© Benjamin Favrat

Daniel Larrieu : « Ça demande du temps d’écrire de la danse »

Depuis plus de quarante ans, cette figure de la danse contemporaine française trace un sillon exigeant. Pour Sacre, sans doute sa dernière pièce, présentée à June Events, il revendique une liberté artistique sans compromis.

Qui vous a proposé de créer ce solo ?
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Daniel Larrieu : J’avais prévu d’arrêter un peu plus tôt mon travail, mais j’ai eu cette commande d’un festival d’Évian-les-Bains. J’habite en Haute-Savoie depuis plus de cinq ans. J’ai rencontré Émilie Couturier qui dirige le Marathon de piano. Elle souhaitait programmer une édition autour du thème de la danse. Après m’avoir proposé un certain nombre d’œuvres musicales, elle m’a parlé du Sacre du printemps. Jusqu’à présent, je n’avais jamais vraiment travaillé sur une œuvre musicale du répertoire. J’ai toujours engagé le processus de création en partant du neuf, même si j’ai puisé des influences dans la littérature, la poésie…

De très nombreux chorégraphes se sont emparés de cette partition. Comment avez-vous abordé cet Everest musical ?

Daniel Larrieu : Je n’aurais jamais osé m’attaquer au Sacre. Mais je savais aussi que c’était un peu ma dernière signature, en tout cas en tant que chorégraphe dans ce fameux panorama de la danse française. Je voudrais prendre de la distance et avoir le temps de proposer autre chose. Heureusement, c’est un Sacre pour une version piano. C’est selon moi une version très désossée, très particulière. Stravinsky l’a réécrit un peu plus tard dans son travail, une fois que la création a été faite. Je trouvais que c’était à une échelle plus humaine. C’est une sensation assez époustouflante de faire l’ascension de ce Sacre semaine après semaine, puisque c’est un solo qu’on a entièrement autoproduit.

C’est un choix assumé ?

Daniel Larrieu : Je travaille tout seul depuis deux ans. Je n’ai pas voulu subir les contraintes d’aller chercher des financements. C’est devenu beaucoup plus compliqué pour les compagnies de travailler. Il faut déployer une énergie folle. Nous sommes entrés dans une nouvelle précarité très importante dont on parle finalement peu. Le politique a dévissé sur la question culturelle. Aujourd’hui, on veut juste soutenir des choses visibles et plus du tout le vrai travail. Moi qui ai eu la chance de passer par une période où les pouvoirs publics ont accompagné la création, je me dis qu’il est peut être temps à 67 ans de prendre de la distance.

Donc ce Sacre est audacieux à plus d’un titre ?

Daniel Larrieu : J’ai vraiment travaillé comme j’aime travailler, c’est-à-dire sur l’écriture du mouvement. Je me considère encore comme quelqu’un qui écrit et qui tente dans chaque production de faire évoluer la notion d’écriture. Ça demande du temps d’écrire de la danse et sans nécessairement se servir de choses qui sont déjà préexistantes. Nous avons eu quasiment huit semaines de création pour une pièce de 35 minutes. Les conditions de production sont devenues extrêmement délicates pour beaucoup d’entre nous. Certains écrivent très vite. Moi, j’ai besoin de beaucoup de temps.

Ce solo a été écrit pour la danseuse Sophie Billon. Pourquoi elle ?
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Daniel Larrieu : Quand on m’a proposé Le Sacre du printemps, je savais très bien que je n’aurais jamais assez d’argent pour faire une pièce avec 40 personnes. Et c’est finalement assez désinhibant de se dire qu’après tout, puisqu’il y a déjà eu plus de 200 versions, on est tranquille pour en faire une de plus. C’était pour moi l’occasion de célébrer aussi la jeunesse. Avec Sophie, nous avons quarante ans d’écart. Je la connais depuis dix ans. C’est une fille qui dégage une grande puissance. Je ne doute en rien d’elle. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour son travail. Je savais qu’elle porterait ce Sacre de bout en bout. On a fait du sur-mesure extrêmement savant. J’ignorais qu’elle lisait la musique. Nous avons passé du temps dans l’étude de la structure musicale de l’œuvre.

Vous évoquez un autoportrait. En quoi vous racontez-vous ?

Daniel Larrieu : Je termine avec une pièce qui synthétise mes grands intérêts pour le mouvement, par exemple la capacité du dessin, la capacité rythmique des mouvements qui sont très géométriques. Je pense que Nijinski, le créateur du Sacre, a imposé un style de travail de lecture du corps. Il y a une graphie que j’ai toujours trouvé admirable, et donc comme c’est ma dernière pièce, j’y suis allé à fond.

À June Events, vous présentez Sacre en version studio, mais vous l’avez présenté aussi en version plein air. Vous aviez aussi envie de cette pluralité de propositions ?

