Drôle de temps

Comédienne confinée, Juliette Plumecocq-Mech questionne son métier avec justesse et lucidité dans un regard(s) touchant.

Vivre aujourd’hui dans une ville, un pays, (un monde), qui a fermé tous les théâtres, les cinémas, les opéras, les centres de danse, les musées, les écoles, les universités, les bibliothèques, tout les lieux d’apprentissages, de connaissance et de culture, est une chose, une expérience, qui paraît surréaliste.

Je ne pensais pas un jour entendre que tous les lieux « non essentiels » à l’économie du pays, devaient tout simplement fermer !
Je ne pensais pas être « non essentielle » en temps qu’actrice, à la société dans laquelle je vis.
Je ne pensais pas, un jour, être touchée de plein fouet dans mon activité artistique.
Le gouvernement impose un confinement à la population. Nous sommes obligés, sous peine d’amendes, de rester chez nous. Pour les populations qui vivent dans les rues, l’État a soi disant réquisitionné des lieux d’hébergements.

Que faire de cette situation ? 
Que faire de tout ce temps ?
Quand certains parlent de ce « temps de vacances » ce temps de vacances cadeau lié au confinement, je pense de mon coté que le temps n’est pas un cadeau, ne peut pas s’offrir, ne peut pas se gagner. La notion de « temps », telle qu’on la connaît aujourd’hui, est liée aux nécessités commerciales et économiques, des sociétés néo libérales dans lesquelles nous évoluons …
Le temps est une durée pendant laquelle les choses arrivent, et aussi une mesure par laquelle on apprécie et connaît exactement la durée des choses. Le temps est ainsi le nombre de parties successives du mouvement.
 « Numerus motus secundum prius et posterius » selon Aristote.

Le temps sans début et sans fin, vide de tout événement ne peut avoir d’existence réelle. 
Le temps est alors « une pure imagination, un être de raison, comparable à l’espace imaginaire, car sans un être réel, et par conséquent sans un mouvement réel, il n’y a plus aucune partie de mouvement dénombrable, ni donc aucun temps réel concevable » (Précis de philosophie, FJ.Thonnard). Albert Einstein serait content, lui qui souhaitait faire disparaître le temps, grâce à la relativité pour laisser place à « l’espace-temps », il s’agit ici de notion de physique bien sûr, mais nous vivons bien dans un mode totalement lié aux lois de la physique, non? Aux lois de l’avant et de l’après ? Du proche et du lointain ? De la science ?
Il est bien curieux ce moment temps !

Le temps se définirait grâce aux mouvements successifs mais on nous interdit tout mouvement aujourd’hui et pour une durée inconnue, nous devons rester immobiles, inactifs. Alors, qu’en est-il de notre rapport au temps ici et maintenant ?
La durée de notre immobilisation est donnée, puis remise en cause et finalement modifiée. Nous ne pouvons pas nous projeter dans le temps, nous ne pouvons pas planifier les semaines, les mois à venir. Nous sommes dans un « entre temps ».
Sur les écrans de nos ordinateurs, nous visitons les musées, nous regardons des pièces de théâtre, des films, nous écoutons de la musique, des concerts, des lectures poétiques…. Mais l’art n’est pas que du divertissement. Je ne fais pas ce métier pour « désennuyer les gens », les occuper !

Non ! Je fais ce métier pour partager physiquement avec les gens (voilà le lien avec Albert !). La Catharsis ne peut avoir lieu à travers un écran ! J’ambitionne de faire rêver, de faire réfléchir, de faire se questionner, de faire penser, d’agir sur l’autre ! Je passe mon temps dans les théâtres, sur des tournages,  je donne aussi  des ateliers, je rencontre des jeunes et des moins jeunes. Je prends toujours le temps de leur rappeler la différence entre une projection de cinéma et une représentation de théâtre. Un film continue d’être projeté (d’exister) dans un cinéma vide, alors qu’une pièce de théâtre ne peut pas se jouer dans un théâtre vide, le théâtre a un besoin vital du public !

Aujourd’hui, les théâtres sont vides, les actrices, les acteurs, les metteuses(eurs) en scène, les scénographes, les éclairagistes, les ingénieures(eurs) son, les costumières(iers), les habilleuse(eurs), les constructrices(teurs), les maquilleuses(eurs), les coiffeuses(eurs), les machinistes, les relations public, les productrices(teurs), les directrices(teurs), les équipes d’accueil , le personnel de ménage, toutes les personnes qui font qu’un théâtre peut vous accueillir, tous sont bloqués chez eux et les théâtres sont vides.

En temps de guerre, la culture, les lieux artistiques, représentent d’énormes enjeux dans nos sociétés, comme lieux de pensées, de sens, et donc de possible résistance. Ici nous ne sommes pas en guerre mais en crise, une crise sanitaire. S’agit-il de nos nouveaux conflits ? Est ce cela nos « nouvelles guerres » ? Nous sommes livrés à nous même, sans possibilités de débat. La vie ou la mort étant l’enjeu de ce confinement. Tous les jours les chiffres des décès dans le monde sont donnés.

Ce temps dans lequel nous sommes plongés, cet « entre temps » pourrait peut-être nous servir à réfléchir, à questionner notre époque, nos sociétés, nos modes de vie. Aujourd’hui, on nous impose de ne pas bouger pour ne pas propager donc pour ne pas risquer la vie d’autrui ou la nôtre.
Que pourrons-nous faire à l’issue de ce cauchemar pour que nous ne soyons plus jamais des criminels potentiels.
 Lorsque nous retrouverons une notion du temps associée à nos savoirs faire et à notre liberté de mouvement, les artistes nous aideront à réfléchir, à trouver du sens, c’est une évidence. Car ne l’oublions pas, l’art est essentiel, quoi qu’ils en disent.

Juliette Plumecocq-Mech, comédienne

Toute ma vie j’ai fait des choses que je savais pas faire de Remi De Vos

Crédit photos © Ema Martins

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