La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Matthieu Cruciani. Jean-Christophe Folly. © Jean Louis Fernandez

Le Koltés sous acide du duo Folly-Cruciani

À la comédie de Colmar, Jean-Christophe Folly fait résonner les mots de Koltès sous le regard complice de Matthieu Cruciani.

À la comédie de Colmar, avant une belle tournée à travers la France, du théâtre du Peuple aux Plateaux sauvages, Jean-Christophe Folly fait résonner avec une puissante clarté les mots de Koltès sous le regard précis et délicat de Matthieu Cruciani. Sombre à souhait, cette Nuit juste avant les forêts laisse entrevoir tous les fêlures, angles morts et histoires mortifères d’une âme errante, aux abois. 

Installée dans une ancienne manufacture de tabac, la Comédie de Colmar impose, route d’Ingersheim, sa silhouette typiquement alsacienne. À l’intérieur, tout a été joliment aménagé. Le lieu est cosy, il invite à la rêverie, à se poser un temps, à laisser son esprit divaguer. Devant la grande salle, les premiers spectateurs attendent patiemment que les portes s’ouvrent, pendant que d’autres s’attardent au bar, où prennent le bon air de ce début octobre fort clément dans la Région Grand Est. 

Monde souterrain

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Matthieu Cruciani. Jean-Christophe Folly. © Jean Louis Fernandez

Tranquillement, chacun prend place. À vue, sur scène, une forêt de piliers de béton fait face au public. Sombre, noire, humide, elle propulse directement l’imaginaire dans quelques parkings souterrains, quelques lieux interlopes que seules d’étranges ombres habitent encore. De la pénombre, une silhouette se détache. C’est celle d’un jeune homme, trempé, hirsute, fébrile. Perdu, complétement speed, un brin névrotique, il cherche à retenir l’attention d’un quidam, d’un passant, d’un inconnu qui accepterait d’entendre sa triste litanie, l’urgence de vivre qui coule dans ses veines. S’accrochant à un dernier vestige d’humanité, un regard complaisant, une oreille attentive, il ouvre les vannes de ses pensées que l’absence, le manque de l’autre, quel qu’il soit, a trop longtemps maintenues dans le silence.

Un flot continu de paroles

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Matthieu Cruciani. Jean-Christophe Folly. © Jean Louis Fernandez

Plus rien ne peut l’arrêter. Les mots coulent, tantôt fluides, tantôt chaotiques. Ils s’échappent en grappe, se déversent naïvement impudiques, profondément poétiques. Histoires de « putes », de « pédés », de « cons de Français », de loubards, de violences urbaines, l’étranger se libère de ce trop-plein, de tout ce qui embrouille sa tête alcoolisée, droguée. Sa vie, ses envies, son regard sur le monde, tout y passe dans une sorte de désordre absolu, incohérent. Pourtant, un fil se détache, ténu, celui d’une existence brûlée, cramée. A la lisière du monde, de la cité, le jeune homme déclare la guerre à ceux qui l’ont rejeté, mis au ban d’une société indifférente, intolérante. Dans un dernier souffle, il tente son va-tout, un cri d’amour, une demande d’asile, un abri pour la nuit, contre la mort qui rôde. 

Intensément Folly 

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Matthieu Cruciani. Jean-Christophe Folly. © Jean Louis Fernandez

Silhouette longiligne légèrement courbée, voûtée, démarche chaloupée, Jean-Christophe Folly se glisse dans les mots de Koltès, les scandent dans une mélopée triste autant que lumineuse. Il donne chair à ce texte âpre, noir, mortifère. Exalté, surexcité, charmeur, ténébreux, il est cet homme, cet étranger à la marge, à la lisière de la civilisation et de cette forêt obscure, menaçante, qui se débat contre les fantômes de son passé, de son présent et de son futur. Dirigé avec beaucoup de précision et de finesse par Matthieu Cruciani et pris dans l’écrin noir scénographié par Nicolas Marie, le comédien nous entraîne dans le tréfonds de son âme, au cœur de ses pensées. C’est vertigineux, troublant, abyssal. 

Avec son adaptation ciselée de La Nuit juste avant les forêts, Matthieu Cruciani ouvre magistralement la saison de la Comédie de Colmar, et signe une œuvre au noir qui emmène aux confins d’une humanité désespérée.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Colmar

La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès
Comédie de Colmar
 6 Rte d’Ingersheim
68000 Colmar
Jusqu’au 15 octobre 2021
Durée 1h30 environ

Tournée
Les 22 et 23 octobre 2021 au Théâtre du Peuple, Bussang (88)
u 08 au 20 novembre 2021 aux Plateaux sauvages, Paris (75)
Du 30 novembre au 03 décembre 2021 à la Comédie de Reims – CDN (51)
Du 05 au 07 janvier 2022 à la Comédie de Caen – CDN de Normandie (14)
Le 10 mars 22 au Manège – Scène nationale de Maubeuge (59)
Du 22 au 26 mars 2022 au Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne (94)
Le 03 mai 2022 aux Scènes du Jura – Scène nationale (39)

mise en scène de Matthieu Cruciani assisté de Maëlle Dequiedt 
Avec Jean-Christophe Folly
scénographie de Nicolas Marie
création musicale de Carla Pallone
costumes de Marie La Rocca
création lumières de Kelig Le Bars

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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