Dolores - Sitruk - Joséphine Thoby - Virginie Lemoine © Frédérique Toulet

Olivier Sitruk chamboule les festivaliers d’Avignon

Au Théâtre actuel d’Avignon, "Dolores" de Yann Guillon et Stéphane Laporte, mise en scène par Virginie Lemoine, met en lumière un héros malgré lui.

Dolores - Sitruk - Joséphine Thoby - Virginie Lemoine © Frédérique Toulet

Au Théâtre actuel d’Avignon, Dolores, la très belle pièce de Yann Guillon et Stéphane Laporte, mis en scène avec esprit par Virginie Lemoine, met en lumière un héros malgré lui pris dans la tourmente du nazisme. Une histoire vraie captivante et bouleversante.

© Frédérique Toulet

Le nazisme a fait règner sur l’Europe une horreur indescriptible aux couleurs d’apocalypse. De nombreuses fictions littéraires, cinématographiques et théâtrales reviennent sur le sujet comme un devoir de mémoire, pour ne pas oublier qu’un jour, l’humanité a perdu son âme. Mais dans ces heures sombres, des femmes et des hommes se sont levés héroïquement, demeurant souvent anonymes. Nous leur devons beaucoup.

Une équipée de douleur, de fureur et de rage.
Dolores - Sitruk - Feroleto - Virginie Lemoine © Frédérique Toulet
© Frédérique Toulet

Sylvin Rubinstein aurait pu rester dans l’ombre, garder pour lui ses souvenirs. À l’approche de la mort, l’octogénaire décide de se confier à un journaliste. Celui-ci en fait le sujet d’un épisode des Oubliés de l’histoire. Yann Guillon et Stéphane Laporte tombent dessus. Happés par le récit, ils décident d’en faire une pièce. On ne peut que les en remercier, car cette histoire est incroyable. « Un héros ? Non. J’étais un innocent. Ils ont fait de moi un assassin. ».

Sylvin Rubinstein et sa sœur jumelle Maria sont les petits bâtards d’un prince russe, pays du pogrom, et d’une mère juive polonaise. Ils sont nés en 1917, date de la Révolution bolchévique. Devant fuir le péril rouge, leur mère rentre chez elle à Brody, petite bourgade où ils seront traités comme des étrangers. La petite Maria est douée en tout, ce vaurien de Sylvin en rien. Les temps sont durs et les enfants gagnent leur vie en dansant sur les marchés. Ils sont doués et ont pour spécialité le flamenco. Chose assez surprenante ! À l’adolescence, sous le nom d’Imperio et Dolores, le duo va se produire dans le monde entier. Puis la Seconde Guerre mondiale éclate, leur univers s’écroule.

Magistrale transformation d’Olivier Sitruk

Lors de l’invasion de la Pologne, ils se produisaient à l’Adria, grand cabaret de Varsovie. Envoyés dans le ghetto, ils vont s’en échapper. Sylvin entre dans la résistance sous les ordres Kurt Werner, un officier allemand de la Wehrmacht. Vous avez bien lu. Maria part rechercher leur mère à Brody. Elles n’en reviendront pas. Anéanti, Sylvin se travestit et devient Maria. Sous ses traits, il va venger la mort de sa sœur et devenir un tueur de nazis. Qui a peur d’une femme, d’une danseuse de flamenco ? Sa cavalcade durera bien au-delà de la chute d’Hitler.

La pièce démarre sur l’image du vieil homme entrant dans ce qui fut autrefois l’Adria. Des fastes d’antan, il ne reste plus rien. La nostalgie envahissant son cœur et sa pensée, il raconte au barman blasé son passé. Il n’est pas facile de jouer les vieillards sans tomber dans la caricature. La transformation d’Olivier Sitruk est admirable. D’un léger tremblement de la main, le dos voûté, la voix plus traînante, et voilà, il a mille ans ! Puis, au détour d’une évocation, il se lève et redevint le jeune homme de vingt ans. La prestation du comédien est éblouissante, il glisse avec une belle agilité sur le fil fragile des émotions. Même en robe de flamenco, il demeure crédible et sensible. C’est magique.

Une pièce chorale aux images fortes

Virginie Lemoine signe une mise en scène remarquable. Elle utilise le plateau vide, sur lequel est placé une table, deux tabourets et en fond de scène des voilages accrochés. Les jeux de lumières, de projections vidéo, les déplacements des meubles nous font passer d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre, sans que jamais l’on ne se perde. Visuellement, c’est très beau.

Sa direction d’acteurs a la précision d’un horloger. Joséphine Thoby incarne avec une belle délicatesse la douce et belle Maria. Celle qui aura pour toujours vingt-cinq ans ! La jeune comédienne est une découverte. Le virtuose François Feloreto irradie de son talent les divers personnages qu’il interprète. Puisqu’il est question de Flamenco, il fallait un univers musical. Une danseuse (Sharon Sultan), un danseur (Ruben Molina), un chanteur (Cristos Cortes), un musicien (Dani Barba) sont intégrés à la narration. Ils apportent la touche harmonieuse qui fait retentir toute la force de ce flamenco qui a épaulé Sylvin tout au long de son existence. La salle frémit et les applaudissements retentissent avec force, saluant à tout rompre le courage et l’audace d’un être courageux qui méritait cette belle mise en valeur.

Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon

Dolores de Yann Guillon et Stéphane Laporte
Festival Off AvignonThéâtre Actuel
80 rue Guillaume Puy 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet à 17h35, relâche les 12,19 et 26, suppl. les 11, 18 et 25 juillet à 11h45
Durée 1h20

Mise en scène de Virginie Lemoine,
assitée d’André Laury
Avec Olivier Sitruk, François Feroleto, Joséphine Thoby, Sharon Sultan, Ruben Molina, Cristo Cortes, Dani Barba
décors de Grégoire Lemoine
Costumes de Julia Allègre. Lumières et vidéo de Mehdi Izza
Création sonore de Vincent Lustaud
Chorégraphies de Marjorie Ascione

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