Teddy Bogaert et Jessis Chapuis © DR

Le duo Jessie Chapuis-Teddy Bogaert à la tête du Festival Louise

Au cœur de l’Isère, entre Lyon et Vienne, à Luzinay, Teddy Bogaert et Jessie Chapuis présentent la troisième édition du Festival Louise.

Teddy Bogaert et Jessis Chapuis © DR

Au cœur de l’Isère, entre Lyon et Vienne, à Luzinay, les deux jeunes artistes ont mis leur talent et leur engagement pour créer en 2020 un Festival à la Ferme. Loin de la ville, revenant sur les terres de son enfance, Jessie Chapuis, avec la complicité de Teddy Bogaert, présente le 26 août 2023, la troisième édition de cette événement culturel qui fait la part belle à l’humain et à l’environnement. Rencontre. 

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Quelle est la genèse du festival ? 

Jessie Chapuis : Ce festival est né en 2020 suite à la création du spectacle Le Loup avec l’acteur Romain Darrieu, inspiré de nos lectures de Jean Christophe BaillyBaptiste Morizot… Et de nos improvisations en forêt au sein du dispositif Création en cours – Les ateliers Médicis. La crise de la sensibilité dont parle Morizot dans ses écrits, nous avons essayé de la déjouer, de l’interroger en allant au plus près des gens. Et, comme ce spectacle a vu le jour en pleine crise du Covid au Festival T.A.T du Nouveau Gare Au théâtre, il a essuyé les difficultés des petites jauges, des annulations et des confinements, mais nous avons fait le pari de le tourner par la suite dans de nombreux lieux non labellisés, en Normandie notamment. Il a rencontré un joli succès public avec une centaine de personnes à chaque représentation. Les retours élogieux du public de tous horizons devant ce spectacle éminemment poétique nous ont convaincus de poursuivre l’aventure et de présenter la pièce dans le village de mon enfance et notamment dans une ferme. À cette occasion, Nous avions invité le spectacle plein air de Teddy BogaertLa folle allure, adapté à partir du roman de Christian Bobin. Comédien et metteur en scène qui est dans l’art comme dans la vie un être rassembleur, il s’est tout de suite impliqué dans l’organisation. C’est ainsi qu’est né le festival, soutenu par la mairie de Luzinay et l’association « Solidaires pour » et le Gaec Mas d’Illins (Ferme Laval). Depuis sa création, nous réunissons à chaque représentation pas moins de 200 spectateurs. Une belle gageure dans ce territoire rural. 

Teddy Bogaert : Quand on a organisé la première Edition le 27 août 2021, cet évènement était aussi une réponse à la pandémie et aux confinements qui venaient de nous contraindre pendant de longs mois. C’était une réponse aux fermetures des théâtres, aux rendez-vous manqués, au silence des œuvres d’art dont nous avions été privé.e.s. C’était un rendez-vous impromptu pour nous comme pour le public, où la magie a opéré, et qui depuis se renouvelle et a transformé cette spontanéité créative post-covid en rendez-vous annuel estival… C’est une belle revanche, qui a jailli comme les petites fleurs que l’on voit pousser à travers le bitume. 

Qu’est qui constitue son ADN ? 

Jessie Chapuis – Au regard de ce qui nous anime écologiquement et socialement, créer des œuvres artistiques au plus près des habitants prend tout son sens. Il est urgent de prendre soin du vivant, nous voulons que la poésie des mots ou des images redevienne un vecteur pour éveiller les sens. Posséder de nouveau son attention et la poser sur les êtres, sur « le dehors » grâce au théâtre. Tout au long de la journée, des producteurs locaux sont invités à vendre leurs produits, la famille Laval organise des visites de leur ferme pédagogique bio, et nous jouons plusieurs spectacles pour tous les âges. 

Teddy Bogaert : C’est aussi une grande chance pour nous de pouvoir « faire théâtre » de tout lieu et de toute situation. J’ai toujours aimé, en tant qu’acteur ou spectateur, les œuvres qui nous sortent des boîtes noires et des salles conventionnelles et qui viennent s’écrire dans la réalité des espaces publics. Ici dans un espace professionnel et rural. La confiance que nous accorde la famille Laval en nous laissant jouer dans cette ferme est une vraie chance, c’est pourquoi il me parait incontournable qu’à chaque édition, une forme inédite soit pensée, créée, pour le lieu. L’an dernier j’ai eu beaucoup de joie à raconter l’histoire de l’Arbre au grand cœur, à investir l’un des plus beaux arbres de la ferme en conviant les tout-petits et leurs parents sous ses branches, où j’avais suspendu des dizaines de livres de littérature jeunesse. 

