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Vera, une satire grinçante et caricaturale du libéralisme

Au théâtre des Abbesses, Karin Viard campe Vera, une ogresse capitaliste des temps moderne.

Dans un monde perverti par l’ultralibéralisme, l’ambitieuse Vera écrase d’un revers de la main dédaigneux quiconque tenterait de lui barrer la route vers le zénith. Trébuchant sur la dernière marche, elle sera broyée par le système qui l’a portée aux nues. Malgré la présence lumineuse de Karin Viard, la satire grinçante de Petr Zelenka vire à la parodie burlesque, voire à la sitcom. Dommage.

Une lumière froide, clinique éclaire le devant de scène, transformée pour l’heure en un étrange et hostile couloir. Alors que côté jardin, un chariot transportant un corps sans vie, caché sous un drap blanc, fait son entrée, une femme, cintrée dans un élégant manteau noir, sort d’un ascenseur. Affairée, elle se demande bien ce qu’elle fait dans cet endroit glauque et déprimant.

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Directrice d’une agence de casting à Prague, l’arriviste Vera (éblouissante Karin Viard) est la dernière personne que l’actrice « has been » a appelée en vain avant de se suicider. C’est ainsi dans le monde de cette working girl blonde et hypersophistiquée. Un jour, tu as tout, le lendemain, tu n’as plus rien. Intelligente, cynique, retors, Vera est une maîtresse femme ayant su profiter du libéralisme débridé que la chute du communisme a permis. Femme sans cœur, prête à tout même à sacrifier sa propre nièce pour calmer les ardeurs d’un comédien névrosé. Seul son père a un peu grâce à ses yeux. Avide de pouvoir, elle vendra son âme, ses principes, abandonnera toute déontologie à des loups anglais bien plus coriaces qu’elle.

Un jour, la machine s’enraille. Le système, qui l’a mené jusqu’au sommet d’une société que le capitalisme exacerbé a pourri, va la rejeter dans les nimbes, au plus profond de l’abîme. Loin de se laisser abattre, sans jamais se remettre en question, Vera l’arrogante, la flamboyante, reste la même dans la gloire comme dans la déchéance. Insoumise, dominatrice, elle garde sa hautaine morgue jusqu’à devenir une caricature d’elle-même.

Et c’est précisément dans cette monotonie de jeu qu’achoppe la mise en scène tourbillonnante d’Elise Vigier et de Marcial Di Fonzo Bo. Si l’on se délecte un temps du texte noir de Petr Zelenka, cyniquement adapté par Pierre Notte, très vite, les effets de style – écrans vidéo dévoilant images dérobées ou photos d’enfance de la comédienne, chansonnette façon comédie musicale, changement de décor à vue grâce à l’ingénieuse et virevoltante scénographie de Marc Lainé, etc. – lassent et finissent par brouiller la lecture de cette tragi-comédie simpliste, cette fable satirique. Quelques maladresses, quelques baisses de régime, viennent enrayer la dynamique rythmique et rendent l’ensemble un brin « tiré par les cheveux, un brin hystérique.

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En faisant le portrait de cette Miranda Priestly tchèque, Petr Zelenka dénonce avec un humour grinçant l’état de son pays laminé par le libéralisme effréné qui s’est développé après la chute du communisme. Il dépeint une société corrompue par le pouvoir et l’argent, une élite méprisante et odieuse qui écrase sans sourcilier leurs congénères, ceux qui n’ont pas les armes pour lutter contre ce rouleau compresseur, ou ceux comme Véra qui n’ont pas su prévoir leur vertigineuse chute. Composée de saynètes, dont certaines sont superflues tant elles alourdissent le propos, déjà peu subtil, la pièce oscille entre le film documentaire marquant les différentes étapes menant à l’abyssale déchéance de cette cruelle et froide héroïne et la comédie de boulevard burlesque. Ce mélange des genres, trop marqué, décevra une partie du public, dont je suis.

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Heureusement, la présence radieuse de Karin Viard donne un peu de finesse à l’ensemble. Flamboyante et cruellement drôle en working girl sexy, pathétique et excessive en looseuse clocharde, elle est le joyau incontesté de cette pièce bancale. A ses côtés, Helena Noguerra, épatante dans les multiples personnages qu’elle incarne, brille d’un feu certes plus discret mais, joue habilement sur des registres plus variés. Pierre Maillet est impayable en photographe excité, hilarant déguisé en directrice d’établissement de santé au bord de la crise de nerfs. Lou Valentini et Rodolfo de Souza sont tout en sobriété. Enfin, Marcial Di Fonzo Bo incarne avec fougue le comédien maudit et névrosé, même s’il se perd parfois dans des digressions hystériques.

Si l’on est un peu chagriné que cette satire politique flirte un peu trop avec le genre sitcom, on se laisse happer par le jeu éclatant d’une Karin Viard magistrale.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Vera de Petr Zelenka
Théâtre de la Ville – théâtre des Abbesses
31, Rue des Abbesses
75018 Paris
Jusqu’au 8 avril 2017
Du lundi au samedi 20H30 et le dimanche 15 h.
Durée 1h50

reprise au Théâtre de Paris
15, Rue Blanche
75009 Paris
jusqu’au 25 mars 2018
Du mardi au samedi à 20h30 let les dimanches à 15h30

traduit du tchèque par Alena Sluneckova
version pour la scène de Pierre Notte
mise en scène d’Élise Vigier et de Marcial Di Fonzo Bo assistés d’Alexis Lameda
avec Karin Viard, Helena Noguerra, Lou Valentini, Pierre Maillet, Marcial Di Fonzo Bo et Rodolfo De Souza
décor de Marc Lainé, Stephan Zimmerli
costumes d’Anne Schotte
maquillage & perruques de Cécile Kretschmar
images de Nicolas Mesdom, de Romain Tanguy et de Quentin Vigier
décor ont été construit par les ateliers de la Comédie de Caen

Crédit photos © Tristan Jeanne Valès

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