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Little Joe – New York 68/Hollywood 72… diptyque psychédélique

Little Joe l’intégrale, adaptation de la trilogie culte de Paul Morrisey, est une plongée abyssale de 3h15 dans le New-York interlope et underground de la factory d’Andy Warhol, véritable vivier artistique, et dans le Hollywood flamboyant et carton-pâte des années 70. A la frontière entre le cinéma et le théâtre, ce singulier voyage dans un monde esthétique où la liberté n est pas un vain mot, prend substance et relief grâce à un jeu habile de perspectives et de superpositions d’espaces. Dans ce tourbillon sous acide, plein d’humour et d’énergie, trois Joe nous guident. Trois comédiens épatants qui osent la

Little Joe l’intégrale, adaptation de la trilogie culte de Paul Morrisey, est une plongée abyssale de 3h15 dans le New-York interlope et underground de la factory d’Andy Warhol, véritable vivier artistique, et dans le Hollywood flamboyant et carton-pâte des années 70. A la frontière entre le cinéma et le théâtre, ce singulier voyage dans un monde esthétique où la liberté n est pas un vain mot, prend substance et relief grâce à un jeu habile de perspectives et de superpositions d’espaces. Dans ce tourbillon sous acide, plein d’humour et d’énergie, trois Joe nous guident. Trois comédiens épatants qui osent la nudité avec simplicité, nous charment et nous chavirent : Denis Lejeune, Matthieu Cruciani et le lumineux et cabotin Clément Sibony. C’est beau, c’est « sex » et visuellement bluffant. Seule ombre au tableau : le jeu creux, voire faussement forcé, de certaines comédiennes dérange … C’est un petit bémol pour une très jolie réussite.

L’immersion dans la Factory d’Andy Wharhol est frontale, tout comme la nudité du premier Joe (Matthieu Cruciani). Alors que la salle 400 du 104 se remplit, nu, allongé sur une banquette en cuir dans le plus simple appareil, le comédien attend, impassible. Au mur, des ombres dansent sur le rythme d’une musique psychédéique. Le saut dans le temps est brutal. L’entrée en matière directe. Lassé, le junkie est incapable d’être excité par sa partenaire d’un soir (Christel Zubillaga), qui ne lésine pourtant pas sur les moyens (danse lascive, strip-tease langoureux et voix chaude…) pour arriver à ses fins. En vain, l’homme est à terre, terrassé. En parallèle, l’autre Joe (Denis Lejeune), sorte de jumeau inversé, jouit de la vie et profite de son sex-appeal pour faire vivre sa petite famille. Il offre son corps aux hommes, aux femmes, pour quelques minutes de plaisir.Ces deux histoires s’entremêlent et forment la trame de New York 68, premier volet de ce diptyque théâtral. Elles puissent leur essence dans les deux premiers films de la célèbre et sulfureuse trilogie de Paul Morrisey : Flesh, Trash et Heat. Nos deux Joe ne sont en fait que les deux facettes d’une même personne : Joe Dallesandro, l’acteur fétiche du réalisateur, connu pour toujours comme l’ombre cinématographique du pape du pot-art américain.

