs au Studio de la Comédie-Française dans Comme une pierre qui…. Véritable révélation de la maison de Molière, après le succès mérité des Damnés, le temps d’un verre, en terrasse d’un café parisien, il nous raconte sa vie d’artiste, sa passion du théâtre.

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Silhouette svelte, tout de noir vêtue, le jeune pensionnaire de la Comédie-Française semble encore habité par le personnage d’Al Kooper, le bassiste qui enregistrait au côté de Bob Dylan la fameuse chanson fleuve Like a rolling stone, quand nous le retrouvons non loin du Louvre. Passionné par ce métier, ce Parisien, né en 1988, a grandi loin de la capitale et de son effervescence. Il est tout jeune, quand son père, employé de banque, est muté à deux pas de la célèbre ville rose, à Saint-Sulpice-La-Pointe. « Réservé et timide face aux autres enfants de mon âge, se souvient-il, j’ai su très tôt ce que je souhaitais faire dans la vie, tennisman ou écrivain. Finalement, je me suis passionné pour le théâtre. J’avais cette envie de partager des choses avec les autres, de faire partie d’une entité. J’ai donc demandé à mes parents de m’inscrire aux cours de la MJC du village. C’était une première expérience passionnante. On faisait beaucoup d’improvisations. Cela m’a libéré, m’a permis de m’exprimer. Ce fut une vraie révélation. »

Le théâtre, une passion d’enfance

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Cette première incursion dans le monde du théâtre, a donné à Christophe Montenez, le goût de la scène, du jeu. Fort de cette première expérience, il continue, en parallèle à ses études à la fac de lettres de Toulouse, à prendre des cours de comédie. « C’était viscéral pour moi, explique-t-il, j’avais besoin d’échanger avec d’autres, d’être sur les planches. Pourtant, j’ai longtemps hésité avant de passer le concours pour intégrer le Conservatoire à rayonnement régional de Toulouse. J’ai envoyé mon dossier au dernier moment, presque sur un coup de tête. Avec le recul, je me dis que je ne devais pas y croire, que ce genre de parcours n’était pas pour moi, que je n’étais peut-être pas légitime. J’ai n’ai jamais eu de plan de carrière. Les choses se sont faites naturellement. J’ai été admis et j’ai pu suivre les cours de Francis Azéma. Comme quoi, cela tient finalement à peu de chose. »

Loin d’être un professeur comme les autres, le metteur en scène et comédien toulousain devient une sorte de mentor pour Christophe Montenez. Son approche du théâtre a un écho tout particulier pour le jeune homme. Il se reconnaît dans sa manière singulière et intime d’aborder le métier de comédien. « Il m’a offert un idéal, se rappelle-t-il avec une certaine émotion. Il m’a permis d’avoir foi en quelque chose. Pour la première fois, je me sentais à ma place, en tout cas, là où il me semblait que j’étais utile. Il m’a appris à sacraliser un endroit, à faire de la scène, de ce métier, un autel, une église, où mes craintes, mes doutes s’apaisaient. Je crois que je l’écoutais un peu comme un gourou. Francis Azéma avait, a toujoursd’ailleurs l’art de faire ressortir la magie et le mysticisme de l’art théâtral, de nous pousser à être curieux de tout. Jouant sur les émotions et les sentiments, sa méthode d’apprentissage est assez proche de celle de l’Actor Studio. À l’époque, j’étais un être fébrile, un peu dépressif, il m’a offert une porte de sortie, une manière de m’exprimer différemment. » Totalement investi dans les cours qu’il suit, le jeune comédien se passionne pour les textes classiques. Il se plonge dans la lecture des grandes pièces du répertoire. « C’était une nécessité, se souvient-il. J’étais curieux, j’avais besoin de comprendre. J’avais aussi ce besoin de communier avec d’autres. C’était important pour moi de partager mes réflexions, mes expériences. C’est cela, aussi, le théâtre, se rassembler autour de quelque chose de vivant, de chair, de sueur et de sang. L’immédiateté de cet art en fait, sa richesse, sa fragilité, son unicité. »

