Catherine Vrignaud Cohen (Chambre 2) © John Zougas Photography

Catherine Vrignaud Cohen donne vie à chambre 2 de Julie Bonnie

Au théâtre de la Reine Blanche, Catherine Vrignaud Cohen met en scène Anne le Gernec dans Chambre 2. Rencontre.

Rencontre avec Catherine Vrignaud Cohen autour de Chambre 2 de Julie Bonnie qu’elle a adapté et mis en scène à la Reine Blanche, offrant ainsi à la comédienne Anne Le Guernec le magnifique rôle d’une femme remarquable.

Comment est né le projet de Chambre 2 ?

Catherine Vrignaud Cohen : Comme souvent dans mes créations, par un thème qui entre en résonnance avec ma vie. Il y a trois-quatre ans, j’ai voulu explorer le féminin. La place de la femme, la trajectoire du féminisme, mais aussi mon propre rapport à la féminité. J’ai lu des essais, des romans, vu des films, compilé des images, participé à des cercles de femmes et commencé une recherche photographique sur cette thématique – que l’on retrouve exposé à la Reine Blanche. J’ai alors voulu aborder ce sujet au théâtre.

Comment avez-vous rencontré le livre de Julie Bonnie ?

Anne Le Guernec (Chambre 2) ©Sandra Robine

Catherine Vrignaud Cohen : Par Anne Le Guernec ! Toutes les deux, nous nous connaissons depuis très longtemps. Elle était dans une de mes premières pièces de théâtre, Toujours ensemble d’Anca Visdéi ! Puis l’on s’est un peu perdues de vue. Je l’ai rappelée lorsque j’ai décidé de créer le spectacle 27 fragments d’un désir de Caryl Churchill. Malheureusement, Anne n’a pu faire le projet, prise par un autre spectacle et cela nous a fortement attristées. Du coup, je lui ai dit que mon prochain spectacle porterait sur le féminin et que j’étais certaine qu’il y aurait une place pour elle. Je lui dis aussi que pour le moment, je n’avais pas encore trouvé le texte sur lequel travailler. Quelques mois plus tard, on se croise à Avignon et elle me parle d’un livre formidable, Chambre 2 de Julie Bonnie, qu’elle vient de terminer. Même s’il ne lui semble pas adaptable au théâtre, trop de changement de lieux, de personnages, etc., elle me suggère de le lire, car il pourrait nourrir mes recherches. Ce que je fais trois mois plus tard. Au bout de quelques pages, je me dis : Mais, c’est un seul en scène pour Anne Le Guernec ! Et surtout, ce roman est très adaptable pour le théâtre ! J’ai vu très vite à quoi cela pourrait ressembler. J’ai appelé Anne pour lui dire qu’elle venait de dégoter un très beau rôle, à la hauteur de son talent ! Voilà comment j’ai rencontré ce livre !

Comment passe-t-on d’une narration romanesque à monologue théâtral ?

Catherine Vrignaud Cohen : C’est hyper délicat. La dramaturgie d’un livre tient d’elle-même, car on a les pensées intérieures du protagoniste, les personnages que l’on y croise, on passe d’un décor à un autre, etc. Comme je l’ai fait pour Un obus dans le cœur de Wajdi Mouawad, ma démarche est de rester très fidèle au texte tout en le rendant audible ou visible au théâtre. Ma première approche est de me demander ce qui m’importe dans le texte, ce qui me semble nécessaire pour le porter au plateau. Mon fil conducteur a été les chambres, car elles allaient structurer et rythmer le récit. Comme l’idée était que cela allait être Anne qui allait interpréter toutes ces chambres, il ne fallait garder que le point de vue de Béatrice, l’auxiliaire de puériculture. Je suis très visuelle, alors j’ai pris le texte et j’ai mis en premier une couleur pour ce qui concernait les chambres, en second une autre couleur pour toutes les pensées intérieures de Béatrice et une autre pour son passé. J’ai regardé le tableau que cela donnait. Il fallait que toutes ces couleurs soient harmonisées. Puis, j’ai collé toutes les chambres les unes après les autres. J’ai vu ce que je pouvais enlever pour arriver à l’essentiel de ce qui était à raconter. J’ai fait la même chose pour les pensées intérieures de Béatrice, comment elle se sent. J’ai égrainé une chambre, une pensée, une chambre… Ce qui donnait un rythme et j’ai rempli des espaces avec le passé. Dans le livre, il arrive très vite. Or comme mon point de vue était la naissance, l’hôpital et les mamans, il fallait que ce passé arrive beaucoup plus tard. Ce qui m’a permis de faire un focus sur ce que je voulais aborder. Le gros avantage a été que j’ai eu la bénédiction de l’autrice. Elle m’a donnée une liberté très appréciable. Comme j’avais beaucoup bougé la narration, elle a écrit, telle des rustines, des transitions qui étaient nécessaires. Cela reste son bébé ! Une fois que j’ai eu cette structure, on a beaucoup travaillé à la table avec Anne qui lisait et Huma Rosentalski, qui est mon directeur artistique. Il est, ce qui était important pour moi, le regard masculin. Ce travail a permis de modeler le texte sur-mesure pour Anne.