Comment se fait le choix de la programmation ? 

Teddy Bogaert et Jessie Chapuis : Il y a trois éléments essentiels qui définissent, orientent nos choix de programmation. Le premier, et le plus évident, c’est le lieu, en plein air et pour ces trois premières éditions au sein d’une ferme. Nous ne transformons pas la ferme en théâtre, mais au contraire nous essayons que les spectacles la mettent en valeur : en pleine journée, dans l’herbe, avec un décor naturel déjà très puissant. Les spectacles tout-terrains et/ou pensés pour l’extérieur sont donc favorisés parce que plus adaptables. 
En second lieu, nous portons une attention particulière aux autrices et auteurs contemporains, mais aussi aux propositions d’écriture de plateau, d’improvisations. Nous sommes animés aussi bien par des propos en phase avec des questionnements sociétaux ou alors par des prises de paroles, des points de vue d’actrices, acteurs, autrices et auteurs d’aujourd’hui sur des sujets plus universels ou intemporels. C’est une joie pour nous, comme pour le public d’être au contact de créateurs-créatrices, de chercheurs- chercheuses d’art, c’est cette rencontre que nous tentons de favoriser. La rencontre avec l’artisan !
Et enfin, comme nous sommes avant tout des interprètes, créateurs- créatrices de spectacles, nous veillons à rester tous deux impliqués artistiquement dans l’une des formes proposées, soit en jeu, soit en mise en scène. Nous réinvitons avec plaisir de nombreux artistes présents aux premières éditions, ainsi un vrai échange se met en place avec le public, la mairie et les bénévoles depuis trois ans. C’est une famille de fin d’été qui se crée et se mélange. C’est aussi cela qui nous plait, et que l’on propose aux nouveaux artistes programmé.e.s. 

Comment s’organise une journée au festival Louise ? 

Teddy Bogaert : Cette année nous renouvelons l’expérience d’un atelier théâtre pour tous et toutes au milieu des champs : c’est un rendez-vous matinal qui mélange petits et grands, participant.e.s luzinayzard.e.s et des villages voisins ! Un moment pour se découvrir et mieux se rencontrer, pour se surprendre et jouer, que nous proposons Jessie et moi. Nous changeons chaque année d’axe, de jeux et expériences théâtrales en fonction des spectacles programmés dans la journée, comme une manière d’introduire les participant.e.s à ce qu’ils vont découvrir ensuite. 

Jessie Chapuis : Cette année et c’est la grande nouveauté, nous proposerons des ateliers autour de la fresque du climat, à laquelle j’ai participé l’année passée et qui vulgarise les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et nous permet de comprendre quels sont nos leviers d’actions individuels, pour ne pas être fatalistes et attentistes devant l’enjeu énorme qui nous attend dans le changement climatique et la prise de conscience trop lente des pouvoirs publics à ce sujet. Nous avons échangé́ avec nos fermiers hôtes, Laurence et Jérôme Laval, qui avaient déjà̀ fait la fresque du climat et qui sont actifs dans la bifurcation écologique. Et il était évident que la fresque devait avoir lieu pendant le festival – c’est le propre du théâtre d’être au cœur de la cité, connecté au monde dans lequel il évolue. 

Teddy Bogaert : En début d’après-midi, pendant que se poursuivent les visites de la ferme pédagogique et les ventes de produits locaux par les agriculteurs et agricultrices, le spectacle pour le tout-petit public et le spectacle jeune public jouent simultanément. Les enfants se répartissent selon les âges… Nous sommes très content.e.s cette année d’accueillir la Compagnie lyonnaise Coco L’Ipomée et ses artistes Alice De Murcia et Valentine Akai, qui présenteront Les Kamishibai de Coco : il s’agit de contes de papiers, qui mêlent voix de la narratrice et dessins colorés dans un petit castelet, comme le veut la tradition ancestrale japonaise. C’est une discipline très ancienne qui, nous semble-t-il, trouvera tout à fait sa place au cœur de la ferme. Et surtout c’est important que le Festival Louise programme des artistes de la région lyonnaise, qui travaillent toute l’année sur ce territoire, notamment avec le jeune public. 
En parallèle, c’est l’artiste Paul Balagué de la Compagnie En eaux troubles qui présentera La Jeune Fille et la flûte, pour les plus grands enfants. Inspiré par son enfance dans les montagnes d’Ariège, Paul questionne le rapport de l’enfant au monde en transition dans lequel il grandit. Une réponse par l’imaginaire aux catastrophes écologiques qui caractérisent le monde d’aujourd’hui… 