Une école en bord de Garonne

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Après deux années passées au conservatoire de Toulouse, il continue sa collaboration avec Francis Azèma au sein du théâtre du Pavé. Devenu intermittent, il enchaîne les expériences avec d’autres artistes de sa promotion, comme Sébastien Bournac, devenu depuis directeur du théâtre toulousain Sorano. « Je n’avais pas encore 20 ans, raconte-t-il, je me posais beaucoup de questions sur mon avenir. Est-ce que je devais rester à Toulouse pour faire mon trou ou tenter ma chance ailleurs ? Malgré mon amour pour la ville rose, je n’avais pas envie d’avoir des regrets, j’ai donc décidé de tenter plusieurs concours de conservatoires nationaux, l’Ensatt, Limoges, Paris, Strasbourg, etc. J’ai finalement choisi Bordeaux. C’était une vraie opportunité. L’école venait d’ouvrir. L’équipe pédagogique avait envie d’innover et de créer avec nous, les élèves, le programme. C’était plein de promesses, d’autant que la promotion était composée d’artistes en devenir, curieux et travailleurs. Par ailleurs, le fait d’étudier au cœur d’un théâtre m’a permis de découvrir tous les corps de métier qui agissent dans l’ombre. On n’était pas coupé du reste du monde, on participait à la vie de la structure en étant ouvreur, si on le souhaitait bien sûr. » Trois années ont passé. Le jeune comédien a pu faire ses armes et s’est entouré d’une bande d’amis avec laquelle il a créé un collectif d’artistes baptisés Les bâtards dorés.

À la fin du cursus bordelais, chaque élève doit présenter une carte blanche. L’occasion pour chacun de monter un texte écrit par leurs soins. « Je me suis inspiré d’un conte de mon enfance, Le Petit Poucet, explique Christophe Montenez. J’ai toujours été fasciné par la filialité, le rapport aux parents, le déterminisme. L’histoire de cet enfant cristallise tout ce que l’on peut imaginer sur l’abandon, la jeunesse sacrifiée. Ne pouvant travailler seul, j’ai eu la chance d’avoir sur mon travail le regard d’un de mes condisciples ça a été très formateur. Le spectacle a plu. C’est grâce à lui que je me suis fait remarquer par le metteur en scène Yann Joël Collin. »

Un début de carrière sur les chapeaux de roue

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Après ce coup de foudre professionnel, tout s’enchaîne très vite pour le jeune comédien. Choisi pour jouer en 2013 Monsieur Moulineau, le personnage principal de Tailleur pour dames dans la trilogie Machine Feydeau que monte Yann Joël Collin autour du célèbre auteur de boulevard pour le théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, il fait sensation. « Le spectacle a eu un beau succès, se souvient-il, nous étions une douzaine sur scène. C’est à cette occasion que Galin Stoev m’a vu jouer. Il était en pleine préparation du casting pour sa nouvelle création, Liliom. Apparemment, j’ai su captiver son attention, car il a souhaité m’engager pour interpréter plusieurs petits rôles dont celui de la vieille Madame Hollinger. Ce fut une très belle expérience, une belle communion d’idées, de partage. En tant qu’acteur, j’aime ce type de rôle où l’on doit composer en se grimant, s’appuyant sur un tic, une démarche, une prononciation particulière, un trait singulier. Cela m’aide à construire mon personnage. »