Vous dites que vous vouliez aborder les thèmes de la naissance, de l’hôpital et des mamans, pouvez-vous préciser ?

Chambre 2 © Huma Rosentalski

Catherine Vrignaud Cohen : L’hôpital, c’est le côté sociétal. Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes dans une société où tout ce qui touche la santé, que l’on paye très cher en ce moment, et l’éducation sont mis à mal. Je suis très engagée dans l’un comme dans l’autre. Aujourd’hui, il y a une sage-femme pour quatre femmes qui vont accoucher. Donc, il est impossible de les accompagner individuellement et de prendre le temps. À l’hôpital, les deux extrêmes, la naissance et les soins palliatifs sont les deux services les plus abîmés. Pourtant, ce sont les services qui sont en première ligne de feu ! Le moment de la naissance et de ce que l’on appelle aujourd’hui, le quatrième trimestre, le post-partum, est un moment bouleversant, dans tous les sens du terme. Il faut alors se construire en mère, comprendre comment un bébé fonctionne. C’est un endroit de grande solitude ! Il n’y a pas de parole pour expliquer ce que l’on vit. Il y a beaucoup de livres sur comment vivre sa grossesse, mais très peu sur l’après ! Comment si cela devait être naturel de devenir mère. C’est de ça que je voulais parler. Quand j’ai lu le livre de Julie, je me suis vue dans chacune des mères. J’ai reconnu une parole nécessaire qui allait permettre d’arrêter avec tous ces tabous et de témoigner sur ce quatrième trimestre. Comme tout cela me parle de près, c’était un endroit où je pouvais m’engager dans le texte.

Le personnage de Béatrice est à la fois une femme et toutes les femmes…

Catherine Vrignaud Cohen : Béatrice est auxiliaire de puériculture, elle est soignante. Elle est l’hôpital et partage ce point de vue. Mais en même temps, elle est aussi mère de trois enfants, dont un mort. Elle va pouvoir parler de son expérience. Et en même temps, c’est une femme qui au moment où on la prend se questionne sur son identité de femme. Elle fait un bilan. Ai-je besoin de changer ? Du coup, d’avoir ces trois points de vue dans le même personnage, nous permet d’avoir trois portes d’entrée. Cela entre en profondeurs sur plein de questions existentielles à travers un seul et même personnage.

Qui était fait pour Anne Le Guernec !

Chambre 2 © Huma Rosentalski

Catherine Vrignaud Cohen : Béatrice est un personnage sensuel et terrien à la fois, ce qui est pour moi la définition même de ce qu’est Anne. Elle a aussi quelque chose d’extrêmement maternant qui correspond au soignant. C’est un personnage qui lui colle à la peau. J’ai tout de suite entendu sa voix. Le seul questionnement qu’on a eu et qui s’est réglé très vite a été la danse. Car Béatrice dans sa jeunesse était danseuse-nue ! Stéphanie Chêne, qui fait un très beau travail sur le corps, l’expression du corps, du personnage par le corps, nous a permis très vite de trouver des choses. Tout comme le travail sonore avec Sylvain Jacques qui a eu son importance. En sachant, qu’il n’a pas forcément mis Anne dans des zones de confort ! Elle est vraiment exceptionnelle !

Comment le public, femmes et hommes, reçoit le spectacle ?

Catherine Vrignaud Cohen : Pour les femmes, il y a un endroit où je me suis dit, cela va bouleverser, toucher et remuer des choses. Mais j’ai l‘habitude avec mes spectacles ! Pour les hommes, il était important qu’ils soient impliqués. Ce n’était pas évident au départ. Mais comme je suis entourée d’une équipe technique masculine qui sait très vite sentie engagée. On s’est dit que cela fonctionnait. Les retours des spectateurs masculins montrent qu’ils se sentent inclus dans cette question autour de la maternité. Un spectateur m’a raconté que sa femme venait d’accoucher par césarienne. Il avait bien vu qu’il y avait quelque chose qui lui avait échappé et que grâce au spectacle, il venait de comprendre ce que c’était. Et il m’a remerciée, c’était très émouvant. C’est une inclusion. On met l’homme à égalité avec la femme. Venez écouter, venez comprendre ce qui se passe. Le retour est non « genré ». Ce qui m’étonne encore plus, ce sont les jeunes ! Ils sont touchés par Béatrice, par sa trajectoire de vie. Je ne m’y attendais pas et je trouve ça formidable.

Marie-Céline Nivière

Chambre 2, d’après le roman de Julie Bonnie
Théâtre de la Reine Blanche, scène des arts et des sciences
2 bis passage Ruelle
75018 Paris
Du 23 novembre 2021 au 15 janvier 2022
Les mardis, jeudi et vendredi à 21h
Durée 1h20

Adaptation de Catherine Vrignaud Cohen et Anne Le Guernec
Mise en scène de Catherine Vrignaud Cohen
Avec Anne Le Guernec
Scénographie de Huma Rosentalski
Création lumière de Huma Rosentalski et Grégori Carbillet
Chorégraphie de Stéphanie Chêne
Création sonore de Sylvain Jacques

Crédit photos © John Zougas Photography, © Sandra Robine, © Huma Rosentalski

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