Daniel Larrieu : Nous avons créé la pièce avec une version piano à quatre mains jouée par deux pianistes suisses. Un moment assez unique. Mais nous jouerons avec de la musique enregistrée. C’est plaisant d’imaginer aussi qu’on peut explorer cette pièce de différentes manières. À June Events, il s’agit d’une version sans fard, 100% proche de l’ambiance du studio. Nous l’avons aussi montrée en plein air, sous un arbre à la Maison Forte à Monbalen, près d’Agen en mai dernier. Il s’agit d’un tiers-lieu en milieu rural, un espace d’expérimentation. Le retour des habitants était magnifique. C’est beau de voir combien nous pouvons toucher des personnes éloignées de la danse. Ils partagent ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont ressenti. C’est très nourrissant !

Vous avez amorcé une sorte de virage dans votre parcours…

Daniel Larrieu : Je fais les choses plus tranquillement, à ma manière, peut-être sur un modèle plus underground. J’ai toujours aimé faire d’autres choses : jouer au théâtre, travailler pour le cinéma. J’ai continué à lancer des projets sans me fixer comme objectif un développement de compagnie sur un modèle industriel. Parce que je ne sais pas faire cela et puis, parce que ça ne m’intéresse pas. Je suis très inspiré par ce qu’on appelle la croissance zéro. J’essaie de continuer de développer des projets dans lesquels la danse est indirectement conviée.

En Haute-Savoie où vous êtes installé, vous avez recentré vos activités sur la pratique de la méthode Feldenkrais. Comment avez-vous rencontré cette approche corporelle ?
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Daniel Larrieu : J’ai commencé avec Claude Espinassier dans les années 1990 alors que je dirigeais le centre chorégraphique national de Tours. J’arrivais à la quarantaine. Et je commençais à avoir mal partout. J’ai continué à faire des stages en me disant qu’un jour je prendrai le temps de suivre une formation. Il y a beaucoup de danseurs qui pratiquent cette méthode aussi pour pouvoir travailler de manière un peu plus fine, qui interrogent vraiment la question autour du corps et la question autour du corps conscient.

Pourquoi dites-vous que c’est un « cadeau » que vous vous êtes fait ?

Daniel Larrieu : Parce que je ne me suis pas fait beaucoup de cadeaux, dans ma vie. J’ai attendu d’avoir la soixantaine pour suivre cette formation. Je continue de pratiquer cette méthode notamment à travers de leçons au Palais Lumière, un superbe musée à Evian. Je donne rendez-vous devant les œuvres aux personnes qui le souhaitent. Nous emmagasinons des sensations, des couleurs, une mémoire. Et ensuite l’accès à la méthode Feldenkrais permet d’aborder différemment les œuvres, de changer la qualité du regard. Ce n’est pas vraiment une méthode qui soigne, c’est une méthode qui fait prendre conscience. Face à la violence de l’actualité du moment, je rêve de cours de Feldenkrais à l’échelle du monde.

Quels sont vos autres projets ?

Daniel Larrieu : Écrire ! Il faut que je témoigne parce qu’en fait il y a eu très peu d’écrits sur ce travail des années 1980 dont je suis un des représentants. Il y a beaucoup de littérature sur la danse américaine, la danse japonaise, mais très peu sur la danse française. Qui se souvient de l’apport et de l’impact d’Odile Duboc pour la génération qui lui a succédée ? Les jeunes n’ont pas du tout conscience de ce qui s’est passé dans les fameuses années de la danse dite d’auteur.

Pourquoi avoir annoncé que c’était votre dernière pièce ?

Daniel Larrieu : Ça me permet d’envisager de vivre quelque chose qui soit plus tranquille, ni dans le ressassement ni dans la tristesse. On peut fermer des portes et en ouvrir d’autres. Je n’ai plus envie d’être seulement chorégraphe. J’ai envie d’être juste vivant. Ça ne veut pas dire que c’est une histoire qui se clôt. C’est plutôt un chapitre allégé qui débute. Après, nous sommes prêts à tourner cinq ans avec Sacre si les occasions se présentent !

Propos recueillis par Claudine Colozzi

Sacre de Daniel Larrieu
Le 7 juin 2025 à l’Atelier de Paris – CDCN dans le cadre du festival June Events
Durée : 35 mn

Tournée
27 juin 2025 en ouverture de L’inattendue ·  Maison de famille à Lunas
3 juillet au Festival Parterre à Plaigne (Aude) – version plein air

6 juillet 2025 au festival itinérant FORMAT ·  version plein air
19 juillet 2025 pour la Réouverture de la Buvette Cachat à Évian-les-Bains
11 octobre 2025 pour la Nuit de la Danse à l’Échangeur-CDCN Haut-de-France, Château-Thierry
20 décembre 2025 à la Scène nationale Le Moulin du Roc à Niort

Chorégraphie : Daniel Larrieu
Interprète : Sophie Billon
Musique : Le Sacre du Printemps, réduction pour piano à quatre mains, Igor Stravinsky, musique enregistrée, version des sœurs Bizjak, édition Mirare
Costume : Melina Faka

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