Cette rencontre avec le metteur en scène bulgare a été déterminante pour la suite de sa carrière, car elle lui ouvre les portes du Français. « Nous avons bâti, au fil des répétitions et des représentations, une vraie amitié, explique-t-il. C’est donc tout naturellement, quand on lui a offert de monter Tartuffe à la Comédie-Française, qu’il a proposé à Murielle Mayette-Hotlz de me rencontrer, car il souhaitait que je fasse partie de l’aventure. Tout est allé très vite, elle est venue voir Liliom, m’a rencontré et m’a fait entrer en 2014 dans la maison de Molière. » Loin d’avoir la grosse tête, le jeune pensionnaire garde les pieds sur terre. Venant d’un milieu modeste, il apprécie sa chance, mais n’est pas carriériste pour autant. Il se laisse porter par le hasard, les rencontres. « Je suis très reconnaissant à Murielle, se confie-t-il. Elle a permis de renouveler ingénieusement la troupe, de lui donner du sang neuf. Mais l’arrivée d’Eric Ruf a été une vraie bénédiction pour le renouveau du Français. Avec virtuosité, ce grand connaisseur des lieux arrive à modifier l’image de la maison de Molière, tout en en préservant l’essence. Loin d’une muséographie du théâtre, il mêle avec habileté textes classiques et contemporains, mise en scène innovante et plus dans la tradition de l’établissement. Sa grande force, c’est de faire partie du sérail depuis un moment, car il faut du temps pour en connaître les mécanismes et les recoins. Cela fait trois ans que j’y suis entré et je m’y perds encore. Si son fonctionnement peut paraître cruel de l’extérieur, il est incroyablement moderne. La preuve, la bâtisse tient le coup depuis 1680. »

La révélation des Damnés

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Considéré comme l’un des petits jeunes de la troupe, Christophe Montenez fait son nid, petit à petit. Enchainant les petits rôles, que ce soit dans Lucrèce Borgia, mis en scène par Denis Podalydès, ou Les Rustres par Jean-Louis Benoit, il fait sensation en Al Kooper dans Comme une pierre quimis en scène par Marie Rémond et Sébastien Poudouroux, qu’il reprend actuellement au studio de la Comédie-Française. Puis c’est la consécration avec Les Damnés mis en scène par Ivo van Hove, d’après le scénario du film de Luchino Visconti, donné dans la cour d’honneur du Palais des Papes à l’occasion du 70ème Festival d’Avignon. « Collaborer avec Ivo, raconte-t-il, a été très formateur et passionnant. Il nous a bousculés, mais avec beaucoup d’intelligence, nous a permis d’évoluer. Il travaille dans l’urgence, la rapidité. C’est un homme de peu de mots. Nous avons monté la pièce en 3 semaines. Il ne se perd pas dans des détails inutiles, il va à l’essentiel. Quand il est arrivé le premier jour, il savait déjà ce qu’il voulait, il avait déjà une vision de ce qu’il souhaitait. Le jeu fait parti d’un tout, d’une machine théâtre ou chaque élément à son importance. Il donne confiance aux comédiens, sans pour autant les sacraliser. On est juste les éléments d’un tout. Il guide sans être dirigiste. Cette façon de créer me correspond. Il a les yeux partout, son regard est panoramique. » Pour Christophe Montenez, l’expérience a été enrichissante et éprouvante. L’été avignonnais fut particulièrement capricieux. « Il y a des jours, se souvient-il, on a cru crever de froid. On grelottait, on était dans un état proche de l’hystérie tant les éléments semblaient se déchaîner contre nous. Étrangement, cela renforçait la tension inhérente à cette tragédie des temps modernes, à ce mythe antique réinventé. »

Un collectif en sus

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En tant que pensionnaire de la Comédie-Française, Christophe Montenez a bien du mal à être présent pour soutenir le collectif Les Bâtards dorés qu’il a créé à la sortie de l’école nationale de théâtre de Bordeaux. Angoissé, anxieux, le jeune comédien a bien du mal à travailler seul. Il a ce besoin viscéral de communier, d’avoir un regard extérieur, il met donc un point d’honneur à toujours être présent quand les autres ont besoin de lui. Il n’exclut pas, d’ailleurs, si son emploi du temps lui permet, de se mettre en retrait quelque temps du Français et ainsi, participer plus activement à la prochaine création. « C’était important pour moi, explique-t-il, d’avoir une structure où je pouvais m’exprimer librement, où nous pouvions tous avoir la possibilité de faire ce que l’on voulait, tant que tout restait authentique. C’est pour ça qu’avec Lisa Hourd, Romain Grard de Bordeaux, Jules Sagot et Manuel Severi de Toulouse, nous avons fondé les Bâtards dorés. Nous avons choisi ce nom, car quelque part, nous nous sentions illégitimes, mais avec la volonté de reconnaissance. C’est très Dostoïevskien comme définition. Et dorés, parce que même si nous venions de milieux plutôt modestes, nous avons tous eu une enfance plutôt heureuse, nous faisons partie d’une jeunesse dorée. C’est comme une seconde famille où tout est permis. » S’investissant tous dans le collectif, ils ont déjà produit deux spectacles dont ils sont les auteurs, les comédiens et les metteurs en scène. Le premier, Princes, est une adaptation de L’idiot de Dostoïevski, qui s’articule autour des personnages principaux du roman, et le second, Méduse, qui a été joué il y a quelques mois à Cergy-Pontoise, notamment, est directement inspiré des écrits de Jean Baptiste Savigny et d’Alexandre Corréard, deux survivants du naufrage de la Méduse.

