Tao Dance Theater © DR

En juillet, Venise dansait de l’Arsenale au théâtre Malibran… 

À Venise, la Biennale Danza 2023 a fait la part belle à la troupe chinoise du TAO Dance Theater, qui a illuminé cette édition en demi-teinte.

Tao Dance Theater © DR

La Biennale de la danse 23 orchestrée par le chorégraphe britannique Wayne McGregor pour la troisième année, s’est terminée en beauté grâce à la compagnie chinoise Tao Dance Theater. Le reste n’était pas à la hauteur.

14 (Numerical Series) di TAO Dance Theater © Andrea Avezzù 

Les différentes Biennales (cinéma, architecture, théâtre, danse) offrent à l’« isola » Venezia de ne pas être isolée en jetant des ponts avec tous les continents : les compagnies venant ainsi du monde entier permettent de prendre le pouls de la chorégraphie contemporaine ainsi que de l’état de nos sociétés. Vif ? Lent ? Mesuré ? arythmique ? Absent ? Celui de l’édition 2023 battait sa coulpe : pas de grande révélation, quelques noms connus : Oona Doherty et Rachid Oumamdame, d’autres moins… un Lion d’Or for Lifetime achievement- à travers une exposition avec le MOCA de Los Angeles, à la grande pionnière italo-américaine Simone Forti, compagne de belles routes d’Yvonne Rainer et de Trisha Brown dans? les fameuses années 60 à New York ; un rendu enthousiaste mais pas indispensable par les 16 apprentis danseurs du Collège Biennale d’une pièce Duets (extended !!!) de William Forsythe (ouille !!!!) et une de Xie Xin, chorégraphe chinoise dont on verra à la rentrée la création à l’Opéra de Paris dans le programme commun aux côtés de Crystal Pite et Marion Mottin. Enfin et heureusement, la fin de la Biennale justifiait cette peu remarquable moyenne avec les trois pièces de la compagnie chinoise Tao Dance Theater.

Plus de soupirs que d’enthousiasme
Pendulum de Lucy Guerin et Matthias Schack Arnott © Andrea Avezzù -  Courtesy La Biennale di Venezia
Pendulum de Lucy Guerin et Matthias Schack Arnott © Andrea Avezzù 

Passons donc sous silence le soporifique Pendulum de l’australienne Lucy Guerin malgré le travail musical intéressant de Matthias Schack-Arnott, la (mauvaise) chute en enfance du suédois Pontus Lidberg et de ses lapins en peluche. Nous n’avons pas pu voir Luna Cenere ni Andrea Peña, tous deux vainqueurs de la Biennale Danza 23. Arrivons donc à la Tao dance theater, Lion d’argent 23, connue déjà en Europe, le Théâtre de la Ville par exemple l’ayant invitée à plusieurs reprises. 

Le chorégraphe chinois Tao Ye a produit dans le ciel vénitien une sorte de révolution au sens propre du terme, puisque le « mouvement circulaire » est la base de son langage travaillé au corps par la fluidité et la force des arts martiaux et l’intensité de la concentration méditative. C’est de lui et de sa formidable compagnie dont on se souviendra même si la première pièce 11 laissa une impression étrange, qu’entraîne, inévitablement, son côté trop démonstratif.

Une troupe chinoise au firmament vénitien
11 (Numerical Series) di TAO Dance Theater ©  Andrea Avezzù  - Courtesy La Biennale di Venezia
11 (Numerical Series) de TAO Dance Theater © Andrea Avezz

Avant de fonder la Tao DT en 2008 avec la danseuse et chorégraphe Duan NiTao Ye a travaillé avec la Shanghai Army Song et la Beijin Dance Company. Leurs pièces est titrées du chiffre de leur arrivée dans le répertoire ainsi que du nombre d’interprètes présents sur scène. Si celles présentées à Venise étaient intitulées 111314 (nous ignorons ce qui est arrivé à 12), il faut rajouter devant ces chiffres le mots « Weight x » (poids multiplié par…). Ceci peut sembler énigmatique mais éclaire pourtant très justement ce que le duo de chorégraphes met en scène dans l’espace et sur les plateaux. Tout dans ce travail est affaire de poids dans ces « balances » (équilibre en anglais), d’équilibres insensés, de gravité extrême, de portés stupéfiants où le corps s’envole et tombe et tombe encore pour s‘envoler à nouveau…et surtout d’une constante ligne sinueuse et paradoxalement rigide, une sorte de courbe qui se décline en ondulations telle une queue de dragon, une démarcation sur la scène, un ensemble qui se désintègre, se reforme sans se réformer, parfois un module de deux, trois, quatre danseurs, jamais plus ensemble… Mais soudain, un danseur se détache, et un solo s’épanouit, dansé par une rare personnalité dont la qualité, la beauté extraordinaire de la danse fascine, c’est le danseur Yan Yulin. Ensuite la ligne reprend ses droits, ses caractéristiques de « régulation », de respirations saccadées ou de déglingage se retrouvent dans 1113 et 14

Ce travail sur le groupe, le compact, le « un », est une des composantes que l’on retrouve de Sharon Eyal à Crystal Pite, de Xie Xin à Christos Papadopoulos (ce dernier est programmé en septembre à la Biennale de la Danse de Lyon).  

Mais que montre Tao Ye dans les deux dernières, les plus récentes ? Un soupçon de désordre, une touche de face-à-face qui laissent transparaître la violence comme la compassion, le rejet comme la tendresse : des êtres humains victimes de la force qui doivent être recueillis et soignés… cette image ramène à d’autres, réelles, celles d’oppositions aux forces armées, quelles qu’elles soient, où qu’elles soient. 

De l’international à la Chine intérieure
13 (Numerical Series) di TAO Dance Theater © Andrea Avezzù  - Courtesy La Biennale di Venezia
13 (Numerical Series) de TAO Dance Theater © Andrea Avezzù

Pendant trois années, la compagnie de Tao Ye n’a pu, à cause de la pandémie, tourner internationalement comme elle en avait l’habitude. Personne ne pouvait sortir de Chine, le gouvernement, dont elle reçoit quelques subventions, lui a demandé de présenter son travail en Chine. Elle a découvert les conditions de tournée des artistes sur le territoire et n’a presque pas pu renflouer ses caisses. Ce qui plonge l’avenir de la compagnie dans le flou le plus total, car Tao Ye ne sait même pas si ? la compagnie pourra continuer à se produire et donc pourra-t-il faire croître le groupe selon la ligne qu’il s’était fixée à partir de sa première création Weight x 3 ?

 Souhaitons que 14, tout en couleurs vives et claquantes comme des drapeaux, puisse être vu dans le reste du monde- plusieurs programmateurs européens présents à Venise souhaitaient les inviter pour leurs prochaines saisons- et que 1516, etc. lui succèdent.

Un regret et donc un souhait pour la Biennale : pourquoi ne pas utiliser les merveilleuses places de Venise, ses fameux « campi », pour montrer à tous les publics, les touristes comme les Vénitiens, ce que la danse provoque dans des lieux moins habituels que les boîtes noires des théâtres ? Tout le monde y gagnerait : spectateurs, chorégraphes, danseurs ! Cela s’est fait dans le passé, pourquoi ne pas renouer avec cette tradition ? 

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Venise

La biennale Danza 2023
Le 17e festival international de danse contemporaine
du 13 au 29 juillet 2023

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