Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Ce n’était pas dans un théâtre, et ce n’était même pas quelque chose qu’on aurait appelé « art ». Plutôt un moment où le mouvement, l’émotion et la présence se sont alignés d’une manière qui dépassait le quotidien. Peut-être un truc anodin, comme voir ma professeure de ballet ajuster sa posture avant de montrer un pas. Il y avait dans sa précision dans sa technique, quelque chose qui m’a fasciné. L’« art vivant », c’est souvent involontaire, ça dépend du contexte. Les gestes du quotidien de ma grand-mère auraient pu être vus comme du « live art » aussi, si elle avait eu le même parcours que moi.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Il n’y a pas eu un moment précis, pas de révélation soudaine. J’ai commencé à danser enfant, et j’ai continué. À un moment, j’ai tout simplement eu l’idée que cela devienne mon métier. Et ce fantasme est devenu réel. Je crois que j’étais attirée par cette sensation électrique d’être exposée, par cette possibilité d’exprimer des choses et d’être vue. Comme si quelque chose de plus grand que moi m’avait poussée dans cette direction, sans que je puisse vraiment l’expliquer. Mon corps a su avant mon esprit, et il a continué à avancer jusqu’à ce que je sois complètement dedans.
Pourquoi être devenue danseuse et chorégraphe ?
Avant même de comprendre ce que ça voulait dire de « choisir » quelque chose, mon corps parlait déjà cette langue-là. Le ballet, c’était mon premier cadre. La danse contemporaine et la performance, c’est là où j’ai appris à casser les règles. J’ai commencé à créer mon propre langage pour essayer de libérer mon corps de ces carcans, pour affronter les fantômes qui y habitent, leur donner un nom, en faire des alter ego avec lesquels jouer. Faire mon propre travail, ce n’est pas juste un processus artistique, c’est souvent existentiel, parce que c’est tellement intense que ça finit par devenir une répétition de la vie hors scène. Pour moi, la chorégraphie, c’est un mélange d’archives, de sensations, d’histoires, de tout ce qu’on porte en nous sans toujours savoir comment le nommer. C’est mettre en lumière ce qui reste dans l’ombre.
Votre plus gros coup de cœur scénique ?
Il y en a trop pour en citer un seul, et la liste change tout le temps. Mais ce qui ne change pas, c’est que j’aime une œuvre quand elle me prend aux tripes. Ce genre de choc viscéral déclenche généralement quelque chose de plus profond, ça bouscule, ça fait évoluer, ça ouvre une nouvelle compréhension.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Celles qui m’ont transformée, même un tout petit peu. Les personnes qui m’ont fait revoir ma vision de la danse, de la performance, du lien avec l’autre. Celles qui ont osé être vulnérables et qui m’ont montré d’autres façons d’être présent·e, sur scène comme dans la vie. Certaines de ces rencontres, comme celle avec Rafaële Giovanola, durent des années, d’autres ne tiennent qu’en quelques minutes. Beaucoup ne savent même pas à quel point elles ont compté pour moi.
Votre travail est-il essentiel à votre équilibre ?
Pas du tout. Et c’est peut-être pour ça que je continue. La danse me met sans arrêt en déséquilibre. Elle m’oblige à m’adapter, à tomber, à me relever, à accepter l’incertitude. Mon travail me garde en mouvement, me pousse à la découverte, à la rencontre des autres, à la friction aussi. Cette instabilité, aussi inconfortable soit-elle parfois, c’est paradoxalement ce qui me fait me sentir le plus vivant·e.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Le corps, dans toutes ses contradictions. Sa façon de garder les souvenirs, de nous trahir, de nous surprendre avec des réactions incontrôlées. Les rencontres : comment les gens bougent, interagissent, se percutent. Et puis ces espaces entre deux choses : les silences dans une conversation, les malentendus heureux, ce moment juste après une étreinte, avant que les corps ne se séparent complètement. Ces endroits où le sens surgit sans prévenir.
Quel est votre rapport à la scène ?
C’est une relation compliquée, entre amour et rejet. La scène, c’est à la fois un refuge et un défi. Un endroit où je me sens vue, donc exposée. Parfois trop. C’est peut-être pour ça que j’aime les performances intimes, proches du public. Là, le rapport aux spectateurs change, ça devient presque tactile, même sans contact physique.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Chora de Rafaële Giovanola
Création le 7 octobre 2023 au Théâtre du Crochetan
Durée 60 min
Reprises
8 et 9 février 2025 à la Salle du Lignon dans le cadre du Festival Antigel
14 & 15 mars 2025 au Tanzfaktur, Cologne (DE)
04 mai 2025 au Theater im Ballsaal, Bonn (DE)
27 et 28 juin 2025 dans le cadre de MOVE! in town, Südbahnhof Krefeld (DE)
20 au 21 septembre 2025 à Poschiavo Lockremise (CH)
21 novembre 2025 à Tanz im Olten (CH)
22 au 24 novembre 2025 au Festival Hik&Nunk, La Gare Monthey (CH)
26 et 27 novembre 2025 au Aarau Reiterhalle (CH)
Dates passées
2 au 11 Novembre 2023 au Bonn Theater im Ballsaal
19 octobre 2023 au Ringlokschuppen Ruhr Mülheim (DE)
8 & 9 décembre 2023 au Cologne Tanzfaktur
mise en scène de Rafaële Giovanola
chorégraphie de Rafaële Giovanola en collaboration avec Martina De Dominicis et Álvaro Esteban
de et avec Martina De Dominicis, Margaux Dorsaz, Álvaro Esteban, Clémentine Herveux, Marin Lemic, Bojana Mitrovic, Evandro Pedroni // Jenna Hendry, Cristina Commisso, Colas Lucot
co-auteurs – Martina De Dominicis, Álvaro Esteban, Fa-Hsuan Chen, Susanne Schneider
composition de Franco Mento, Jörg Ritzenhoff
recherche sonore de Manuel Riegler
lumière, espace – David Glassey, Jan Wiesbrock
costumes de Fa-Hsuan Chen
dramaturgie, concept – Rainald Endrass