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Des chats dans la gorge, un voyage onirique au cœur du langage

Les mots, les gestes, les mouvements, virevoltent, se cognent, se repoussent, s’attirent et s’entrechoquent avec violence, agressivité et incompréhension. Face à la dureté, voire l’impossibilité de communiquer, quatre êtres à la dérive réagissent, composent et répondent dans un ballet visuel et oral d’une singulière beauté. Porté par une troupe pleine de vitalité et d’humanité, le texte poétique de Léonore Confino vibre de mille éclats, de mille émotions… Captivant !…

L’espace est étroit, réduit. Des échelles aux multiples couleurs, des instruments de musique, encombrent les lieux, entravant un peu plus les mouvements des quatre comédiens : deux femmes, deux hommes. Tous en scène, face au public qui s’installe, ils psalmodient des mots en boucle, imperceptibles. Chacun joue sa partition ignorant celle de l’autre. Le ton monte, leurs voix se font plus audibles. Il y a la mère (flamboyante et volubile Tessa Volkine) qui ne sait que parler, le père (Aldo Gilbert, tout en retenue et absence) qui ne supporte plus la logorrhée verbale de sa femme, la fille (gracile et lumineuse Christine Braconnier), incapable de réagir devant le déchirement de ses parents, l’amoureux (charismatique et expressif Luc-Emmanuel Betton) qui vit dans sa bulle.

Tous ces personnages se parlent sans s’entendre, sans s’écouter. Chacun, absorbé dans son univers singulier, en oublie l’essentiel : pour communiquer et vivre ensemble, il faut être audible et compréhensible pour l’autre. La mère, femme du peuple ayant évolué dans un milieu illettré, a appris à parler seule avec un dictionnaire. Elle s’est construit un monde d’instruction, un monde où chaque phrase a un sens, chaque mot une signification précise. De cette victoire sur la vie, elle a gardé le goût pour le beau langage. De cette force intérieure, un engagement politique, une envie de voir changer cette société d’exclusion. A toute heure, du jour, de la nuit, elle a besoin de s’exprimer, de dire les choses, de se révolter, oubliant les siens, omettant le quotidien. Lassé, épuisé par cette verve, cette prolixité, l’homme s’enfuit laissant son enfant seule face à cette femme dragon, gardienne de la langue française.

De ce drame violent, de ce choc, la petite fille ne se remettra pas. Elle perdra l’usage de la parole. Incapable de communiquer avec les autres, elle va laisser son corps s’exprimer, répondre aux agressions, devenir l’unique moyen de se faire comprendre. Les gestes, les mouvements sont saccadés, emportés. Ils vibrent au diapason des émotions de cette jeune femme en colère contre sa mère, contre son père, contre les hommes, contre cette société qui refuse la différence.

Arrivée à l’âge adulte, poussée par sa grand-mère atteinte par la maladie d’Alzheimer, elle va fuir la prison familiale, le quotidien, pour explorer le monde, découvrir d’autres horizons. Alors commence pour la jeune femme, un parcours initiatique intense, un voyage extraordinaire au cœur du langage, des langages.

Mise en scène avec pudeur et finesse par Tessa Volkine, l’écriture simple, élégante et poétique de Léonore Confino prend vie et couleur. En dénonçant ce monde où l’on a perdu le goût de la conversation malgré la pléthore de moyens de communication, la dramaturge signe un texte plein de verve, une ode au langage, aux mots. Portée par des comédiens lumineux et possédés par cette même passion de la langue française, la pièce de théâtre est un remède à l’isolement qui gagne nos cités, un moyen de réinventer le vivre ensemble… Captivant !..

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


affiche CDG Nesles_@loeildoliv

Texte : Léonore Confino sur la base des interviews des Yvelinois
Mise en scène et chansons : Tessa Volkine
Musiques : Aldo Gilbert / Luc Emmanuel Betton
Acteurs : Tessa Volkine, Christine Braconnier, Aldo Gilbert & Luc-Emmanuel Betton

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