Jessie Chapuis : Puis en fin d’après-midi, nous proposons deux spectacles tout public. Le premier est un seul en scène Chantalle grand chelem de l’actrice Barbara Atlan qui déjoue les codes du théâtre masqué par un spectacle d’improvisation créé́ avec Vanessa Bile-Audouard. Ce spectacle avait été présenté notamment au festival WET de Tours. C’est un spectacle autour du sport, du jeu et du dépassement de nos échecs. 
Le second spectacle tout public est Madame Shakespeare, la première création de la compagnie de Teddy (La Cie du Coup Monté). Il s’agit d’une œuvre qui retrace 20 ans de la vie de William Shakespeare, du point de vue de son couple et de l’histoire d’amour qu’il a partagé́ avec Anne Hathaway, son épouse. C’est un spectacle qui met en lumière cette femme restée dans l’ombre derrière l’auteur et raconte les coulisses de la création d’une œuvre d’art. 
Nous clôturerons cette année le festival avec le concert dansant d’Agathe Favre, notre Luzinayzarde qui s’est faite connaître à sa fenêtre pendant le confinement, puis je proposerai une mini performance « Ça ira mieux demain » dans laquelle plusieurs camarades, la plupart actrices et acteurs des éditions précédentes jouerons, improviserons pendant ce bal populaire. J’espère aussi que nous intègrerons à la fiction de notre performance, le tirage de la tombola à laquelle les spectatrices et spectateurs auront joué dans la journée. 

En quoi c’est important d’ancrer un festival dans le terroir ? 

Jessie chapuis : Cette question prolonge la genèse du festival, pour ma part je vis à Paris mais je suis originaire justement de Luzinay, ce village de campagne situé entre Vienne et Lyon. Avec ce festival, je poursuis ma recherche artistique sur « accepter de ne pas tout comprendre ». Comment on vient avec une œuvre poétique et exigeante devant tous types de public notamment ceux qui ne vont pas au théâtre ? Je crois, tout simplement, en ne préjugeant jamais des goûts et des sensibilités de ceux qui n’y vont pas. Il y a pour moi quelque chose d’un peu snob et saugrenu dans le fait de croire que les gens qui ne vont pas au théâtre ne pourraient être rassurés que s’ils voient une proposition réaliste où tout serait intelligible et y seraient sensibles ipso facto. En revanche à chaque édition, je rappelle que cela est normal de ne pas tout comprendre, que ça n’a rien à voir avec les études et la culture, que c’est le propre de l’art et que bien souvent lorsqu’on veut nous faire tout comprendre, c’est qu’on a quelque chose à nous vendre. Et qu’ici, il n’y a rien à vendre ! Par ailleurs, ce complexe là ne se retrouve pas que chez les habitants des territoires ruraux, je rencontre de nombreux parisien.nes qui ont fait des grandes études et qui sont paniqué.e.s dès qu’iels sont face à une proposition théâtrale ou même picturale qui ne leur est pas immédiatement intelligible. Je lutte à mon petit niveau contre cette rationalité́ à tout prix, la poésie est pour moi un des chemins les plus sûrs vers la sensibilité, la nuance et la singularité. Je crois que c’est éminemment politique de laisser de la place aux œuvres poétiques, c’est ce qu’Yan Allegret et Diane Landrot nous avaient permis en accueillant Le Loup et c’est ce que nous nous autorisons avec la création de ce festival à Luzinay. Le festival est né de cette recherche et il en est devenu une pierre essentielle, et nous travaillons passionnément avec Teddy à poursuivre ce geste et à l’enrichir. 

