Offrande de Mié Coquempot © L’échangeur CDCN

À la genèse d’Offrande, pièce chorale initiée par Mié Coquempot

Rencontre avec Maud Pizon, Béatrice Massin et Bruno Bouché, qui reprennent à six mains Offrande de la chorégraphe regrettée Mié Coquempot.

En clôture du Festival Ardanthé, Anouchka Charbey, directrice du théâtre de Vanves, propose de découvrir la pièce posthume de Mié Coquempot. Écrite à six mains avec la complicité de Béatrice Massin et Bruno Bouché, Offrande est une ode à l’antiquité et aux danses rituelles. Rencontre au long cours avec Maud Pizon, conseillère artistique de la compagnie K622, qui fut l’interprète et l’assistante de la chorégraphe franco-japonaise jusqu’à sa mort en 2019, Béatrice Massin, spécialiste des danses baroques et Bruno Bouché, chorégraphe et directeur du CCN – Ballet de l’Opéra national du Rhin.

Comment est né le projet d’Offrande

Maud Pizon : Offrande est né de l’amour de Mié pour la musique en général et la musique de Bach en particulier — elle avait déjà chorégraphié L’Art de la Fugue en 2017. Son écriture chorégraphique a toujours été motivée par la relation à la musique, qu’elle soit contemporaine, classique, baroque, populaire… Pour cette pièce, chorégraphiée sur l’Offrande musicale de Bach, Mié a voulu s’entourer de collaborateurs qui partagent la même sympathie de dialogue entre la danse et la musique, depuis leurs registres chorégraphiques différents. Mié était une chorégraphe de danse contemporaine, Béatrice Massin est une chorégraphe de danse baroque, Bruno un chorégraphe de danse néoclassique. Tous les trois partagent un attachement à la musique de Bach et chacun, à sa manière, se plaît à la chorégraphier.

Béatrice Massin : C’est Mié qui a imaginé et rêvé le projet d’Offrande. C’est elle qui a inventé l’alchimie de la réunion de nos trois écritures sur la partition de l’Offrande musicale de Bach. Lorsqu’elle nous en a parlé, à Bruno et moi, elle avait déjà beaucoup avancé sur la conception et la construction d’Offrande.

Vous avez écrit à 6 mains. Comment cela s’est-il passé ?

MP : Mié a attribué à chaque chorégraphe une partie de l’œuvre. Bruno a chorégraphié la Sonate centrale, Béatrice les deux blocs de canons de part et d’autre de la sonate, et Mié a créé les deux Ricercar, au début et à la fin de la pièce. Leurs écritures s’entremêlent donc tout au long du spectacle. Les trois chorégraphes partagent aussi une sorte de boîte à outils commune : une phrase de base et douze postures pensées pour permettre de multiples transformations et adaptations aux styles chorégraphiques. Chaque chorégraphe a pu s’approprier ces matériaux à sa guise, et cela construit un fil dramaturgique qui donne une cohérence forte à l’ensemble.

BM : Chacun avait sa propre partie, que Mié avait décidée et répartie. Bruno et moi avions donc notre tâche, et nous avons respecté sa proposition le plus fidèlement possible.

Que vouliez-vous exprimer avec ce projet ?

MP : J’ai l’impression qu’à travers ce projet, Mié voulait transmettre sa jubilation du mouvement en relation avec la musique, à la fois pour les interprètes et pour les spectateurs. S’inspirant de la genèse de l’Art de la Fugue (une invitation lancée à Bach par Frédéric II de Prusse à improviser des variations autour d’une mélodie à la flûte), Mié semble avoir voulu le mettre en abyme et en pratique. Elle a envoyé à Béatrice et Bruno une invitation à créer en regard les uns des autres, à partager un acte créatif commun. Elle a en effet créé un cadre favorisant le dialogue et l’émulation artistique au-delà des disciplines chorégraphiques. Tout l’enjeu de ce dispositif était de s’appuyer sur les propositions des uns, tout en proposant des appuis pour les autres. Ainsi, chaque chorégraphe a choisi deux interprètes parmi son équipe de danseurs, et était invité à travailler avec tout le groupe. J’aime dire qu’Offrande est un projet pensé comme un prétexte à la rencontre. Pour moi, c’est une célébration de l’expérience collective, humaine et artistique.

BM : Partager l’amour de Bach commun à nous trois. Je dirai même que cette musique nous est vitale. Elle est au coeur d’Offrande. Et je ne m’avance pas beaucoup si je dis que cette musique et ce projet ont été le centre de son univers de création alors qu’elle était si gravement malade.

