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Polina, danser sa vie … parcours initiatique entre passion et rage  

Valérie Müller et Angelin Preljocaj adaptent sur grand écran le bande-dessinée éponyme de Bastien Vivès.

Le charme de Polina est insidieux, lent. Il opère sur le long cours, tout comme celui du personnage principal dont on suit le parcours initiatique et chaotique dans l’univers fermé de la danse. Âpre, froide, presque rigide, l’œuvre se libère, l’image s’affranchit de codes stricts, de carcans trop classiques pour épouser les corps, les visages et les mouvements chorégraphiques contemporains. La moue revêche, capricieuse, de la jeune danseuse qui exaspère, se mue en regard de braise, sourire lumineux quand enfin, elle s’extirpe avec douleur de sa chrysalide de principes et de préjugés. Suivant avec un intérêt croisant le chemin semé d’embûches de l’héroïne, on est littéralement séduit par les magnifiques chorégraphies imaginées par un Angelin Prejlocaj particulièrement inspiré.

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La neige recouvre le paysage et éclaire les grands immeubles gris de la triste banlieue moscovite. Une femme tire derrière elle sa petite fille qui traîne les pieds. C’est un jour particulier. Dans un bâtiment décati, au charme suranné des siècles passés, a lieu l’audition pour intégrer la prestigieuse école de danse du maître de ballet Bojinski (épatant Aleksei Guskov), qui n’est autre que la principale porte d’entrée pour le Bolchoï.
Mal à l’aise, un peu gauche, la jeune Polina s’exécute, attire le regard du maître et entre dans l‘antichambre du saint des saints russe de la danse. S’adaptant tant bien que mal à la discipline de fer qui règne dans l’établissement, souffrant les reproches, acceptant les remontrances, son visage se ferme. Têtue, incomprise, capricieuse et intransigeante, Polina devient petit à petit une jeune fille âpre, rugueuse, difficilement abordable. Résistante autant que fragile, la joie ne semble éclairer son visage que lorsque seule, arpentant les chemins neigeux qui la ramènent au domicile familial, elle donne libre cours à son imagination et invente des petites chorégraphies, loin de toute contrainte. Sombre, taciturne, elle grandit dans un monde qui l’enferme, qui la bride.

Jeune femme, Polina (épatante Anastasia Shevtzoda) n’attire guère la sympathie. Son caractère trempé, sa personnalité qui ne demande qu’à s’épanouir, séduisent Adrien (intense et ténébreux Niels Schneider), un jeune danseur français venu découvrir les coulisses de l’avant Bolchoï.

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Partagée entre la pression parentale et ses propres envies, tiraillée entre l’espoir d’une vie meilleure que sa famille a posé sur ses épaules et son désir de vivre enfin, la jeune femme semble un peu perdue. La découverte de la danse contemporaine va agir sur elle comme un déclic et entraîner une profonde remise en cause. Sans penser à demain, elle quitte la Russie pour le sud de la France, laissant derrière elle parents, danse classique, et vie toute tracée, Polina auditionne pour intégrer la troupe d’une chorégraphe en vue (fascinante Juliette Binoche). Commence alors pour la jeune femme une vie d’errance, de doute et de culpabilité. prisonnière d’une éducation stricte, rongée par le refus d’échouer, elle perd pied. Mais ces épreuves, ces embûches ces obstacles qui vont l’emmener d’Aix-en-Provence à Anvers, ne sont-ils pas nécessaires pour lui révéler qui elle est vraiment ?

S’inspirant de la bande-dessinée éponyme et filmant au plus près des visages, des corps et des mouvements, Valérie Müller et Angelin Preljocaj esquissent le portrait d’une jeune femme écartelée entre tradition et modernisme, entre servitude et émancipation. Avec lucidité et acuité, ils scrutent le monde d’exigence qu’est la danse sans jamais tomber dans les clichés. Surfant sur les a priori et les idées reçues, ils s’attachent aux pas de Polina et nous entraînent au cœur de sa construction émotionnelle et psychologique. Ainsi, otage de cette œuvre intense à l’esthétisme épuré, on est tout à bord ému par l’enfant, puis exaspéré par la jeune fille, avant d’être totalement subjugué par la femme artiste en devenir. Si certaines scènes déroutent et alourdissent le propos, les chorégraphies d’Angelin Prejlocaj ravivent notre intérêt, bouleversent et nous touchent en plein cœur.

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Si on se laisse prendre au charme slave et à la finesse des pas de la jolie Anastasia Shevtzoda, ce sont surtout les autres comédiens qui fascinent et envoûtent. Juliette Binoche incarne avec une douceur presque maternelle cette chorégraphe renommée et exigeante, pendant féminin de Preljocaj. De son sourire ravageur et de son jeu au cordeau, Niels Schneider donne du coffre et de l’intensité au personnage d’Adrien, et pour ses premiers pas en tant que danseur, se révèle un interprète fort convaincant. Mais c’est surtout Jéremie Bélingard qui illumine ce long métrage. Danseur étoile à l’Opéra de Paris, il offre à son personnage une force animale. Totalement investi dans son rôle, il lève avec lui nos dernières réticences et nous entraîne dans son sillage jusqu’au poétique et époustouflant ballet final.

Malgré quelques défauts, quelques maladresses et quelques longueurs, Polina – danser sa vie, est, à n’en pas douter, un film de bonne facture, qui offre un bel écrin à la danse, lui rendant une de ses essences premières :  véhiculer des émotions.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Polina, danser sa vie de Valérie Müller et d’Angelin Preljocaj
D’après la Bande-dessinée éponyme de Bastien Vivès.
Avec Anastasia Shevtzoda, Juliette Binoche, Niels Schneider, Aleksei Guskov, Miglen Mirtchev et Jéremie Bélingard
sortie prévue le 16 novembre 2016

Crédit photos © Carole Bethuel / Everybody on Desk

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