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JR ou le tourbillon fou du capitalisme

A la Villette, le collectif FC Bergman adapte le roman monstre de Williams Gaddis, une satire foisonnante du capitalisme.

A la Villette, sous les poutres métalliques de la Grande Halle, le collectif flamand FC Bergman s’empare du roman-monstre JR de l’américain Williams Gaddis et lui donne chair grâce à une scénographie autant impressionnant que virtuose. Le jeu habité des comédiens, tous excellents, ne suffit pas à nous emporter, tant la vidéo omniprésente prend le pas sur le théâtre.

Une immense tour blanche de plus de 14 mètres, trône, au centre de la Grande halle de la Villette. Entourée de gradins, en quadri-frontal, elle est réellement monumentale. Difficile d’emblée de savoir où s’installer, y-a-t-il un lieu stratégique pour profiter au mieux de la performance à venir ? Nul ne le sait, des stores blancs masquant l’intérieur, chacun se met où il peut. Silence. Les premières notes de musique résonnent dans l’espace. C’est parti pour près de quatre heures de show.

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La salle plonge dans la pénombre, le troisième étage se transforme en écran géant. Visage en gros plan, une pulpeuse blonde, parfaitement maquillée, s’entretient avec son avocat des dispositions à prendre pour capter l’entièreté de l’héritage de son père, à peine décédé. L’argent est un puissant moteur qui guide les êtres avides de pouvoir, de richesses. Mais voilà, un couac va enrayer la machine. Un enfant caché, et c’est le drame. Bast, son cousin, un enseignant de musique, un peu godiche, pourrait bien être son frère et revendiquer une part de la succession. Cela ne se peut. Un court noir, et l’histoire reprend. Lentement, les rideaux du rez-de-chaussée laissent entrevoir des silhouettes qui s’affairent. Camera mobile braquée sur ce descendant présomptif, on assiste aux coulisses d’un spectacle de collégiens. Évidemment, rien ne fonctionne comme le souhaite Bast, qui les encadre. JR, 11 ans, l’un de jeunes comédiens amateurs, disparaît refusant de jouer les satires. Lui, ce sont les mécanismes financiers qui l’intéressent. 

Ça tombe bien, le lendemain, il visite, avec ses camarades de classes, la bourse, l’envers du décor. Fasciné, il rêve d’investir, de tenter sa chance à ce jeu de dupes, de miser ses maigres économies pour les faire fructifier. Mineur, il a besoin d’un prête-nom pour se lancer âme perdue dans ce délirant système capitaliste, qui tend à s’emballer, à s’enflammer. Malin, comprenant rapidement les règles, et la meilleure façon de s’en servir à son profit, il choisit de s’associer avec le très naïf Bast, musicien en manque de reconnaissance, de chaleur humaine.

Autour de ce duo, mal assorti, une faune de banquiers, de riches propriétaires, d’enfants, de politiques, d’artistes alcooliques, de « winners », de « loosers », s’agite prise dans les rets d’un marché financier sans foi et peu de lois, d’un capitalisme à tout crin. Dans ce tourbillon délirant, fou, où tous essayent de survivre, de supporter la pression, de surnager dans ce chaos qui broie les plus faibles, JR, guidé uniquement par le profit, est devenu au fil du temps un trader américain, pur jus, amoral et sans pitié, écrasant tout sur son passage. L’argent, le crédit, avalent tout, ne laissant qu’amertume et désillusions.

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S’emparant du roman fleuve, atypique et foisonnant, de Williams Gaddis, le FC Bergman invite à plonger dans un monde où, pour prendre l’entière mesure de l’œuvre satirique, il faut accepter de se perdre au gré des sauts boursiers, des fluctuations du marché, des états d’âme des différents personnages. Pour se faire, le collectif flamand n’a absolument pas lésiné sur les moyens. Créant dans cette tour de métal gigantesque pas moins de 25 espaces scéniques, tous décorés au détail près, il convie le spectateur à une performance éblouissante. D’où que l’on soit, on voit prendre vie cette phénoménale structure, cette ruche vivante. De saynètes banales – l’achat de biscuits apéritifs, un grand patron jouant au golf dans son bureau, par exemple – , au cœur de la pièce, là où l’action principale se déroule, tout est à vue. Si chacun assiste à une proposition différente en fonction de son angle de vue, tous voient le même film. Et c’est là où le bât blesse. La vidéo omniprésente mange tout, gomme tout, du formidable talent de cette troupe d’exception, de l’hallucinante scénographie à l’épatante direction d’acteurs. Les dialogues étant en néerlandais, c’est le seul endroit où l’on puisse lire les sous-titres, et ainsi suivre l’histoire. 

La seconde partie plus sobre laisse place aux gâchis, considérables, aux ravages féroces causés par le boursicotage débridé, mais l’attention est moins soutenue, plus distante. Les effets scéniques fourmillants, surabondants ont laissé leurs empreintes, les comédiens virtuoses, monstres, n’inversent pas totalement la vapeur et se perdent un peu dans l’immensité de ce décor colossal. Le trop, pourtant parfaitement ciselé, l’emporte sur le bien, une mise en scène au cordeau, un jeu habité. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


FC-Bergman_photo-6_FC-Bergman_-©-Kurt-Van-der-Elst_@loeildoliv

JR d’après le roman de William Gaddis
Grande Halle de la Villette
211, avenue Jean Jaurès
75019 Paris
Durée 4h00


Conception FC Bergman

Crédit photos © Kurt Van der Elst

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