Bruno Bouché : Mié m’a confié la Sonate en trio qui se trouve être comme un centre ou une cime au sommet de cette offrande musicale qu’on pourrait imaginer construite à partir des différents satellites qui seraient les canons et les ricercar. Partant de ces premiers éléments imaginaires basés sur la musique, j’ai laissé des intuitions tisser des liens — par exemple entre le trio instrumental de la sonate et de cette forme chorégraphique du trio auquel je souhaitais me confronter à nouveau. Dans une toute autre réflexion, je souhaitais poursuivre mon questionnement sur une danse « masculine », et Mié et Béatrice m’ont laissé cette liberté de travailler exclusivement avec trois hommes aux personnalités très différentes : Pavel Danko, Rémi Gérard et Philippe Lebhar. Depuis longtemps, la sculpture des Trois Ombres de Rodin qui domine la Porte de l’Enfer me fascine, et cette création m’invitait également à poursuivre mes recherches autour de la Divine Comédie, mais sans désir de trame narrative. Avec Philippe, Pavel et Rémy, chacun à des moments très différents de leurs vies et de leurs carrières, nous avons mis ces ombres en mouvement pour les faire dialoguer avec l’écriture chorégraphique de Mié. C’est un jeu de construction-déconstruction que j’aime utiliser, mais qui a trouvé une force particulière : ces Trois Ombres qui cherchent à s’extraire de la pierre et trouvent l’espace d’un instant un mouvement puisé dans l’écriture fine comme un souffle de vie de Mié avant d’être rappelées à leur condition. Pour que l’écriture chorégraphique prenne toute sa dimension, j’aime élaborer l’écriture de la danse dans le silence après m’être imprégné longuement de la musique lors d’écoutes hors du studio. La force chorégraphique doit tenir par et pour elle-même. Ainsi, la musique et la danse, chacune avec sa force et sa direction propres, peuvent dialoguer. C’est alors un travail de collage entre partition chorégraphique et musicale où, avec les danseurs, nous nous plaçons comme des plasticiens qui créent les espaces nécessaires pour mettre en place une circulation, repèrent et favorisent des passages, des croisements ou des points précis de rencontres.

Qui est Mié Coquempot pour vous ?

Mié Coquempot dans Rythm © Photographie Cyrille Guir

BM : Mié était pour moi une amie, et j’avais une grande admiration pour sa connaissance si poussée de la musique, de toutes les musiques. Elle était aussi une grande chorégraphe et j’ai été très fière qu’elle me propose d’accompagner son écriture.

MP : J’ai travaillé de nombreuses années pour Mié Coquempot, en tant qu’interprète surtout, mais aussi en tant qu’assistante sur des projets de création amateure et professionnels. J’ai beaucoup appris d’elle en tant que danseuse. Travailler avec elle sur des œuvres musicales de styles et d’époques très différents, et selon des protocoles très divers, a beaucoup contribué à affiner mon écoute musicale.

Elle est malheureusement décédée au cours du processus de création. Qu’est ce qui vous a motivé à continuer ?

BB : Tout d’abord j’ai été véritablement boulversé par la proposition de Mié, comprenant que cette œuvre, qu’elle souhaitait collective avec Béatrice, serait sa dernière « offrande ». J’ai reçu cela comme un cadeau de vie, bien que nous nous connaissions à peine. Je savais donc que Mié m’invitait avant tout à une aventure humaine et j’ai fait confiance à ce geste d’une infinie générosité. Mié savait que la musique de Bach m’était un socle et que j’y revenais souvent, en m’efforçant aussi de m’en extraire, car elle est d’une puissance inspiratrice inépuisable. J’avais posé une première pierre importante dans mon travail chorégraphique en créant le duo Bless-ainsi soit-il inspiré de La Lutte de Jacob avec l’ange sur la Chaconne de la Partita n.2 pour Violon transcrite au piano par Busoni. J’avais été très sensible à sa création 1080-Art de la fugue grâce à laquelle nous nous étions rencontrés . À l’issue de cette première au Manège de Reims, nous avions longuement échangé sur son rapport à l’écriture et la musique.  Sa danse écrite, musicale et résolument contemporaine m’avait énormément touchée. Mon rapport à la musique n’est pas savant, je ne lis pas les partitions et j’ai des bases très sommaires de solfège. Même si  j’aime comprendre le mécanisme interne des partitions ce sont le mouvement des phrasés et des émotions qui me guident souvent sur le choix de musiques.

