L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer, Thibaud Croisy © Hervé Bellamy

Thibaud Croisy, une conception homosexuelle de Copi

Vue au Théâtre de la Cité internationale quelques mois après sa création au T2G, la mise en scène de la pièce de Copi par Thibaud Croisy passera par Nantes fin novembre. Réussite fulgurante, L'Homosexuel prouve que la pensée et l'imaginaire de Copi ne s'assèchent pas.

L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer, Thibaud Croisy © Hervé Bellamy

Vue au Théâtre de la Cité internationale quelques mois après sa création au T2G, la mise en scène de la pièce de Copi par Thibaud Croisy passera par Nantes fin novembre. Réussite fulgurante, L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer prouve que la pensée et l’imaginaire de Copi ne s’assèchent pas.

Le théâtre de Copi brûle ; il est curieux de le redécouvrir, cinq décennies après, mais une pièce comme L’Homosexuel trouve dans le présent un terrain toujours propice à la guerrilla anar et libertaire qu’elle mène dans le théâtre et face au monde. Louis Arene le montrait dans 40° sous zéro, diptyque dans lequel la pièce de 1971 s’élargissait au-delà des seules questions gays dans une forme baroque et extravagante. Thibaud Croisy, lui, la livre dans un écrin métallique et éthéré, aux antipodes du dégoulinement voire du dégueulis que l’on imaginerait facilement recouvrir les murs de la maison où vivent Madre et Irina, duo impossible partageant une relation ambigüe, à la fois filiale et amoureuse.

À l’intérieur de ce cadre métallique gris-bleu pensé par Sallahdyn Khatir, bordé d’un rideau-tunnel qui semble tressé de fil de fer, les couleurs sont celles du jeu, portées par le trio brillant de comédiens qui laboure le plateau. D’abord Helena de Laurens, que nous avions découverte dans Jeanne Dark de Marion Siéfert, en Irina, la succube délirante et enfiévrée. Frederic Leidgens, connu chez Gosselin, Nordey ou Meyssat, donne à Madre un élan de marâtre ultramaniérée et virevoltante. À côté, la Garbo d’Emmanuelle Lafon reste stoïque et glaciale, déliant chaque syllabe avec une précision chirurgicale.

L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer, Thibaud Croisy © Hervé Bellamy
Diva corrida

Thibaud Croisy a déjà évoqué la corrida dans les écrits accompagnant la pièce, et il y a effectivement de cela : l’arène immaculée accueillant progressivement la salissure, et Irina, au centre, qui saigne comme un taureau. Un espace presque vide se remplissant d’intonations et de mouvements étranges — très chorégraphique, cet Homosexuel est aussi un imagier de postures pétri de fascination pour la performance, notamment celle du genre. En cela, Thibaud Croisy assume un sens du geste à la fois précieux et réjouissant, avec l’idée que la distribution elle-même est déjà le lieu d’une composition d’ordre esthétique. Cette conception du jeu du comédien comme un matériau spectaculaire redonne vie à un théâtre de divas, impétueux, direct et hédoniste.

L’Homosexuel n’est une exploration du sujet qui lui donne son titre que par le détour. Et si cette fable absurde et amorale reléguée dans les profondeurs de la Sibérie se garde bien de délivrer un message, elle n’en dialogue pas moins avec le présent, celui de 2022 comme celui de 71. Revoir Copi permet de remettre la pensée philosophique sur la table, au-delà des questions dites de société. On peut le chercher longtemps, l’homosexuel du titre, sans le trouver ; en même temps, on ne voit rien d’autre que ça si l’on renoue avec une partie de l’héritage théorique de Hocquenghem, dont Copi fut le compagnon, qui revendiquait une « conception homosexuelle du monde ». Ces homosexuels sont abstraits à une essence de machines désirantes en dehors des clous dans des corps hermaphrodites ou transgenres, remués par des dynamiques de pouvoir instables et mouvantes.

L'Homosexuel ou la difficulté de s'exprimer, Thibaud Croisy © Martin Argyroglo
Un enjeu d’acteurs

Pour exécuter ce programme, et Thibaud Croisy le sait bien, il est nécessaire d’aller chercher une sophistication d’avant-garde. Et même si la mise en scène s’en tient dans une grande mesure à une rigueur et une épure d’apparence bourgeoise qui éprouvent quelques petits affaissements au cours de la pièce, elle pousse aussi ce qu’il y a de vibrant, de débordant dans le texte de l’auteur argentin, justement en faisant le choix de ne pas l’ensevelir sous une masse d’effets mais d’en faire presque exclusivement un enjeu d’acteurs.

Les personnages de la pièce sont autant de rappels au fait que la communauté queer est au départ définie par une créativité dans les pratiques qui n’est pas que le fait de l’exclusion de la loi mais d’esthétiques de l’existence, pour citer Foucault, situées hors des normes. Et aussi, surprise, que ses individus sont couverts de merde et de sang : loin des glorifications idéologues, Copi porte un regard courageux sur la noirceur et la saleté qui existent en chacun. Les personnages de la pièce (citons, pour compléter, les très bons Arnaud Jolibois Bichon en Garbenko et Jacques Pieiller en Général Pouchkine) remettent en question dans leurs mouvements les notions de bienséance mais aussi de productivité, d’efficacité. Irina, clouée à sa chaise lorsqu’elle n’est pas traînée en dehors du plateau pour aller au bain, n’est autre qu’une loque traversée par le désir, le sien et celui des autres. Elle constitue en cela une magnifique figure philosophique pour le présent, une rebelle sans concession comme on rêve de les voir chaque fois que l’on entre au théâtre.

Samuel Gleyze-Esteban

L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer de Copi
Théâtre de la Cité internationale
21 A Boulevard Jourdan
75014 Paris

tournée
du 29 novembre au 1er décembre 2022 au TU – Nantes
du 23 au 26 mars 2023 à La Criée – Théâtre national de Marseille


Mise en scène : Thibaud Croisy
Scénographie : Sallahdyn Khatir
Lumières : Caty Olive
Costumes : Angèle Micaux
Sonorisation : Romain Vuillet
Collaboratrice artistique : Élise Simonet
Régie générale : Ugo Coppin

Crédit photo © Hervé Bellamy & © Martin Argyroglo

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