LA Terre d'Émile Zola, mise en scène d'Anne Barbot © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

La Terre, Anne Barbot fait résonner Zola au temps présent

Au théâtre Romain Rolland de Villejuif avant d’investir le TGP, la metteuse en scène s’empare du quinzième volume de la saga des Rougon-Macquart et plonge dans l’éprouvant quotidien des paysans du second empire, qui fait étrangement écho à celui des agriculteurs d’aujourd’hui. 

On entre chez le père Fouan (Philippe Bérodot), comme on le fait chez une vieille connaissance. La famille est à table. Les hommes jouent aux cartes et boivent l’apéro. Les femmes épluchent des légumes, préparent le diner et ne sont pas en reste. Le cidre maison coule à flots. L’ambiance est joyeuse. Les discussions vont bon train. La plus jeune de la tablée, une curieuse, n’hésite pas à demander à chaque arrivant son prénom et d’où il vient. Le quatrième mur est brisé. Témoins privilégiés, les spectateurs entrent dans la danse et vont suivre à la manière d’un feuilleton les rêves, mais surtout les désillusions et les déboires de ces paysans confrontés aux premiers bouleversements de l’ère industrielle. 

L’âge venant, le patriarche, veuf depuis peu, souhaite enfin se reposer après une dure vie de labeur. La solution est toute trouvée, faire don de ses biens à ses trois enfants en contrepartie d’une rente. Malheureusement, rien ne va se passer comme prévu. Ses chers enfants ne l’entendent pas de la sorte. Commencent alors les comptes d’apothicaire, les bassesses et les petites indignités. Le linge déballé sans ambages n’est pas beau à voir. Chacun dévoile son vrai visage. L’ainé (Benoît Dallongeville) est un butor sans foi ni loi. La cadette (Sonia Georges) une rapace sans cœur, flanqué d’un époux un brin faible (Benoît Carré), le benjamin (Ghislain Decléty) un alcoolique un peu fainéant sur les bord. S’ajoute à ce joli portrait, les deux nièces (Rebecca Finet et Milla Agid) plutôt sympathiques aux premiers abords du père Fouan et un charmant ouvrier venu de la capitale, Jean Macquart (Wadih Cormier). 

Bon an mal an, tout ce petit monde finit par céder aux ires tonitruantes du vieil homme. Mais assez vite, la réalité du monde agricole les rattrape. Les belles années de la terre touchent à leur fin. L’arrivée des machines, dont on entend les grondements au loin, entraîne inexorablement chutes, déchéances, faillites et suicides. Comme si déjà tous les malheurs de la paysannerie étaient inscrits dans cette période charnière de la fin du XIXe siècle, Zola évoque déjà la baisse inéluctable des cours des produits agricoles, le risque de l’automatisation à outrance, l’utilisation d’engrais chimiques pour plus de rendement, l’appât du profit au risque d’une déshumanisation des âmes, le besoin viscéral de toujours posséder plus, la concurrence étrangère…

Après avoir adapté L’assommoir où elle explorait avec une sensibilité accrue le monde ouvrier, Anne Barbot, avec la complicité d’Agathe Peyrard s’empare avec intensité du quinzième volume de la saga des Rougon-Macquart, comme le plus provocateur, tant il irriguait par la bestialité d’une ruralité, où l’amour bourru de la terre nourricière échauffe les sangs et exacerbe les pulsions. S’attachant à donner de l’œuvre une vision naturaliste et proche des réalités d’aujourd’hui, elle en gomme en partie les dimensions criminelles et meurtrières pour mieux innerver sa mise en scène d’une humanité éreintée et haletante.  

À la manière d’une artiste plasticienne munis de pinceaux, Anne Barbot peint chaque tableau qui compose cette fresque théâtrale avec un sens inné des corps et des émotions contrastées qui traversent chaque personnage. Avec une belle intelligence de plateau, refusant toute sophistication ou esthétisme superflu, elle donne chair aux mots de Zola et offre un bouleversant moment de théâtre. Portée par une troupe ayant la passion chevillée au corps, cette Terre déborde du plateau et nous engloutit. L’asphyxie n’est pas loin. Alors que le patriarche expire refusant de voir à jamais son monde s’engloutir, Jean lève le poing et enjoint tous les paysans à entrer dans la lutte. Son discours est éloquent. Résonne alors au plus profond de chaque spectateur, les paroles du chant révolutionnaire d’Eugène Pottier, « Debout ! les damnés de la terre ! Debout ! les forçats de la faim ! »


La Terre d’après le roman d’Émile Zola
Création le 20 janvier 2024 à L’Envolée, pôle artistique du Val Briard,Les Chapelles-Bourbon
Présenté jusqu’au 4 mars 2024 au Théâtre Romain Rolland de Villejuif
Durée 2h30 environ

Tournée 
6 au 21 mars 2024 au Théâtre Gérard Philipe – CDN de Saint-Denis (TGP)
5 avril à l’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
3 mai au Théâtre Châtillon-Clamart
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mise en scène d’Anne Barbot
adaptation d’Anne Barbot, Agathe Peyrard
avec Milla Agid, Philippe Bérodot, Benoît Carré, Wadih Cormier, Benoît Dallongeville, Ghislain Decléty, Rébecca Finet, Sonia Georges
collaboration artistique – Richard Sandra
dramaturgie d’Agathe Peyrard
scénographie de Camille Duchemin
lumière de Félix Bataillou
musique de Mathieu Boccaren
son de Marc de Frutos
costumes de Gabrielle Marty
construction du décor – atelier du théâtre Gérard Philipe

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