Lorenzaccio Grignan_Pietragalla_Derouault ©Pascal Elliott _4_@loeildoliv

Lorenzaccio, à la croisée des arts vivants

Au château de Grignan, à l'occasion des fêtes nocturnes, Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault donne mouvement et vie à Lorenzaccio, la pièce fleuve d'Alfred de Musset

Au cours des siècles, danse et théâtre ont souvent été réunis en un même spectacle, l’une servant d’intermède à l’autre, sans jamais permettre une fusion, une symbiose des deux. Face à ce constat, Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault ont depuis longtemps imaginé une passerelle entre ces deux arts vivants. Il était donc logique qui les unissent dans leur dernière création : Lorenzaccio de Musset.

Faire évoluer le théâtre, l’art vivant, le réinventer pour trouver de nouvelles formes d’expressions, fait partie depuis la création en 2004 de leur compagnie Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault, du processus créatif des deux chorégraphes. Confronté ainsi danse et comédie, non en les ajoutant mais en permettant qu’elles s’imbriquent l’une avec l’autre et se stimulent était un défi qu’ils ne pouvaient refuser. « Passionnés de tout art qui permet au corps de s’exprimer, explique Marie-Claude Pietragalla, ils nous semblaient, avec Julien, particulièrement intéressant de collaborer avec Daniel Mesguich, sur un projet singulier, hors norme, inclassable. Monter ensemble Lorenzaccio, nous a séduit car c’est une pièce classique et intemporelle rarement montée, dont le sujet entre en résonnance avec l’actualité. »  Lorenzo, tel que le décrit Alfred de Musset, est un homme qui veut racheter ses péchés, sa vie en marquant l’histoire, en  se pensant le bras armé de dieu. « Persuadés d’agir au nom d’une justice divine, souligne Julien Derouault, ils commettent des actes atroces dont la portée, au delà de l’horreur du geste, ne change rien. Lorenzo se sacrifie, tue le duc débauché qui sera remplacé aussitôt par un autre. »

Lorenzaccio Grignan_Pietragalla_Derouault ©Pascal Elliott _6_@loeildoliv

Riches d’un projet fort, les deux artistes commencent à démarcher différents directeurs de théâtre. C’est finalement celui des Fêtes nocturnes de Grignan qui semble le plus intéressé par ce projet hybride associant deux monstres sacrés du spectacle vivant : Pietragalla et Mesguich. Les rendez-vous s’enchaînent avec le département qui finance le festival. « C’est la première fois qu’une compagnie de danse est invitée à fouler le parvis du château, raconte Julien DerouaultPour nous, c’est une aventure extraordinaire, un vrai challenge. Il y a quelque chose de troublant de passionnant à jouer en plein air devant un tel patrimoine architectural. C’est un défi incroyable. Le château, comme Florence dans Lorenzaccio, doivent être pensé comme des personnages à part entière. Ils doivent s’inscrire dans la dramaturgie de la pièce. » C’est pour cette raison que les deux artistes ont fait appel à Gaël Perrin pour modéliser en 3D le château et pouvoir ainsi projeter dessus des images permettant d’identifier un lieu, une émotion. Grâce à la technique, il sera possible de transposer la façade renaissance dans n’importe quelle salle de spectacle.

Lorenzaccio Grignan_Pietragalla_Derouault ©Pascal Elliott _5_@loeildoliv

Très vite, le projet prend forme, la présence scénique, l’animalité de Julien Derouault, que l’on a pu découvrir dans le solo Etre ou paraître, au Festival OFF d’Avignon en 2014 et 2015, puis en février dernier au Studio Hébertot où il est repris pour plusieurs mois à partir du 17 septembre 2017, le désignaient tout naturellement pour interpréter le rôle-titre du Lorenzaccio d’Alfred de Musset. La grâce et virtuosité de la chorégraphe pour se glisser dans la peau de la Marquise. Si Lorenzaccio séduit autant les deux artistes, c’est aussi parce que c’est une œuvre protéiforme, étonnante. « C’est une pièce absolument géniale, magnifiquement écrite, s’enthousiasme Marie-Claude Pietragalla. Elle a une véritable profondeur, une dimension sociétale. Elle aborde des thématiques fondamentales de la philosophie, de la politique. Elle s’intéresse au rapport entre l’art et la vie réelle, entre la réflexion intellectuelle et l’action. » Face au travail titanesque et à l’impossibilité de monter l’intégralité de Lorenzaccio tant dans la durée – plus de 6 heures de spectacles – que dans l’incapacité de réunir durant 3 mois plus de 500 figurants, les trois artistes ont pris le parti de resserrer la pièce autour des onze protagonistes principaux. « Ils nous semblaient important, explique la chorégraphe, de recentrer l’intrigue autour de la psychologie des personnages tout en conservant l’essence de l’œuvre. Comme l’a dit Julien, il était important de mettre Florence au cœur de la pièce, car elle décide de la nature de l’être humain en l’acceptant en son sein ou en le rejetant hors de ses murs. C’est une cité monstre, tentaculaire qui avale ceux qui ont du pouvoir, de l’argent et rejettent les autres, les bannis, hors des murs. C’est un schéma qui se répète inlassablement siècle après siècle. En parcourant la pièce de Musset, qui comme tous les classiques à quelque chose d’intemporel, d’archétypal, il nous est apparu des images, des mouvements et cette évidence que Julien ne pouvait être que Lorenzo. Il en a l’ambiguïté, la force et les fêlures. » Plus, les deux chorégraphes approfondissaient leur lecture, plus il était évident pour eux qu’ils avaient fait un choix judicieux et que Grignan était le lieu idéal pour cette création atypique et singulière.

Lorenzaccio Grignan_Pietragalla_Derouault ©Pascal Elliott _8_@loeildoliv

« Alors que Lorenzaccio se situe à l’aube d’un changement, d’une effervescence intellectuelle et artistique, souligne Julien Derouaultil est étonnant de voir le parallèle avec ce qui se passe actuellement. Comme mon personnage de Lorenzo, j’ai le sentiment qu’on est en train de quitter un monde et qu’on aspire à une renaissance. Malgré le côté angoissant d’aller vers l’inconnu, le visage peu rassurant de l’avenir noir que l’on subodore, il est intéressant de constater qu’à l’époque le passage vers un ordre intellectuel nouveau, s’est fait par un mélange, une fusion des arts et des sciences. Il suffit notamment de penser à Léonard de Vinci, parfait exemple de cette alliance. Le parallèle entre ces deux époques, entre ces deux mondes à l’agonie aspirant à un changement, ne pouvait se traduire pour nous que par l’association de deux arts, la symbiose entre danse et théâtre. »

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

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Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Mise en scène Marie-Claude Pietragalla, Julien Derouault et Daniel Mesguich. Fêtes Nocturnes du château de Grignan. Jusqu’au 19 août 2017

Reprise du 1er au 10 février 2019 à la Salle Pleyel.

Crédit Photo © Pascal Elliott

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