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Pavillon noir, à l’abordage tout feu tout flamme du net et de ses dérives

Au TnBA, les collectifs Os'o et Traverse surfe sur le web pour mieux en appréhender les contours qu'ils soient bon ou mauvais.

Le verbe haut, le pavillon hissé au grand mât, les pirates du collectif Os’o s’associent pour le meilleur aux flibustiers du collectif Traverse et s’arment d’humour, de dérision et d’une sacrée dose de talent, pour partir à l’assaut de la toile et du numérique. Prenant à rebours la technologie qui est leur de matière première, ils signent un spectacle drôle, intelligent et délirant. Brillant !

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Comme dans toutes salles de spectacles, une ouvreuse (hilarante Bess Davies) vient nous rappeler les règles de bienséances et tout particulièrement d’éteindre notre satané portable. Un brin hystérique, un poil parano, elle se lance dans une diatribe furieusement drôle fustigeant les méfaits de ces « joujous » technologiques, véritables espions de nos vies et facilement piratables. C’est le point départ d’une course folle, d’un voyage fantastique, étourdissant au cœur du web. Nous saturant d’informations, les membres du collectif Os’o prennent possession de nos cerveaux, comme les pop-up, les fils d’actualités, les virus s’emparent de nos ordinateurs. Multipliant les références, les clins d’œil avec gourmandise, auto -dérision, ils s’amusent de nos doutes, de nos interrogations.

Au-delà de saynètes drolatiques, des insertions loufoques, grand-guignolesques – les tutos Ralph & Zoé sont un modèle du genre, hilarant – , le collectif d’auteurs Traverse s’inspire d’expériences autant positives que négatives qui alimentent l’histoire du net. Ainsi, Aaron Swartz, cet Américain qui rêvait de rendre ,via la toile, le savoir accessible gratuitement à tous, devient sous leur plume, Anja Gavrilin (irradiante Marion Lambert), une Kazakh qu’un groupe de hackers tente d’exfiltrer vers la Russie. Le procès avorté ce hacker d’Outre-Altantique, suite à son suicide à 26 ans, nourrit celui imaginaire d’un autre idéaliste (ténébreux Jérémy Barbier d’Hiver) qui sans s’en rendre compte à créer le plus grand réseau de vente de drogues utilisant le bitcoin, monnaie intraçable, via le darkweb. Des « Zadistes » en herbe, opposés à l’installation d’un aéroport à Notre-dame des Landes, rêvant d’un monde où les informations ne seraient pas manipulées, se font tracer via leur adresse IP par la police Rennaise. Un jeune génie de l’informatique syrien (bouleversant Moustafa Benaïbout) souhaite sauver l’antique cité de Palmyre numériquement, alors aux mains de DAESH qui la ronge, la détruit. Par touche, mêlant les destins de vie façon zapping, le texte écrit à quatorze mains brosse le portrait en clair-obscur de cet univers technologique qui a, en moins de 20 ans, envahit nos vies. Passant du rire aux larmes, ce conte moderne captive, enchante et réveille nos esprits les forçant à s’interroger sur cette existence dépendante du virtuel, du net, des téléphones portables.

Pavillon-noir_TBNA_collectif-Oso_collectif-traverse_©-Frédéric-Desmesure_PN_3_@loeildoliv

Si quelques longueurs de-ci de-là alourdissent un peu le dense et riche propos, que le temps devrait gommer rapidement, la présence scénique lumineuse, le jeu époustouflant des membres du collectif Os’o charme et ensorcèle. Chacun dans son registre sait parfaitement attraper nos attentions et habiter les différents personnages qu’il interprète qu’il soit une métadonnée, un terroriste du web, une riche héritière, ou un pirate tout droit sortie du XVIIe siècle. Jérémy Barbier d’Hiver, Moustafa Benaïbout, Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Marion Lambert et Tom Linton sont le sel, la force de cette pièce monstre, de cette fable ingénieuse qui questionne nos fantasmes, nos peurs face à la pieuvre qu’est le web. Un moment de théâtre à l’ancienne époustouflant qui use et abuse avec virtuosité des plus simples artifices sans tomber dans la facilité d’effets trop technologiques. Une farce noire, une histoire de pirates d’aujourd’hui qui touche en plein cœur à voir au plus vite.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bordeaux


Pavillon noir du collectif Traverse
Un projet du Collectif OS’O
TnBA – Salle Vauthier
3 Place Pierre Renaudel
33800 Bordeaux
jusqu’au 3 février 2018
du mardi à vendredi à 20h et samedi à 19h
durée 2h15

Reprise au Centquatre
5 rue Curial
75019 Paris
du 8 au 19 janvier 2019
Du mardi au samedi à 20h00

texte écrit par le Collectif Traverse : Adrien Cornaggia, Riad Gahmi, Kevin Keiss, Julie Ménard, Pauline Peyrade, Pauline Ribat & Yann Verburgh
Vigies, coordination artistique : Cyrielle Bloy & Baptiste Girard
Costumes d’Aude Désigaux
Création lumières de Jérémie Papin
Scénographie d’Ingrid Pettigrew
Maquillage & coiffure de Carole Anquetil
Musique de Martin Hennart
Régie générale : Emmanuel Bassibé
Avec Jérémy Barbier d’Hiver, Moustafa Benaïbout, Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Ehrhard, Marion Lambert & Tom Linton

Crédit photos © Frédéric Desmesure

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1 Comment

  1. Quelques précisions : bien qu’Aaron Swartz soit clairement une inspiration pour beaucoup, il me semble que le personnage d’Anja est plutôt inspiré d’Alexandra Elbakyan, et que le procès imaginaire fait écho à celui bien réel de Ross Ulbricht, créateur de Silk Road. Quand à l’informaticien syrien souhaitant sauver Palmyre, il s’agit sans doute de Bassel Khartabil…

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