Adrien Guiraud © DR

Adrien Guiraud, comédien passionnément singulier

Au théâtre de Lorient, Adrien Guiraud se glisse dans la peau de Bartleby, sous le regard de Rodolphe Dana.

Silhouette dégingandée, Adrien Guiraud passe d’un personnage à un autre avec une facilité déconcertante. Étranger perturbateur de famille un soir de Noël dans Jusqu’ici tout va bien du collectif Le Grand Cerf Bleu ou frère dépassé par la mort de ses parents dans Nos solitudes de Delphine Hecquet, il est actuellement Bartleby au théâtre de Lorient, dans la dernière création de Rodolphe Dana. Rencontre.

Bartleby Avec Rodolphe Dana et Adrien Guiraud D’après La nouvelle d’Herman Melville (éditions Allia) © Agathe Poupeney

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Je crois que c’était pendant une classe verte à l’école primaire. À la fin de la semaine, il y avait eu une petite fête organisée et des amis avaient joué des sketchs des Inconnus (chez moi, il n’y avait pas la télé, je découvrais ces sketchs grâce à eux) et je les avais trouvé très drôles, libres, ils m’avaient beaucoup fait rire. C’était très joyeux et ça m’avait fait oublier l’absence de ma famille qui me manquait.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Après quelques années d’études supérieures qui ne m’avaient pas rendu très heureux et où je ne trouvais pas ma voie, mon envie de refaire du théâtre est devenue de plus en plus forte. Mes parents m’y avaient inscrit en primaire parce que j’étais trop timide et sans que ça me plaise beaucoup, puis j’y avais goûté à nouveau au lycée, un peu en dilettante, mais déjà avec plus de plaisir. J’ai donc recommencé à en faire une fois par semaine à côté de la fac et puis surtout ma petite sœur m’a inscrit au concours du conservatoire du cinquième arrondissement à Paris, je l’ai eu et c’est à partir de ce moment que j’ai eu vraiment l’envie d’en faire mon métier.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ? 
L’intérêt est d’abord venu des films que je regardais chez ma grand-mère avec mes sœurs : les Chaplin, les films de Kusturica, les westerns de Sergio Leone, Cyrano avec Depardieu… Je me souviens aussi être allé voir Les Grands Ducs avec mes parents au cinéma, j’ai été marqué par la folie de ces personnages de comédiens, par leur vie décalée et évidemment par les acteurs du film.
Puis plus tard, après le bac, j’ai commencé à aller au théâtre et j’ai vu une pièce de Shakespeare mise en scène par D. Donnellan et aussi le théâtre permanent de Gwenaël Morin aux Laboratoires d’Aubervilliers. J’étais captivé par les rapports des comédiens entre eux et avec le public, leur intelligence du jeu et du texte, comment ils lui donnaient corps par leurs inventions, leurs émotions, leur humour.
C’est à peu près à ce moment-là et un peu par hasard que je me suis retrouvé au conservatoire du cinquième et donc entouré de gens qui voulaient en faire leur métier. Je me suis pris au jeu : moi qui suis un peu timide et qui ai une légère tendance à gamberger, je pouvais lâcher les chevaux, me sortir de moi-même en me plongeant dans l’œuvre de quelqu’un d’autre ; j’aimais le risque qu’on prend en montant sur scène, l’adrénaline que l’on ressent, un peu comme quand on fait le mariole en classe quand on est gamin. 

Nos solitudes de Delphine Hecquet  © Simon Gosselin

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Au conservatoire du cinquième, j’ai joué dans Œdipe à Colone mis en scène par une autre élève. Je jouais Œdipe, vieux et aveugle, je galérais avec la langue de Sophocle et avec ce personnage qui me semblait très éloigné de moi. Les autres commençaient à s’inquiéter et, lors d’une résidence, la metteuse en scène m’avait forcé à courir de nuit dans un champ avec elle sur le dos tout en gueulant mon texte.
Je me demandais un peu où elle voulait en venir, mais ça m’a effectivement débloqué et ça s’est finalement bien passé.

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Il n’y en a pas qu’un. Je pense entre autres aux spectacles de Sylvain Creuzevault, de Tiago Rodrigues, d’Angélica Liddell, de Gisèle Vienne et de François Cervantès. 

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
La rencontre de Bruno Wacrenier, mon professeur au conservatoire du cinquième, a été fondatrice pour moi. C’est lui qui m’a montré toute la richesse, toute la complexité, mais aussi toute l’exigence qui vont avec le métier de comédien. Il nous a appris à toujours être en travail et inventif au plateau, en répétition comme en représentation. Il nous a transmis son amour de la recherche et du travail collectif. D’ailleurs, les liens restent forts entre ses anciens élèves.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
J’aime mon métier et je ne me sens ni la capacité ni l’envie d’en faire un autre. C’est un métier contraignant, mais il me permet d’exprimer ma sensibilité, de vivre et de partager des émotions. C’est à la fois un travail intellectuellement stimulant, qui me confronte selon les projets à des auteurs et des univers très variés, et un travail physique où le corps se dépense et où l’esprit se libère.

Partez devant de Quentin Hodara
Collectif le Grand Cerf Bleu © Élodie Le Gall

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
En plus de l’observation des gens (proches ou pas) dans leur vie quotidienne, ce qui m’inspire, c’est le travail des autres comédiennes et comédiens dans les pièces ou les films que je vois et la littérature qui nourrit ma réflexion, ma compréhension du monde et mon imaginaire.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
J’ai un rapport joyeux à la scène, c’est un mélange de désir et de peur, comme un premier rendez-vous amoureux.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
À la fois dans mon cœur, dans mon ventre et dans ma tête.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Je voudrais continuer à travailler avec des artistes qui ont vraiment quelque chose à dire, qui s’engagent dans leur travail avec exigence et conviction.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
J’aimerais être transféré au Real Madrid.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Saddam Hauts-de-Seine, de Booba.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Bartleby d’après la nouvelle d’Herman Melville (éditions Allia)
Sortie de résidence le 6 novembre 2020

Théâtre de Lorient
Jusqu’au 18 septembre 2021

Crédit photo © DR, © Agathe Poupeney, © Simon Gosselin et Élodie Le Gall

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