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L’état de siège ou le goût amer du fascisme

Emmanuel Demarcy-Mota met l'Espace Cardin en Etat de siège

Triste monde que la peur paralyse et oblige à n’avoir comme ultime ambition que la survie. En tirant de l’oubli cette pièce d’Albert Camus, Emmanuel Demarcy-Mota s’est saisi d’une œuvre noire, écho de la montée du populisme dans les démocraties occidentales. Mais, à forcer sur les effets de style, il n’en tire qu’un ballet déjanté que l’on voudrait plus féroce, pour tout dire, convaincant.

Comme un effet de mode, des metteurs en scène de renom se piquent de faire ressurgir de l’oubli des pièces qui, à leur création ont fait des fours. C’est le cas de Thomas Jolly, qui a (re)donné magistralement vie au Fantasio d’Offenbach, de Clément Hervieu-Léger qui a redoré Le Petit maître corrigé de Marivaux. Malheureusement, tous n’ont pas la même félicité. Si dans la période noire qui met à mal les démocraties occidentales et voit la peste brune reprendre du poil de la bête, reprendre L’Etat de siège d’Albert Camus semblait être une évidence, dans les faits, le résultat est plus contrasté.

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En premier lieu, il y a le texte de Camus. Œuvre de commande, assez rapidement exécutée, elle n’a pas la force des autres écrits du célébre dramaturge. Le style légèrement emphatique, pompeux, l’ancre dans un onirisme empesé, lourd qui manque de ces envolées lyriques qui touchent au cœur, à l’âme et forcent la réflexion sur le monde qui nous entoure, la société dans laquelle on évolue. Evidemment, cette peste brune qui s’abat sur cette ville de bord de mer résonne étrangement en nous au vu de la montée du fascisme dans certaines démocraties modernes. Evidemment, cette pièce noire fait écho à la situation actuelle de notre pays et nous oblige à dépasser les clichés, à tenter de comprendre comme enrayer cette montée inquiétante du populisme en occident. Mais ce n’est pas suffisant pour créer l’empathie, le choc attendu.

En second lieu, il y a la scénographie épurée, apocalyptique et hyper connectée voulue par Emmanuel Demarcy-Mota. En déstructurant le théâtre, en plaçant le plateau à la place des fauteuils d’orchestre et le public sur scène, il nous inclut dans l’histoire. Nous ne sommes pas que des témoins du drame, mais bien des protagonistes subissant les affres de cette dictature sombre et mortifère. D’ailleurs, avant que cette peste brune, ce relent de fascisme s’abatte sur cette étrange ville, les comédiens invitent quelques spectateurs à danser avec eux. Si l’intention est louable, l’effet bluffant ne dure malencontreusement pas. L’ajout de trois écrans vidéo, un peu perdu dans les cintres, en brouille les signaux même s’ils permettent de coller au plus près des émotions et des visages. A trop mêler les genres, à trop picorer sur les mises en scène qui ont cartonné ces derniers temps, à trop forcer sur un foisonnement d’effets spéciaux, Emmanuel Demarcy–Mota finit par perdre son propos et en atténuer la barbare puissance.

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Dans ce ballet étonnement désuet, dans ce cabaret étrangement timbré, mortifère, et ce malgré quelques jeux à marche forcée, les comédiens ont la part belle et insufflent à l’ensemble cet air fiévreux que tout le reste n’arrive pas provoquer. En peste noire, en dictateur vicieux, Serge Maggiani terrorise la salle et la scène avec une malice inquiétante. En secrétaire diabolique et perverse qui voit s’effriter ses certitudes, Valérie Dashwood est impressionnante. Hannah Levin Seiderman est lumineuse en jeune femme amoureuse, fragile. En homme de peu de foi, reniant tout principe, écrasant ses anciens congénères, Philippe Démarle est fascinant. Jauris Cassanova se délecte à jouer les instruments inhumains du pouvoir. Enfin, Mathieu Dessertine incarne à merveille ce héros romantique fébrile, hésitant qui finira par se révolter contre l’oppression quitte à le  payer de sa vie.

Loin du manifeste politique attendu, Cet Etat de siège pêche par excès. Dommage !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

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Emmanuel Demarcy-Mota met l’Espace Card en Etat de siège

L’état de siège d’Albert Camus
Théâtre de la Ville – Espace Cardin
1 Avenue Gabriel
75008 Paris
jusqu’au 1er avril 2017
Du mercredi au samedi à 20h30, en matinée le samedi et le dimanche à 15h30
Durée 1h50

mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota assisté de Christophe Lemaire et de Julie Peigné
scénographie d’Yves Collet assisté de Clémence Bezat
lumières d’Yves Collet et de Christophe Lemaire
conseiller artistique : François Regnault
création sonore de David Lesser
création vidéo de Mike Guermyet
costumes de Fanny Brouste assistée d’Hélène Chancerel, d’Albane Cheneau, d’Élodie Lorion et de Peggy Sturm
maquillage de Catherine Nicolas
habilleuse : Séverine Gohier
avec Serge Maggiani, Hugues Quester, Alain Libolt, Valérie Dashwood, Matthieu Dessertine, Jauris Casanova, Philippe Demarle, Sandra Faure, Sarah Karbasnikoff, Hannah Levin Seiderman, Gérald Maillet, Walter N’Guyen, Pascal Vuillemot & en alternance Ilies Amellah, Joséphine Loriou et Chiara Vergne

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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