Teddy Bogaert : Le festival se tient sur une journée, qui se doit d’être accessible financièrement pour tous les budgets. On travaille avec la mairie à rester sur des tarifs abordables et symboliques : un billet à la journée, gratuit pour les touts petits, de 5 Euros pour les 5-17 ans et de 15 euros pour les adultes. Ainsi, on reste sur une proposition complète du matin au soir, ou chacun.e est libre de composer son programme comme iel l’entend, au fil des représentations. Les bénéfices de la buvette sont reversés à l’association « Solidaires Pour » qui œuvre pour les familles démunies. Ce qui nous ravit aussi c’est que l’évènement commence à être identifié par les agriculteurices et producteurices locaux.ales (qui demandaient déjà̀ à se réinscrire pour la prochaine édition à peine le festival terminé l’année dernière !). Leurs ventes respectives (produits laitiers, miel, pains, savons, etc.) ont beaucoup de succès depuis deux ans, iels repartent les stocks vides, et surtout permettent au public de découvrir des artisans voisin.e.s qui travaillent sur un commerce de proximité́ en circuit court. 

D’où vient ce nom, Festival Louise ? 

Jessie Chapuis :  Mon arrière-grand-mère Anne Marie Louise surnommée Zize rêvait d’être chanteuse, à cette époque, devenir chanteuse dans un petit village était impensable. Anne Marie Louise était boulangère mais elle a créé́ dans son temps libre L’amicale Laïque de Luzinay où elle faisait chanter, jouer et danser les jeunes filles du village. Avec l’argent récolté lors des représentations, elle emmenait les jeunes filles à Paris pour aller voir des spectacles et par la suite pendant la guerre, l’argent des spectacles était donné aux prisonniers de guerre ! En somme, elle a créé la première école de théâtre à Luzinay. 
Anne Marie Louise et son mari Jean Joseph dit Louis ont été nommés avec Gabriel Boulud – le maire de Luzinay dans les années 40 – « Justes parmi les nations » en 2017. Pendant la Seconde guerre mondiale, Zize et Lili, âgés de 33 ans ont caché chez eux, dans la boulangerie de Luzinay, deux enfants juifs qu’ils ne connaissaient pas ; Jean et Nadine Dreyfuss. Luzinay à cette époque ne faisait plus partie de la zone libre. Entre eux – il y a un prénom « Louis-e »— qui peut symboliser les terres de Luzinay comme des terres de refuge, de liberté́ et d’art ! Avec Teddy, nous avions envie de faire un lien entre cette histoire et celle du festival qui depuis sa création et, cette année encore, programme de nombreux spectacles dont les titres sont des noms de femmes « La petite fugue, Suzanne, Agathe, Barbara, Anne Hathaway, Chantal...», c’est pourquoi nous avons proposé́ aux équipes, ce nouveau nom de festival : Festival Louise – Théâtre à la ferme ! 

Que peut on vous souhaiter ? 

Teddy Bogaert : On espère évidemment que le public et le soleil seront toujours au rendez-vous pour cette troisième édition : en famille, entre ami.e.s ou même en solitaire ! Nous avons énormément travaillé pour la préparation de cette édition 2023, car si le festival se poursuit pour une troisième édition – déjà ! – notre enthousiasme à l’imaginer est aussi grandissant ! 
Souhaitons-nous aussi que nous puissions rassembler davantage de partenaires et de soutiens au fil des éditions, notamment des institutions publiques. Notre prochain objectif sera de passer d’une journée dans une ferme, à deux jours dans deux lieux différents et donc agrandir encore la programmation et les divers rendez-vous inédits. 

Jessie Chapuis : L’année dernière pendant l’atelier théâtre, il y avait les enfants et une partie des parents de deux familles en désaccord pour un problème de voisinage à Luzinay, après le festival, ces familles se sont appelées et ont trouvé un terrain d’entente. Le théâtre c’est se rencontrer, prendre le temps d’échanger, de se connaître. Pendant l’atelier théâtre intergénérationnel on improvise, on rit, on se présente, on invente des histoires par le biais du théâtre alors souhaitons-nous oui, des rencontres artistiques et humaines fortes ! Et une autre histoire pour finir, une comédienne parisienne Marine Garcia-Garnier qui jouait l’année dernière dans le spectacle Suzanne est dans le métro à Paris, une dame l’aborde et lui dit « Mais je vous connais, je vous ai vu jouer ». Elle s’attendait à beaucoup de choses mais pas à ce qu’elle lui dise « Je vous ai vu jouer au festival Théâtre à la ferme de Luzinay » ! En août, la cour du palais des papes d’Avignon est à Luzinay, sur la colline, dans une ferme ! 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Festival Louise – Théâtre à la ferme
Ferme Laval
38200 Luzinay
le 26 août 2023

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