Antigel, un festival performatif au cœur de l’hiver suisse

Au Festival Antigel de Genève, la performance théâtrale et chorégraphique est à l'honneur.

Au cœur de la cité genevoise, le Festival Antigel bat son plein. Entre danses, performances et musiques, la manifestation, parrainée par Patti Smith, fête ses dix ans d’existence. Pour clôturer cette saison riche et éclectique, les chorégraphes Annamaria Ajmone et Rafaële Giovanola partagent une soirée à l’ADC, salle des eaux vives. Un moment virtuose hors du temps. 

Plus de 80 évènements, de concerts, une douzaine de spectacles au compteur et 24 communes du cantal genevois comme partenaires, le festival Antigel s’est fait en dix ans une belle place dans le panorama culturel Suisse. Invitant des artistes comme Jonathan CapdevielleGaëlle BourgesJeff MilesOona Doherty ou Bruno Beltrão, la manifestation, qui se veut le pendant hivernal du Festival de la Bâtie, offre aux spectateurs – un peu plus 50 000 cette année selon Prisca Harsch, directrice artistique du volet arts vivants – , une programmation où la virtuosité côtoie la performance, où le son fait vibrer les murs de l’Alhambra, les beats entrer en transes les visiteurs de la Caserne des Vernets, Grand central d’Antigel. 

Une soirée partagée

Dans cette ambiance survoltée, joyeuse et folle, les chorégraphes Rafaële Giovanola et Annamaria Ajmone convient, lors d’un programme double à visiter un bestiaire autant singulier qu’étrange. La salle n’est pas grande, juste ce qu’il faut pour que l’expérience soit immersive, que l’on entende le souffle des danseuses, le crissement de leurs chaussures sur le sol, que leurs gestes nous frôlent. 

Danse robotique

Avec Vis MotrixRafaële Giovanola s’amuse à inverser la gravité. Sur un carré blanc, quatre corps vêtus de noirs sont allongés sur le dos. Tout est au cordeau. Rien n’est laissé au hasard. Entre soufflerie et vrombissements mécaniques, des sons étranges résonnent. Lentement, le torse de l’une se bombe, son dos se cambre à l’extrême, puis retombe. Les autres restent impassibles, statiques. Étirant le temps, les gestes, les quatre danseuses suivent le tempo. Elles s’abandonnent totalement à l’interminable rythmique. 

Le bal d’insectes

Tentant de se décoller du sol afin d’entrer en résonance avec l’accélération des beats, nos quatre interprètes – Fa-Hsuan ChenMartina De DominicisTanja Marín FriðjónsdóttirSusanne Schneider en alternance avec Marie Viennot –se meuvent tels des robots, des fourmis. Toujours sur le dos, elles se servent de leurs mains, de leurs pieds pour bouger. Elles grouillent, s’agitent mais tout cela se fait en ordre réglé. Tout est carré, rien ne dépasse. Les enchaînements sont très cadencés, les virages à angles droits. La danse s’est débarrassée de sa rondeur, de ses arabesques. Elle a un aspect très géométrique, très performative. Elle pourrait laisser de marbre. Ce n’est pas le cas. La virtuosité des artistes, leur capacité à dépasser les codes, à aller vers des sentiers moins battus et leur technicité impeccable fascinent et captivent.

Une écriture tendue

La chorégraphie très mécanique de Rafaële Giovanola séduit parce loin d’être vaine, elle raconte une histoire, celle d’un autre monde à l’orée du transhumanisme. Obsédée autant par l’itération des gestes que par l’épure de la grammaire, elle écrit juste l’essentiel afin de laisser une grande place à l’improvisation, à l’écoute des danseuses entre elles. C’est ce qui donne à l’ensemble, une sorte de communion qui rappelle celle des insectes vivant en colonie. 

Transe animale 

Avec TriggerAnnamaria Ajmone explore elle aussi d’étranges musicalités. Elle se laisse transporter par eux, régit les mouvements de son corps. Soubresauts, répétitions et gestes saccadés font échos à la musique. Entre chamanisme et techno, entre bruit aseptisé et univers sonore rappelant ceux des profondeurs de la jungle, elle navigue au plus près des spectateurs installés sur des chaises à même la scène. Depuis que nous avions découvert cette pièce courte, il y a deux ans, dans le cadre des Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville, l’écriture s’est affinée, les enchaînements ont gagné en maturité. Chapeau l’artiste. 

Du jazz à l’Alhambra

Pour finir cette soirée bien commencée, direction l’Alhambra où mixe Jeff Miles. La salle est pleine à craquer, le flow envahit l’espace. Sur le dancefloor, les corps se meuvent tels une immense vague humaine. Rythme lent, musique répétitive, amplification des beats et airs jazzy, invitent à la rêverie, la transe. 

Le festival Antigel édition 2020 vit ses dernières heures. Son cœur a battu plus d’une vingtaine de jours avec fièvre et gaieté, a vibré à l’unisson avec un public toujours plus nombreux et plus enthousiaste. Dix ans ont passé depuis sa création, L’événement a bien grandi. On lui souhaite de rayonner encore de nombreuses années et de toujours garder son esprit curieux. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Genève


Festival Antigel 
Jusqu’au 15 février 2020
Soirée partagée Annamaria Ajmone et Rafaële Giovanola – Cie CocoonDance
ADC – salle des eaux vives 
Rue des Eaux-Vives 82
 1207 Genève

Vis Motrix de Rafaële Giovanola
chorégraphie de Rafaële Giovanola assistée de Leonardo Rodrigues
par et avec Fa-Hsuan Chen, Martina De Dominicis, Tanja Marin Friðjónsdóttir, Susanne Schneider
musique de Franco Mento
création lumière et scénographie de Gregor Glogowski
costumes de CocoonDance
dramaturgie de Rainald Endraß

Trigger d’Annamaria Ajmone
concept et interprétation d’Annamaria Ajmone
musique de Palm Wine
costumes de Jules Goldsmith

Crédit photos © Klaus Frölich et crédit portrait © Mathieu Geser

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