Virginia Woolf, de chair et de songes

A L'opéra du Rhin, Gil Harush fait revivre le temps d'un ballet, la célèbre autrice anglaise de Virginia Woolf.

A Strasbourg, le chorégraphe israélien Gil Harush crée, pour le Ballet de l’Opéra du Rhin, une pièce dansée inspirée par la personnalité hors norme de Virginia Woolf. La beauté sensuelle, charnelle des tableaux, la virtuosité de la troupe, l’engagement passionné de l’artiste, ne suffisent pas à donner totalement corps à l’écrivaine avant-gardiste.

Cheveux courts, juste-au-corps sombre, jupe blanche fendue sur le devant, Erika Bouvard longe la scène devant le rideau noir. Gracieuse, elle délie chacun de ses pas, captive l’assistance. Double de Virginia Woolf, elle nous entraîne dans l’univers singulier de cette femme de lettres anglaise, qui, par peur de devenir folle, se suicide en 1941, à l’âge de 59 ans, en se noyant dans la rivière qui passe non loin de sa maison de Rodmell. Féministe, bisexuelle, dépressive, elle s’attache plus dans ses romans à la psychologie de ses personnages, qu’à l’intrigue, à la progression dramaturgique. C’est cet angle d’ailleurs qui sert de fil conducteur à Yours, Viriginia.

Woolf à cœur

Passionnée par Woolf, fascinée même, Gil Harush plonge en apnée dans son œuvre, dans sa vie. Il lit tous ses écrits, tous les essais qui lui sont consacrés, visionne tous les films dont elle est l’un des sujets, se nourrit encore et encore et épluche tout, explore cette personnalité unique. Loin d’un biopic ou d’une reconstitution de ses romans, le chorégraphe israélien propose une évocation, un songe, l’ancre dans le monde d’aujourd’hui. L’autrice est partout dans le moindre geste, le plus petit mouvement. 

Compil’ de tubes classiques

Pour coller aux errances, aux émotions, aux pensées de Virginia Woolf, à ses intentions chorégraphiques, Gil Harush a demandé à la compositrice et cheffe d’orchestre londonienne Jamie Man de concocter une sorte de « playlist » idéale. De Haendel à Tchaïkovski, en passant par Beethoven, artiste cher à l’écrivaine, car il avait l’art de stimuler son imaginaire, ou encore Philip Glass, la vingtaine de morceaux, joués en direct par l’Orchestre symphonique de Mulhouse dirigé par Thomas Herzog et le pianiste Maxime Georges, balaye plus de 400 ans d’histoire musicale. 

Un imaginaire fourmillant

Porté par ces mélodies connues, les 32 excellents danseurs du Ballet de l’Opéra du Rhin livrent une partition foisonnante et riche. Pas de deux, portés, danses de groupe, l’écriture de Gil Harush déborde de partout. Multipliant les grammaires, il signe une pièce de tous les instants où ce qui se passe à l’avant-scène et tout aussi important que ce qui se joue en arrière-plan. Ciselant l’espace grâce à un jeu de lumières ingénieux, il offre une multitude de lectures. Peut-être trop dirons certains. C’est sa manière de donner vie à la femme autant qu’à l’autrice. Dominatrice, victime, plurielle, elle inonde l’espace, lui imprime un parfum, une couleur. Si on peut regretter des contours trop flous, des images trop  ambiguës voire obscures, il n’empêche que Virginia est là, omniprésente. 

Inspiration « queer » 

Pour construire sa Woolf, Gil Harush convoque un esthétisme très sexe, très « queer ». Des éphèbes rois tout droit échappés de la célèbre photographie An Ode to two Queens de Robert Mappelthorpe, à un avatar de Lucy Liu sorti du premier opus de Charlie’s Angels, en passant bien évidement par la figure mythique, mais ici inversé, d’Orlando, l’homme devenu femme- personnage inspiré par l’amante de Woolf, l’écrivaine, Vita Sackville-West -, le chorégraphe multiplie les références donnant étonnement à son ballet une dimension plus gay que lesbienne. 

Des tableaux à la beauté saisissante

Les gestes sont déliés, les mouvements empruntant autant à la danse classique que contemporaine, Gil Harush est un fantastique ciseleur d’images. Chaque saynète est pensée, travaillée comme une œuvre plastique pour donner au spectateur l’impression d’être dans un rêve. Scène crue de sexe, envolée lyrique, corps à moitié nus, il s’appuie sur la technicité et virtuosité de la troupe pour hypnotiser, étonner. Dépassant le stade de la biographie, il signe un spectacle plus Woolf qu’il n’y paraît. Chapeau l’artiste !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg


Yours, Virginia de Gil Harush
Création le 6 février 2020 à La filature, scène nationale de Mulhouse 
Opéra du Rhin 
19 Place Broglie
67000 Strasbourg
Jusqu’au 21 février 2020
Durée 2h environ avec entracte


Chorégraphie de Gil Harush
Musique de Benjamin Britten, Dmitri Chostakovitch, Philip Glass, Arvo Pärt et Ralph Vaughan Williams
Direction musicale Thomas Herzog
Dramaturgie musicale de Jamie Man
Costumes et lumière de Gil Harush
Scénographie d’Aurélie Maestre
Avec les danseurs du CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin – Monica Barbotte, Audrey Becker, Erika Bouvard, Susie Buisson, Noemi Coin, Marin Delavaud, Pierre Doncq, Ana-Karina Enriquez-Gonzalez ,Cauê Frias, Eureka Fukuoka, Maxime Georges, Thomas Hinterberger, Rubén Julliard, Mikhael Kinley-Safronoff, Oliver Oguma, Céline Nunige, Paloma Lassere, Pierre-Emile Lemieux-Venne, Jesse Lyon, Alice Pernao, Jean-Philippe Rivière, Cédric Rupp,Ryo Shimizu,Marwik Schmitt, Valentin Thuet, Alain Trividic, Hénoc Waysenson, Julia Weiss – et l’Orchestre symphonique de Mulhouse

Crédit photos © Agathe Poupeney

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