BM : Donner naissance à Offrande, c’était mettre en œuvre la pièce telle que Mié l’avait souhaitée avant son décès. C’est aussi porter ce projet qu’elle voulait partager avec nous, Bruno et moi. C’est lui rendre hommage et continuer un dialogue complice avec elle. Réveiller régulièrement la lueur de cette complicité que j’aurais tant aimé prolonger avec elle.

MP : Mié a confié son projet à l’équipe qu’elle avait choisie, c’était son désir de permettre à ce projet de se poursuivre après elle. Il était évident pour nous de continuer à porter ce beau projet rassembleur. Offrande méritait de voir le jour et de rencontrer son public.

Pourquoi est-il important de poursuivre son œuvre, de continuer à la faire connaître ?

BB : C’est très important car son travail est trop peu connu. J’ai découvert une très grande chorégraphe qui n’a pas été assez reconnue et diffusée. Il me semble qu’à l’endroit où je suis — en tant que directeur d’une des plus grandes institutions de l’art chorégraphique de la danse — j’ai pour mission de faire découvrir son écriture chorégraphique d’une grande finesse, portée par un imaginaire puissant et vertigineux.

MP : Le travail de Mié a été peu diffusé de son vivant, alors que la richesse de son répertoire mériterait une audience plus large. Mié a exprimé le désir que son œuvre puisse être diffusée après elle à travers K622, l’association qu’elle avait créée pour porter ses projets. Plusieurs reconstructions sont en préparation pour la saison prochaine, et nous donnerons une soirée d’hommage composée d’extraits de son répertoire le 17 juin prochain au Centre chorégraphique de Tours. Les archives de Mié ont été officiellement déposées au Centre National de la Danse. Nous espérons donner une visibilité à ce fonds et le faire connaître.

Sa compagnie perdure. Allez-vous continuer à travailler avec eux ? 

BM : L’équipe des interprètes d’Offrande est une équipe tressée par nous trois, les chorégraphes. Chacun proposait un binôme de danseurs. Je vais continuer à travailler avec plus de la moitié d’entre eux. Je souhaite sincèrement qu’Offrande continue à être diffusée longtemps, et ce sera toujours avec un réel plaisir de retrouver l’équipe de K622.

MP : Je suis investie dans plusieurs projets de la compagnie K622 et maintiens mon engagement au sein de cette structure. A la demande de Mié, l’activité de la compagnie a été repensée, elle n’est pas uniquement centrée sur la diffusion du répertoire. S’y développe notamment une activité de compagnonnage à destination de chorégraphes femmes au début de leur carrière.

BB : Nous sommes entrain de réfléchir avec la Compagnie à la question du répertoire des œuvres de Mié — entre autres, la transmission d’une pièce de Mié au Ballet de l’Opéra national du Rhin.

Quels sont vos autres projets ? 

BM : Une création au mois de septembre 2022 pour les danseurs du CCN – Ballet de l’Opéra du Rhin dirigé par Bruno Bouché : Le joueur de flûte. Et une importante création au début du mois de novembre avec ma propre compagnie Fêtes galantes,  Requiem – La mort joyeuse, sur la musique de Mozart.

MP : Je travaille en tant que danseuse indépendante sur plusieurs projets, en création ou en tournée, notamment pour Marie Cambois et Dominique Brun. Je vais également travailler sur la prochaine création de Béatrice Massin.

BB : En dehors de la programmation et la direction artistique du CCN, où je porte le projet d’un Ballet Européen au XXIème siècle et la question de la transformation d’un Ballet qui défend l’art chorégraphique dans toute sa diversité, je souhaite poursuivre mon propre travail de chorégraphe au sein du Ballet, mais également au travers de rencontres telles que celle que m’a offert Mié.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Offrande de Mié Coquempot
24e Festival Artdanthé
Théâtre de Vanves – Scène conventionnée danse
12 Rue Sadi Carnot
92170 Vanves

Chorégraphie – Mié Coquempot, Béatrice Massin, Bruno Bouché
Musique – J.-S. Bach Offrande musicale (BWV 1079)
Notatrice et assistante à la chorégraphie – Maud Pizon
Scénographie– Tofu & Soyu
Costumes – Paul Andriamanana
Régie Générale et Lumières – Christophe Poux
Production – Lucie Mollier

Interprètes – Lou Cantor, Pavel Danko, Charles Essombe, Rémi Gérard, Léa Lansade, Anne Laurent, Philippe Lebhar

Crédit Photos © L’échangeur CDCN © K622 © Cyrille Guir

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