En ce début de mois de juin, le ciel est quasi sans nuages, propice à la flânerie. Devant l’Atelier de Paris / CDCN, un joyeux brouhaha s’élève. Les festivaliers, venus en avance pour profiter du parc de la Cartoucherie, s’attardent sous les barnums, grignotent à la bonne franquette et trinquent.
Deux food trucks, stationnés à l’ombre des arbres, proposent de prolonger l’instant. À quelques pas de là, deux Tiny Houses flambant neuves, tout en matériaux recyclés, sont prêtes à accueillir les artistes de demain. Un geste concret en faveur d’un avenir en bois clair et ton tout doux.
Impromptu #10 : quand la machine devient chair

Dans la salle de répétition, baignée d’une lumière neutre, pas de gradins. Juste des bancs, et quelques coussins. Le public forme une ronde silencieuse autour de deux corps debout. Pas d’effets, pas de fioritures, seulement le grondement continu, presque organique, d’une soufflerie. Linda Hayford, membre du collectif FAIR-E et co-directrice du CCN de Rennes et de Bretagne, s’associe ici à Rebecca Journo, artiste associée de l’Atelier de Paris pour la période 2025-2027. Deux signatures fortes de la scène contemporaine, réunies dans une forme brute, épurée.
Le temps semble s’étirer. Les gestes, d’abord à peine perceptibles, naissent dans une lenteur calculée. Corps mécaniques, presque androïdes, les deux interprètes explorent les possibles d’une gestuelle robotique, faite d’articulations hachées, de tremblements précis. Parfois, leurs mains se frôlent. Contact furtif, fragile, mais porteur d’une humanité bouleversante. C’est dans ce lien ténu que surgit une tentative d’harmoniser l’automate et l’humain. La partition, ciselée, exigeante, repose sur le culte de la lenteur, à rebours d’un monde qui s’agite. Le public retient son souffle et se laisse aller à rêver les yeux grands ouverts. Un impromptu qui, loin d’improviser, affirme haut et fort une forme de résistance poétique.
Numéro 0 – Scène III : dans l’œil du cyclone

Après cette parenthèse suspendue, les festivaliers se rassemblent devant le Théâtre de l’Aquarium. Là, changement radical d’atmosphère, le vacarme précède l’entrée. Des nappes de guitares saturées, de basse grondante et de batterie tellurique se font entendre dans le hall. Dans la grande salle, une partie du public est invitée à s’installer en cercle sur scène et dans les gradins. Treize interprètes, dont le musicien-danseur Salomon Asaro Baneck, la guitariste Simone Aubert et la percussionniste Alexandra Bellon, s’activent dans un espace qui ressemble à un kaléidoscope vivant où l’on peut entrevoir un studio photo, un plateau télé, une piste de cirque, un catwalk excentrique ou une rave party à ciel clos.
Sous des lumières vives, dans un capharnaüm maîtrisé de paillettes, de tissus fluorescents, de caddies équipés de machines à fumigènes, de néons et de projecteurs mobiles, les corps explosent. Ça court, ça roule, ça twerke, ça scande. Le mouvement part dans tous les sens. Hypnotique, déconcertant. Marie-Caroline Hominal, artiste emblématique de la scène suisse contemporaine, orchestre ici un chaos à l’image du monde, bruyant, foisonnant, insaisissable. Les voix s’élèvent, mais se perdent dans le fracas. On devine des récits fragmentaires, des tentatives de dialogue étouffées par la saturation et où la dramaturgie est dissoute dans le tumulte.
Et pourtant, malgré ce désordre apparent, une énergie sidérante circule. Les interprètes – Jade Albasini, Alexandre Bibia, Natan Bouzy, Beatriz Coelho, Marcus Diallo, Anaïs Glérant, Marie-Caroline Hominal, Lola Kervroëdan, Akané Nussbaum et David Zagari – hypnotisent. Ils n’imposent pas une narration, ils offrent une expérience. Une transe collective pour certains. Un désarroi assumé pour d’autres. Impossible de rester neutre face à ce rituel fou et aliénant, on est happé ou mis à distance.
Un festival qui fait lien
Entre l’ultra-précision chorégraphique de Linda Hayford et de Rebecca Journo face à la déflagration collective proposée par Marie-Caroline Hominal, cette première soirée de June Events donne le ton d’un festival en prise avec son époque. Capable de célébrer l’harmonie autant que le chaos. De faire vibrer l’intime autant que le collectif. Et surtout, de rassembler les spectateurs dans des formes multiples, où la danse, plus que jamais, se fait langage commun.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
June Events
Atelier de Paris / CDCN
du 2 au 20 juin 2025
Processing #10 de Linda Hayford
Avec Linda Hayford et Rebecca Journo
2 juin 2025
Numéro 0 / scène III de Marie-Caroline Hominal
2 juin 2024
Direction artistique, conception et chorégraphie : Marie-Caroline Hominal
avec Jade Albasini, Alexandre Bibia, Natan Bouzy, Beatriz Coelho, Marcus Diallo, Anaïs Glérant, Marie-Caroline Hominal, Lola Kervroëdan, Akané Nussbaum, David Zagari
Musique, performance de Salomon Asaro Baneck, Simone Aubert, Alexandra Bellon
Lumière de Victor Roy
Espace et costume – Anonymous
Assistante – répétitrice – Lia Beuchat
Direction technique de Julien Malfilatre