Un homme de théâtre

Petit-maitre-corrigé-©©-Vincent-Pontet_coll-Comédie-Française_@loeildoliv

Passionné par son métier, Christophe Montenez se nourrit autant de ses expériences que de ce qu’il voit, ce qu’il lit. « Un des premiers spectacles qui m’a marqué, se rappelle-t-il, c’est la revisite d’Hamlet par Vincent Macaigne, Au moins, j’aurais laissé un beau cadavre. Ce qu’il a fait de la pièce de Shakespeare est hallucinant. C’est à la fois complètement barré et en même temps, il permet une communion totale entre lui et les spectateurs. C’est fascinant, humain. L’autre moment de théâtre qui a nourri mon travail et formé mon jeu, c’est la trilogie de Wajdi Mouawad que j’ai vue à Avignon dans la cour du Palais des Papes. C’est un spectacle généreux et fédérateur. Tout est beau, intense, vibrant. On n’en ressort pas indemne. On se laisse totalement happer par les émotions de cette tragédie contemporaine. » Par ailleurs, le jeune comédien est très à l’écoute du public qui est un des éléments fondateurs et nécessaires du théâtre. « Pour moi, l’art vivant, explique-t-il, doit rester une communion entre les êtres. C’est une interaction permanente entre la scène et la salle. Ainsi, chaque représentation est unique, différente. C’est cette immédiateté du théâtre que j’aime, d’ailleurs. On sait tout de suite si le courant passe entre comédiens et spectateurs. C’est tellement riche, tellement palpable. Cela nous forge au quotidien. »

Un avenir radieux

Les-Damnes_Ivo_von_hove_Montenez_Avignon_Comedie_Francaise_©Christophe_Raynaud_de_Lage_@loeildoliv

Secret, timide, Christophe Montenez a besoin de déposer sur le papier ses émotions. Ainsi depuis le lycée, il écrit régulièrement de courts textes où il se livre, et évacue tension et stress accumulés. « Cela me fait du bien psychologiquement, souligne-t-il, c’est comme un exutoire à mes peurs, à mes doutes, à mes angoisses. Cela me libère. Mais pour l’instant, je n’ai pas encore de matière pour écrire une pièce, et puis, j’ai toujours besoin d’un regard extérieur. Le jour où je serai prêt, je suis persuadé que je le ferai en duo avec une personne en qui j’ai totalement confiance. » Si, pour l’instant, ce rêve d’enfant de devenir écrivain est en suspens, les ors de la salle Richelieu attendent notre jeune pensionnaire pour une saison 2017/2018 riche en surprises. En avril prochain, le jeune homme se glissera dans la peau de Moritz, un personnage qui le fascine, l’un des héros de L’éveil du printemps que mettra en scène Clément Hervieu-Léger en avril 2018. En attendant, il est toujours à l’affiche du studio et reprendra son rôle de Martin, fils dégénéré de la famille Essenbeck, dans la reprise des Damnés, en septembre prochain.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Crédit portrait © Stéphane Lavoué, Coll. Comédie-Française / crédit photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française, © Elisabeth Carrechio, © Christophe Raynaud de Lage & © Jan Versweyveld

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