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Richard III, Un opéra pop rock sombre, vénéneux et outrancier

Au théâtre de l'Odéon, Thomas Jolly présente sa version pop-rock du Richard III de Shakespeare.

Tragique, sanguinolent est le destin de Richard III. Pour nourrir la bête machiavélique et démoniaque, qui lui sert de corps, l’homme contrefait, honni de sa mère, n’hésite pas à sacrifier amis ou ennemis, parents ou étrangers, innocents ou nuisibles, sur l’autel de sa funeste ascension pour ceindre sur son front la couronne du royaume d’Angleterre. Afin de souligner la noirceur, la dramaturgie et le granguignolesque de ce destin hors norme conté par William Shakespeare, le jeune metteur en scène rouannais emprunte codes et références aux univers musicaux punk et pop-rock, au cinéma de genre, ainsi qu’à l’underground et au mouvement gothique. Il en résulte une débauche de lumières aveuglantes, de bruits assourdissants, de tonitruance exacerbée et de fureur sanglante. En habit de lumière, le Roi Jolly, ange démoniaque et plumé, fascine et captive dans un show extravagant et monumental… Parfois perdu dans ce théâtre où l’artifice est maître, le spectateur, exsangue après 4h30 de ce morbide spectacle, applaudit à tout rompre et salue l’impressionnante performance…

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Noir, brut, sombre est le décor. Etrange, lugubre, vide est l’espace. Pesant, lourd est le silence. Strident, grinçant est le son qui sort des entrailles du théâtre et qui accompagne l’ouverture d’une trappe placée à même le sol. De cet orifice inquiétant, obscur, s’échappe une brume blanche qui entoure une silhouette étrange, tordue et difforme. L’être, nimbé de lumière, est semblable à un oiseau de mauvaise augure, dont il porte les plumes sur le dos. Il en a la couleur et l’aspect. L’air maladif, le teint blafard, les yeux injectés de sang, il est contrefait, portant dans sa chair, côté gauche, la marque du démon, du diable. Le bras atrophié, la main grise acérée, la jambe raide, il scrute la salle de son regard inquisiteur. Visage d’ange, sourire carnassier, l’homme trouble et fascine. Sa laideur à un je-ne-sais-quoi de magnifique, de séduisant, qui le rend terriblement attirant. On le devine, à l’instar de ses intrigants oripeaux, l’âme de ce dernier a la couleur du jais, et cache de funestes desseins.

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Frère du roi Edouard IV (Damien Gabriac), dernier descendant des York, Richard (lunaire et spectral Thomas Jolly), duc de Gloucester, ne rêve que de pouvoir et de couronne. Pour cela, il est prêt à tout. Terriblement rusé, effroyablement machiavélique, il abuse toutes les personnes qu’il approche, que ce soit sa famille, ses pairs, ses amis ou ses ennemis. Tous vacillent et succombent à sa faconde sibylline, à son ensorcelante prestance. Aucun être ne sera épargné, qu’il ait la pureté de l’enfance, la faiblesse des beaux sentiments, ou la noirceur de la perfidie. Inévitablement, l’issue ne peut être que fatale. Tout finira dans un magistral et flamboyant bain de sang.

En invitant le public à un show démentiel, flashy et gothique, Thomas Jolly esquisse une satire du monde moderne et tellement actuel, où tous les gestes sont épiés par des caméras de sécurité invisibles mais terriblement intrusives, où la corruption règne en maîtresse et domine les rapports sociaux, où les politiques confondent show-biz et pouvoir. Il raconte, avec outrance et démesure, la sinueuse et cruelle ascension de ce roi despotique et infanticide que l’Angleterre a tenté d’oublier. Instigateur de chaos, Ironie de l’histoire, quelques six siècles plus tard, on retrouvera ses ossements dans les sous-bassements d’un parking public de Leicester.

En jouant sur les contradictions de cet homme manipulateur et sanguinaire, que sa difformité de naissance a marqué du sceau du désamour maternel, le jeune metteur en scène rouennais a créé un personnage subtil, multiple, difficile à haïr tout à fait, évoluant dans un univers fantastique à l’esthétisme brut, glacial. Les sons criards des instruments répondent à la tonitruance exacerbée, tragique, parfois à l’excès, des interprétations des comédiens de l’excellente Piccola Familia. L’obscurité omniprésente s’efface devant des faisceaux de lumières crues, aveuglant le public, qui transpercent violemment l’espace, telles des flèches vengeresses. Les scènes de groupe s’opposent à l’intimité des messes-basses et des conciliabules. Les premières sont placées sous un éclairage puissant, alors que les secondes, telles des apparitions fantomatiques, sont à peine auréolées de lumière, voilées de brume. L’effet est saisissant, féerique. Pourtant, la sensation d’orgie visuelle se fait parfois sentir, tant il use et abuse des effets et des références. Au final, des images intenses, fortes, resteront gravés sur nos rétines : le sacre délirant, version concert pop-rock, où le public est invité à reprendre en cœur avec le Roi Jolly « I’m a dog, I,m toad, I’m a Hedgedog »; le retour spectral des êtres morts, pour permettre à Richard de monter sur le trône; la mort étrangement étincelante, sur un champ de bataille, de cet être noir, sépulcral.

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Résolument moderne, futuriste et excessif, ce Richard III garde à cœur l’essence du texte tragique et mortifère de William Shakespeare. Il en a la violence, la brutalité, l’humour noir et le clownesque. Conçu comme un opéra punk, la scénographie s’attache avec ingéniosité au drame intime d’un être mal-aimé, qui n’a d’autre choix, pour survivre, que d’accorder à son âme la même noirceur qui frappe sa chair. Charismatique, inspiré, Thomas Jolly incarne avec justesse cet ange exterminateur, luciférien, hargneux, hâbleur, veule, menteur, flamboyant et pathétique.

Si certains seront perdus par autant d’outrance et de débauche, d’autres, majoritairement, seront fascinés par le talent de ce « show man » incroyable, de ce metteur en scène passionné … Magistral, grandiose et clinquant !…

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Richard III de William Shakespeare
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
75006 Paris
jusqu’au 13 février 2015
Du mardi au samedi 19h30
durée 4h30 avec entracte

Traduction de Jean-Michel Déprats
Adaptation de Thomas Jolly et Julie Lerat-Gersant
Mise en scène et scénographie de Thomas Jolly assisté de Mikaël Bernard
avec Damien Avice, Mohand Azzoug, Etienne Baret, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Émeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, François-Xavier Phan, Charline Porrone, Fabienne Rivier
Collaboration artistique : Pier Lamandé
Collaboration dramaturgique : Julie Lerat-Gersant
Création lumière de François Maillot, Antoine Travert et Thomas Jolly
Musiques originales et création son Clément Mirguet
Création costumes de Sylvette Dequest assistée de Fabienne Rivier
Parure animale de Richard III de Sylvain Wavrant
Création accessoires : Christèle Lefèbvre
Création vidéo Julien Condemine assisté d’Anouk Bonaldi
Photographies des portraits royaux Stéphane Lavoué
Doublure Richard III en création Youssouf Abi Ayad
Répétiteur enfants Jean-Marc Talbot

Production La Piccola Familia
Production déléguée Théâtre National de Bretagne / Rennes
Coproduction Odéon – Théâtre de l’Europe

Crédit photos © Brigitte Enguerand & © Nicolas Joubard

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