Mister C

De Paris à Lyon, en passant Avignon, Mister C trace sa route.

Dandy charmant, cultivant son côté adolescent, Mister C a laissé sa Mademoiselle J à Avignon. L’histoire n’est pas terminée. Leur lien, celui qui naît d’une création, est quasi indéfectible, mais d’autres projets l’appellent. 

Visage d’ange, mais sourire carnassier, reboosté, il est remonté à la capitale. Halé, juste ce qu’il faut, il rejoint une autre comédienne, une femme du sud, à la peau brune, aux yeux bleus, couleur de l’adriatique. Elle pourrait être sa mère, l’impressionner. Cela l’amuse de la mettre en scène. Le texte est ciselé, enlevé. L’histoire est belle bien qu’assez commune. Une mère pulpeuse, dévorante, étouffante et son fils veule, rebelle tentent de cohabiter dans un petit appartement d’une cité ouvrière. Avec une délicatesse ingénieuse, il transforme l’espace du huis clos en une aire de jeux tendres autant que cruels. Il n’a plus que quelques jours pour peaufiner son travail. La pièce est attendue, une des attractions de la saison. On se croise peu de temps après la première, on échange quelques mots. Timide, peut-être un brin solitaire, pas vraiment mal à l’aise, il est plutôt distant. Il a besoin de temps pour accorder sa confiance, pour lâcher prise avec l’image qu’il souhaite renvoyer de lui. 

Passionné, ambitieux, il a compris le système. Il aime profondément son métier. Il se donne les moyens de réaliser ses rêves. Présent, souvent les soirs de générale, on a l’occasion de partager à nouveau quelques sourires de connivence, quelques phrases. Son humour pince sans rire plait. C’est l’un de ses atouts charmes. Brun, ténébreux, physique de crevette, visage anguleux, changeant, il navigue à vue. L’année passe, rien n’a changé, rien n’a évolué. Il est toujours ce personnage de papier glacé, au sourire parfait, au regard noir intense. Nos discussions sont toujours aimables, urbaines. Il faudra du temps pour percer son mystère, découvrir qui se cache derrière sa carapace. 

L’été passe à toute vitesse. Un Avignon, quelques jours de vacances en Bretagne. Il nous arrive de nous saluer via les réseaux sociaux, de commenter les statuts l’un de l’autre. C’est la rentrée. Il est à l’affiche d’une nouvelle pièce. Cette fois en tant que comédien. Après l’avoir vu dans quelques séries policières françaises, l’un de mes pêchers mignons, ma bulle d’oxygène, où il interprète souvent les monstres à visage d’ange, je suis curieux de le découvrir sur les planches. Il joue une sorte de premier de la classe, de jeune homme bien sous tous rapports, le gendre idéal, confronté à l’aigreur, la méchanceté d’une « Tatie Danielle » infernale et retorse. Bien qu’ayant en face de lui, une grande dame, un de ces monstres sacrés du spectacle vivant, il ne se démonte pas. Il est drôle, touchant, craquant. C’est un plaisir de le voir se démener sur le plateau. Il est un diesel, son personnage en tout cas. Il révèle sa nature imperceptiblement. Un peu gauche au début, il devient de plus en plus flamboyant. 

Mais ce n’est pas encore cette fois que je découvrirai son vrai moi. Il faudra un improbable concours de circonstances.

Deux ans plus tard, je suis attendu à Lyon pour découvrir une pièce sur le monde du travail, sur la vie d’une femme lambda, sans histoire, qui finit par commettre l’irréparable face aux petites violences du quotidien. De la gare au théâtre perché sur les hauteurs de la ville, le voyage est épique. Il m’a fallu déjà près de vingt minutes pour trouver le bon arrêt de bus. Enfin dans le bon véhicule, dans la bonne direction, je n’ai plus qu’à me laisser porter, à rêver à ce soir, à demain, au plaisir de retrouver le metteur en scène, un charmeur, sa responsable de com, une nature chaleureuse, drôle. Erreur, le chauffeur joue les Fangio. A chaque virage, les passagers manquent de tomber à la renverse. A chaque arrêt, de basculer. Le trajet est interminable. Après vingt minutes stressantes, la terre promise, enfin. Descendre de cet autocar infernal. Un verre pour se remettre de ses émotions. Devant moi, une silhouette familière. C’est lui.

Par un curieux hasard, entre deux dates de tournées pour lui, deux voyages de presse pour moi, nous nous retrouvons dans cet improbable théâtre. Les retrouvailles sont chaleureuses, plus qu’à l’accoutumée. Il n’y a pas d’enjeu, pas de stress, juste la satisfaction de se parler, de passer une soirée ensemble. Le moment est donc suspendu, drôle, plein d’humour, de partage. Le théâtre, bien sûr, la pièce évidemment, la comédienne, épatante, impayable. Puis nos vies, nos histoires. Une autre étape, un autre regard l’un sur l’autre, une connivence. Chacun repart à ses aventures, à son métier. Mais rien n’est plus pareil. Le monde, notre monde, a imperceptiblement changé. Une attache fragile, délicate s’est créée, faite d’écoute, de respect et de tendresse. L’armure est tombée laissant place à un sacré numéro, un exalté, un artiste engagé avec ses doutes, ses forces, un jeune homme – on est encore jeune à trente ans – plein d’envie, de désirs, un faux mélancolique, un vrai baladin.

La vie coule, les jours, les mois s’égrènent. Les échanges sont plus sincères, sans faux semblants. On se découvre l’un, l’autre. On s’écoute. Deux garçons, deux amis animés par ce goût immodéré pour le spectacle vivant. Une belle rencontre qui aura pris tout son temps.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © France TV – Sipa – Brendan Beirne et © OFGDA

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