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Un amour qui ne finit pas, boulevard fantasmagorique absolument délicieux

Au Théâtre Antoine, Michel Fau fait revivre Un amour qui ne finit pas, un boulevard signé André Roussin.

En sortant de l’oubli de vieux Boulevards poussiéreux, Michel Fau leur donne un second souffle et enchante le public. Mêlant son univers lunaire à celui comique et grinçant de la comédie d’André Roussin, il signe, une nouvelle fois, un spectacle léger, drôle et mélancolique où le couple bourgeois est égratigné avec une once de gentille moquerie et une pincée de sombre pessimisme. Accompagné de trois excellents comédiens, il entraîne la salle dans un tourbillon sombre et joyeux qui amuse et illumine… Une comédie noire à savourer sans tarder.

Le rideau se lève sur une scène nue et tronquée. Une toile bucolique représentant un paisible paysage – une gentilhommière au bord d’un lac, entourée de verdure luxuriante – en cache l’arrière. En peignoir, un homme et une femme se font face. On est à Divonne, au cœur d’un établissement thermal. Les deux curistes sont en grande discussion. Lui, c’est Jean (fascinant et lunaire Michel Fau), un négociant en caoutchouc, désabusé, qui rêve d’un amour idéal et éternel. Elle, c’est Juliette (lumineuse Pascale Arbillot), femme au foyer, épouse fidèle et amoureuse. Charmé par cette charmante compagne, l’homme, lassé des aventures extraconjugales et des amours de passage qui ne durent pas, lui propose une étrange relation : un amour à sens unique, sans aucune réciprocité, exclusivement platonique et épistolaire. Étonnée par cette singulière demande, la jeune femme accepte à condition que son mari soit dans la confidence et qu’elle n’ait pas à répondre aux lettres quotidiennes où l’homme se plait à imaginer, fantasmer leur vie commune loin de la banalité, de l’érosion des sentiments.

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Si le jeu amuse Juliette qui se délecte des missives enamourées et poétiques, il n’est pas du tout du goût de son mari Roger (Volcanique Pierre Cassignard), qui en prend vite ombrage. Décidé à faire cesser cette liaison fictive qu’il pense malsaine, il décide de rendre l’abondante correspondance à son propriétaire. Ce dernier étant absence, c’est à Germaine (hystérique et épatante Léa Drucker), la femme de Jean, qu’il donne l’étrange colis. Possessive et névrosée, mégère des beaux quartiers, cette dernière semble peu encline à passer ce caprice à son rêveur de mari.

Dans un décor astucieusement divisé en deux salons jumeaux qui se font face. L’un étant le négatif de l’autre : l’un est à dominante noire, l’autre blanche. Il en est de même pour les deux couples. Jean et Germaine représentent le couple bourgeois par excellence, pétri de principes et enfermé dans sa monotonie. Lui est un dragueur invétéré rêvant d’absolu. Lassé des passades sans lendemain, il cherche un amour qui ne finisse pas, un amour où le physique est absent. Elle est une manipulatrice retorse, qui passe sur les écarts conjugaux de son mari, si celui si lui revient. Habillée en tailleur Chanel, cheveux savamment choucroutés, sourire carnassier, elle fera tout pour détruire dans l’œuf la nouvelle utopie de son tendre époux. En opposition, Juliette et Roger incarnent le couple uni, moderne issu d’une bourgeoisie moins conventionnelle et plus ouverte. Elle est douce, humaine, évaporée. Bottes hautes et tenue Courrèges, elle se laisse séduire par les lettres de son faux amant. Lui, bourru et terriblement jaloux, se révèle plus propriétaire qu’amoureux.

En tirant de l’oubli cette farce noire, féroce d’André Roussin, qui fustige le mariage et l’amour bourgeois, qui brocarde l’incapacité de l’homme à être seul, Michel Fau esquisse une pièce drôle et mélancolique, décalée et burlesque. Sa mise en scène ciselée et précise magnifie le boulevard et lui rend ses lettres de noblesse. Gommant la misogynie, rehaussant le texte de pépites scénographiques, il se délecte à orchestrer cette comédie douce amère, riche de réparties cinglantes et de répliques qui font mouche, et s’amuse à diriger une troupe d’excellents comédiens.

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Léa Drucker, en tête, fascine. Féline, explosive, elle campe avec délectation une mégère hystérique au bord de la crise de nerfs. Machiavel en jupons, calculatrice froide, elle manœuvre son petit monde pour arriver à ses fins : garder son coureur de mari sous sa coupe. Pascale Arbillot illumine la scène. Elle se glisse avec grâce dans la peau de cette femme éprise de romantisme qui se brûlera les ailes à trop vouloir approcher les chimères de l’amour. Pierre Cassignard est un véritable volcan. Il incarne avec virtuosité cet homme imbu de lui même et de ses prérogatives qui vacille au premier coup d’estoc fait à son mariage. Colérique, il se laisse berner et fini par perdre sa superbe. Enfin, Michel Fau, toujours décalé, interprète avec dextérité cet homme cynique et rêveur. Clown sombre et lunaire, il distille de sa voix si particulière les bons mots et les mots d’esprits… jubilatoire !…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Un amour qui ne finit pas d’André Roussin
Théâtre Antoine
14 Boulevard de Strasbourg
75010 Paris

jusqu’au 8 juillet 2016
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 16h.
Durée 1h40

Mise en scène Michel Fau
Avec Michel Fau, Léa Drucker, Pascale Arbillot, Pierre Cassignard, Audrey Langle, Philippe Etesse.
Décors Bernard Fau
Costumes David Belugou
Lumières Joël Fabing
Maquillages Pascale Fau

Crédit photos © Marcel Hartmann

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