J'ai remonté le fleuve d'Ulrich N'Toyo au festival des langues françaises ©DR
J'ai remonté le fleuve d'Ulrich N'Toyo ©DR

À Rouen, les langues françaises au pluriel

Pour sa cinquième édition, le Festival des langues françaises, à Rouen, propose des lectures de textes contemporains venus des quatre coins de la francophonie. Certaines écritures se confirment et s'affirment, d'autres se laissent découvrir avec enthousiasme.

J'ai remonté le fleuve d'Ulrich N'Toyo au festival des langues françaises ©DR

Pour sa cinquième édition, le Festival des langues françaises, à Rouen, propose des lectures de textes contemporains venus des quatre coins de la francophonie. Certaines écritures se confirment et s’affirment, d’autres se laissent découvrir avec enthousiasme.

Lecture de J’ai remonté le fleuve d’Ulrich N’Toyo ©DR

Depuis cinq ans, Rouen et son Festival des langues françaises se fait une place dans une cartographie de la francophonie dont les pôles de références sont Limoges et ses Zébrures, la Cité internationale des Arts de Paris et la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Du 2 au 5 mai 2023, le CDN rouennais réunissait cette année des auteurs du monde entier dans une programmation assez maline. Le spectateur circule d’un lieu à l’autre, de lectures en mises en espace. De quoi éviter d’endormir le public en face de pupitre alignés.

Onze propositions se disputent les différents lieux du CDN – théâtre des Deux Rives, théâtre de la Foudre, #LaboVictorHugo, et quelques lieux en plein air. Ronan Chéneau, directeur de l’événement, défend une programmation qui panache les nationalités, évidemment, mais aussi les niveaux d’exposition, des auteurs plus connus, d’autres moins, pour provoquer la découverte.

Focus sur les caraïbes
Port au prince et sa douce nuit au Festival des langues françaises
Port-au-Prince et sa douce nuit de Gaëlle Bien-Aimé mise en scène par Lucie Berelowitsch ©DR

Les yeux rivés sur les caraïbes, cette cinquième édition met à l’honneur Gaëlle Bien-Aimé, incontournable de la scène haïtienne, dont étaient présentés des extraits de la pièce Tranzit ainsi qu’une mise en espace Port-au-Prince et sa douce nuit, lauréate du non négligeable prix RFI Théâtre 2022. Ce second texte était déjà connu des spectateurs des Zébrures du Printemps, à Limoges, et de Re.Génération, à Paris, puisqu’une lecture y était présentée, dirigée par Lucie Berelowitsch. Entre la directrice du Préau et le texte de l’Haïtienne, l’histoire se poursuit et le même duo de comédiens monte sur les planches dans une nouvelle étape de travail.

Sonia Bonny et Lawrence Davis sont Zily et Férah, un couple d’Haïtiens aux prises avec leurs relations à Port-au-Prince. Si la nuit qui les réunit est douce dans le titre que lui donne Bien-Aimé, ce n’est que dans cette chambre nuptiale que l’on imagine chaude et préservée en apparence. Mais dehors gronde le désordre d’une ville plongée dans l’instabilité la plus grande, et le chaos imprègne quand même subrepticement le nid. Zily crie la douleur de voir cette ville, dans laquelle elle allait encore danser la nuit quelques années plutôt, criblée de balles. Férah tait sa douleur. Il y a celle qui parle et celui qui garde les mots en lui pour continuer à envisager sa vie en Haïti.

Dans une mise en scène qui prend doucement forme, l’appartement est le négatif d’un extérieur mis à vif par l’instabilité politique, laquelle est d’ailleurs étrangement surlignée par deux photos d’actualité étendues en grand sur les murs. Porté par un beau duo d’acteurs, le texte, au gré de belles descriptions de la ville comme une ode à un être perdu, établit un rapport classique, mais rendu ici passionnant, entre l’intime et le reste du monde.

Langue coloniale
Lecture d’À contre-courant, nos larmes ! d’Emmelyne Octavie mise en scène par Olivier Lopez ©DR

Du côté des caraïbes françaises, avec sa pièce À contre-courant, nos larmes !, Emmelyne Octavie questionne la transmission de la culture française jusque dans les eaux du Haut-Maroni, en Guyane. Décrivant les doutes et les douleurs de jeunes de la petite communauté autochtone des Wayanas, sujette jusqu’à aujourd’hui à de récurrentes vagues de suicide, l’autrice examine les causes d’un mal-être qui germe dès l’enfance. Dans trois villages plus perdus les uns que les autres et leur école, les jeunes sont pris en étau entre l’apprentissage autoritaire de la culture et la langue françaises et la fidélité aux traditions qui précédaient l’arrivée du colonisateur.

Le sujet de la langue, crucial dans ce qu’il cristallise des rapports de domination sur le territoire, donne lieu à une matière théâtrale riche, dense, où l’apprentissage de la Marseillaise s’oppose à la survivance en péril d’une culture propre aux populations autochtones. Dans une mise en scène d’Olivier Lopez, les élèves du Conservatoire de Rouen incarnent ces âmes tourmentées au milieu d’une ancienne salle de classe transformée pour l’occasion en plateau quadrifrontal, et mettent en lumière la souffrance de ces populations oubliées du territoire français.

Poésie signée
Prouve-le de Lucie Vérot au Festival des langues françaises ©DR
Lecture de Prouve-le de Lucie Vérot mise en scène par Lucie Alamichel ©DR

D’autres propositions viennent étoffer cette édition. On peut entendre de deux textes de l’auteur congolais Ulrich N’Toyo, J’ai remonté le fleuve et Le Bourdon, en version in situ dans trois quartiers de la métropole, ou l’évocation taboue de l’homosexualité en Iran dans Légendes urbaines de Saeed Mizraei. Des jeunes de quatorze à dix-sept ans donnent vie à Prouve-le, un texte de la française Lucie Vérot, qui s’empare de la question brûlante du complotisme.

Mais la diversité de la francophonie ne s’imagine pas sans la langue des signes française (LSF). Ainsi, François Brajou, auteur et comédien montpelliérain, propose une lecture, signée puis traduite en français, de poèmes de sa composition. Courts, parfois proches du haïku, les textes sont un aperçu d’une méthode d’écriture éloignée de nos habitudes d’entendants, qui s’accomplit simultanément dans les mots et dans les gestes. Et qui peine à trouver ses lieux de diffusion, car trop minoritaire. Pour cela, on fait bien de passer à Rouen.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Rouen

Festival des langues françaises
CDN de Normandie-Rouen
Théâtre des 2 Rives
48 rue Louis Ricard, 76000 Rouen

Du 2 au 5 mai 2023

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