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1993, tous les cris les SOS d’une Europe en perdition

Au théâtre de Gennevilliers, Julien Gosselin met en scène 1993 avec les comédiens en herbe du TNS.

Les mots coulent tel un torrent furieux. Ils révèlent une vision contrastée, dissonante de l’Europe, de son idéal démocratique. Après avoir atteint son apogée, un beau jour de 1993, l’institution file vers la fin de l’histoire au son des beats d’une Dance hypnotique. Habitée par des comédiens en herbe sous acide, l’œuvre radicale du duo Gosselin/Bellanger force les esprits d’une litanie bavarde.

Alors que le public s’installe dans un brouhaha où s’achèvent les conversations d’avant spectacle, une citation tirée de l’essai La fin de l’histoire de Francis Fukuyama, s’affiche en lettres lumineuses sur un écran noir et donne le ton au show son et lumière qui va être donné. Véritable ligne conductrice du texte écrit avec fougue bilieuse, caustique par Aurélien Bellanger, ces quelques mots cimentent une vision pessimiste de l’avenir à plus ou moins court terme de l’Europe, que deux tunnels, symboles d’entente cordiale, de coopération entre les nations, vont précipiter vers une inexorable chute.

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Tout commence par un monologue lancinant, grondant, à plusieurs voix forcées, microtées, qui, en s’entremêlant avec les beats d’une Dance omniprésente, finissent par se perdre dans les limbes d’une « rave party » un peu trop perchées. D’un ton monocorde, éclatant, furieux, les douze comédiens issus de la promotion 2017 de l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, s’emparent de ce manifeste savant, verbeux qui dépeint une Europe innovante, triomphante, très vite rattrapée par les dommages collatéraux causés par ses succès de coopération entre nations. Ainsi à trop tendre vers un idéal démocratique et social, modèle pour les générations présentes et futures, la construction de cette institution inter-état semble avoir engendré un monstre clinique, une société aseptisée qui faute de repère se referme sur elle-même, un monde « playmobil » où toute différence sociale, ethnique, religieuse entraîne le rejet systématique.

Après les mots, ce sont les corps des comédiens que s’attirent, se repoussent et se mêlent lors d’une orgie monumentale. Représentant chacun un des douze Etats qui constituaient l’Europe en 1993, ils se laissent totalement submerger par la musique assourdissante, par les drogues qu’ils ingurgitent sans limites. Suivis par un camera qui traque la moindre de leur expression et dont les images sont projetées sur un écran géant situé au dessus de la scène, ils s’abandonnent aux effluves d’alcool qui saturent l’air de cet appartement à deux pas de la forêt où s’installera sous peu la « Jungle de Calais » – sujet premier de ce spectacle protéiforme – jusqu’au point de non-retour.

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S’attachant à un esthétisme radical qui surcharge nos sens auditif et visuel, Julien Gosselin nous entraîne bien au-delà des murs de la scène dans une autre réalité où tout est transcendé, où toutes nos pensées, nos croyances sont mis à rude épreuve. Si certains se laisseront totalement embarquer dans cette odyssée techno-dance hypnotique, d’autres resteront à quai. Loin de tout classicisme, le metteur en scène prodige pousse les comédiens en herbe à dépasser leur limite en explorant tous les moyens techniques que le théâtre contemporain met à leur disposition. On peut regretter que faute d’un texte aussi fort que ceux de Bolaño ou de Houellebecq, l’ensemble tourne parfois à vide.

Passant du théâtre de l’abstraction dans une première partie psychédélique fort longue où se mêlent les écrits furieux de Bellanger au discours de réception du prix Nobel de la Paix à l’Union européenne en 2012 prononcé par les présidents Van Rompuy et Barroso, à une seconde partie incarnée plus viscérale, plus charnelle, Julien Gosselin se joue de nos sensations, de nos perceptions en exacerbant nos ressentis qui vont de l’énervement à la transe ébahie, bienheureuse. En somme, 1993 est une performance scénique, plastique, sidérante qui malmène nos consciences, questionne nos certitudes, un exercice de style de fin d’année hors cadre dérangeant, clivant.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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1993 d’Aurélien Bellanger
Théâtre de Gennevilliers
41, avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
jusqu’au 20 janvier 2018
du lundi au vendredi à 20h, le samedi 13 janvier à 18h, samedi 20 janvier à 16h et le dimanche à 16h
relâches jeudi 11 et mardi 16
durée du spectacle 1h45

mise en scène de Julien Gosselin assisté d’Eddy d’Aranjo, de Ferdinant Flame et pour la tournée de Colyne Morange
scénographie d’Emma Depoid et de Solène Fourt
avec Quentin Barbosa, Genséric Coléno-Demeulenaere, Camille Dagen, Marianne Deshayes, Pauline Haudepin, Roberto Jean, Dea Liane, Zacharie Lorent, Mathilde-Edith Mennetrier, Hélène Morelli, Thibault Pasquier, David Scattolin
musique de Guillaume Bachelé
costumes de Salma Bordes
son d’Hugo Hammanet de Sarah Meunier
lumière de Quentin Maudet et de Juliette Seigneur en collaboration avec Nicolas Joubert
vidéo de Camille Sanchez en collaboration avec Pierre Martin
régie plateau : Jori Desq
régie générale et cadrage vidéo : Valentin Dabbadie
administration tournée et diffusion : Eugénie Tesson assistée de Paul Lacour-Lebouvier
logistique tournée : Emmanuel Mourmant
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS

Crédit photos © Jean Louis Fernandez

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