Leurs enfants après eux d'après le roman de Nicolas Mathieu Théâtre du Peuple Mise en scène de Simon Deletang © Jean Louis Fernandez

Leurs enfants après eux, la jeunesse en déshérence lumineuse à Bussang

Au Théâtre du peuple, Simon Delétang s’empare avec justesse et ingéniosité du prix Goncourt 2018, Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu.

Au Théâtre du peuple au cœur des Vosges, Simon Delétang s’empare avec justesse et ingéniosité du prix Goncourt 2018, Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu. Dirigeant la promotion 80 de l’Ensatt de Lyon, dont il est le parrain, le metteur en scène et directeur des lieux signe un spectacle enfiévré qui croque une jeunesse rêveuse, fougueuse, qui brûle sa vie avant de se fracasser contre la triste réalité d’un monde sans avenir. 

Le soleil brille enfin sur la forêt vosgienne. Attendu tout l’été, il pointe, en ces premiers jours de septembre, ses derniers rayons estivaux avec intensité et audace presque narquoise. Attablés sur la pelouse qui borde le théâtre de bois, les spectateurs sont venus en nombre assistés aux ultimes représentations de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu. Alors qu’ils finissent de se désaltérer, de s’alimenter, les notes rock de The Final Coutdown du groupe Europe résonne. Il est temps pour tous de s’engouffrer dans la mythique salle, construite en 1895 sous le haut patronage de Maurice Pottecher, et, muni de coussins, de s’installer le plus confortablement possible. 

D’une vallée à l’autre
Leurs enfants après eux d'après le roman de Nicolas Mathieu
Théâtre du Peuple
Mise en scène de Simon Deletang 
© Jean Louis Fernandez

En quelques minutes, le vert des sapins semble être un lointain souvenir. Les Vosges ne sont plus, la Lorraine pointe son nez. Le temps s’est replié. On est en 1992. Nirvana fait un carton. Smells like teen spiritrésonne sur toutes les danses et fait danser toute la jeunesse française. Dans une ville imaginaire, à quelques encablures du Luxembourg, une cité encaissée dans une vallée industrielle, écrasée par la chaleur, de l’Est de la France, aux bords des eaux sombres, lourdes d’un affluent de la Moselle, deux cousins lézardent au soleil et s’ennuient. Anthony, le plus jeune, a 14 ans. Il rêve d’ailleurs. Les hormones en folie, il pense aux filles, au sexe, à une vie sans entrave. 

Une vie sans horizon

Depuis que l’usine à fermer, c’est la misère, le désœuvrement, le chômage. Né du mauvais côté de la ville, dans un lotissement de maisons standards, Anthony semble vouer à rester là, tout comme ses parents, coincés dans une vie étriquée, à boire pour oublier. La rencontre avec Steph, fille de notables du coin, pourrait-elle tout changer ? Rien n’est moins sûr. Brûlant leur existence par tous les bouts, la jeunesse perdue de cette région sinistrée fonce insouciante à vive allure contre le mur de la dure réalité. La prise de conscience, que tout est déjà joué, n’en sera que plus vive, que plus inéluctable. 

Une adaptation lumineuse
Leurs enfants après eux d'après le roman de Nicolas Mathieu
Théâtre du Peuple
Mise en scène de Simon Deletang 
© Jean Louis Fernandez

Prenant à bras le corps l’écriture puissante et noire de Nicolas Mathieu, Simon Delétang s’attache à en révéler la belle lucidité, à extraire l’essence même d’une déshérence, d’un monde englouti par la fin de l’ère industrielle, les ravages de la mondialisation. Sorte d’Éveil du printemps des temps modernes, de portraits nostalgiques et charnels d’une jeunesse enfermée dans des carcans sociétaux et économiques, Leurs enfants après eux donne, en filigrane de la narration, à voir la fougue folle d’adultes en devenir, la flamme incandescente d’adolescents, que la vie rattrape, saisit en plein vol, pour étouffer leur liberté, ce feu brut, cru, presque sauvage. 

Un chœur fiévreux de comédiens en herbe

Faisant le choix de ne garder de la fresque humaine de Nicolas Mathieu, que les éléments narratifs propres à Anthony, antihéros malgré lui, fer de lance de cette jeunesse au destin tracé bien avant la naissance, Simon Delétang offre à la promotion 80 de l’Ensatt de Lyon, dont il est le parrain, une galerie de rôles parfaitement ciselés, qui permettent à chacun d’exprimer tons, couleurs et émotions. Œuvre chorale parfaitement maitrisée, distribuant les personnages au gré des scènes, il signe un spectacle total juste, précis et percutant. Sans jamais tomber dans le trivial, le metteur en scène donne au texte du lauréat du Goncourt 2018, une fraîcheur, une lumière qui révèle l’humour et la sensualité sous-jacente de cette tragédie d’aujourd’hui. 

Intemporalité des drames humains
Leurs enfants après eux d'après le roman de Nicolas Mathieu
Théâtre du Peuple
Mise en scène de Simon Deletang 
© Jean Louis Fernandez

Ancré dans les années 1990, le roman de Nicolas Mathieu a la force intemporelle des grands textes. Il narre une époque, certes, mais qui finalement se répète inlassablement. S’appuyant sur la scénographie frugale d’Adèle Collé et Manon TerranovaSimon Deletang l’a bien compris. Il ne cherche jamais à forcer le trait, à surligner les éléments datables et datés. Avec malice et beaucoup d’intelligence, il ouvre le fond de scène sur la forêt vosgienne comme un pied de nez à toute territorialité, à toute référence à un bassin industriel en particulier. L’effet est réussi, un vent de lyrisme souffle sur la scène de Bussang quand tout est figé, où la vallée mortifère a déjà gravé sur la peau de ses habitants son empreinte, son impossibilité de lui échapper.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Bussang

Leurs enfants après eux d’après le roman de Nicolas Mathieu
Théâtre du Peuple

40 rue du théâtre
88540 Bussang
Jusqu’au 4 septembre 2021
Durée 3H15 entracte compris 

Mise en scène de Simon Delétang
Avec la 80e promotion de l’École nationale supérieure des arts et techniques du Théâtre (ENSATT) : Vianney Arcel, Robin Azéma, Agathe Barat, Josuha Caron, François Charron, Héloïse Cholley, Ariane Courbet, Antoine De Toffoli, Claire-Lyse Larsonneur, Lise Lomi, Elsie Mencaraglia, Marin Moreau, Kaïnana Ramadani
Scénographie d’Adèle Collé et Manon Terranova
Lumière de Lou Morel et Alexandre Schreiber 
Son de Rozenn Lièvre
Costumes d’Irène Jolivard et Françoise Léger 

Crédit photos © Jean Louis Fernandez

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