Matthieu_Cruciani_Pierre_Maillet_Little_Joe_©jeanlouisfernandez_@loeildoliv

En adaptant ces monuments du septième art, qui ont à jamais gravé sur pellicule l’univers interlope et underground du NewYork de la fin des années 1960, dont prostitués, camés, et travestis sont les icônes, Pierre Maillet (théâtre des Lucioles) tente de ressusciter une époque révolue : celle de la liberté sexuelle, de la liberté artistique et de la liberté « tout court ». Une véritable gageure dans le climat actuel. Loin des clichés, le metteur en scène signe un hommage vibrant à Paul Morrissey, et à son mentor, Andy Warhol. Sa grande force : arriver à faire passer la nudité de ses comédiens pour accessoire. Rien de choquant, pas de voyeurisme, ni d’apologie, juste un constat, celui de la révolution sexuelle où être nu est tout ce qu’il y a de plus  normal. Dans cette virée sous acide au cœur de l’underground artistique new-yorkais, on suit avec beaucoup de tendresse nos deux Joe. Denis Lejeune et Matthieu Cruciani, parfaitement à l’aise habillés comme dévêtus, incarnent avec beaucoup de justesse et d’humour ces deux marginaux perdus dans la grande ville. Tour à tour violents, hystériques, fous, fragiles, sexys, transgenres et drôles, les personnages de cette première partie séduisent et sont un parfait reflet de ce que notre imaginaire nous renvoie de cette époque. Si dans cette atmosphère décadente et délétère, renforcée par une bande-son au diapason, Pierre Maillet excelle – incarnant une Holly délirante, magistrale et caustique -, certaines interprétations féminines frôlent la caricature. Et c’est bien le seul et unique grain de sable dans cette mécanique bien huilée.

Clément_Sibony_Denis_Lejeune_Frederique_Loliee_Little_Joe_©jeanlouisfernandez_@loeildoliv

Après un court entr’acte, on quitte le froid et la grisaille de la Côte Est américaine, pour les faubourgs de la cité des Anges. Dans un motel miteux, notre troisième Joe (Clément Sibony), un ex-enfant star, acteur et chanteur oublié depuis longtemps, se mêle au désabusés du système ou laissés-pour-compte de la machine à rêve du cinéma américain : Hollywood. Il navigue à vue entre les délires hystériques d’une « fille de » , dont la mère fut sa partenaire il y a de cela des lustres, deux frères à la ramasse, et une tenancière de pension, plantureuse et peu scrupuleuse. L’atmosphère de cette seconde partie, qui s’inspire de Heat, le dernier volet de la trilogie de Paul Morrissey, est plus lumineuse, plus détendue et plus enjouée. Le fond est pourtant le même : jeunesse éternelle, beauté, sexe, argent, et la recherche désespérée d’un but pour donner un sens à sa vie misérable. Si la première partie était sombre et spirituelle, Hollywood 72 est, à l’image du monde du cinéma, superficielle et clinquante. Le soleil inonde l’espace et brûle les derniers espoirs d’une jeunesse en quête d’ambition. Omniprésent, Clément Sibony irradie. Roulant des hanches, le regard charmeur et langoureux, il cabotine.

Clement_Sibony_Little_Joe_©jeanlouisfernandez_@loeildoliv

Clairement, il  se fait plaisir, notamment quand sa voix juvénile entonne avec justesse certains standards de l’époque. Il séduit l’auditoire tout autant que la vieille actrice prête à se damner pour un instant de plus dans ses bras. A ses côtés, Frédérique Loliée (la « fille de ») est divinement hystérique et complètement folle. Le gros hic vient de la fausseté du jeu de Véronique Alain, tellement forcé qu’on se demande si ce n’est pas fait exprès. Quoi qu’il en soit, c’est, sur le long terme, plutôt pénible.

Heureusement, ce n’est qu’une ombre, un nuage dans le ciel radieux de cet Hollywood décadent mais toujours aussi attirant. Au final, ce voyage en perdition de 3H15 est un enchantement. Disons le tout net,  techniquement et artistiquement, Little Joe est une réussite.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Clément_Sibony_Little_Joe_©Bruno_Geslin_@loeildoliv

Little Joe. New York 68 / Hollywood 72
Du 21 au 29 mars à 19h (Premier épisode) et 21h30 (deuxième épisode)
104
5, rue Curial – 75019 Paris
M° Riquet ou Crimée
Réservation 01 42 05 38 40

Texte et Mise en scène Pierre Maillet
D’après les films de Paul Morrissey
Avec, dans New York 68, Matthieu Cruciani, Christel Zubillaga, Denis Lejeune, Emilie Beauvais, Jean-Noël Lefèvre, Geoffrey Carey, Guillaume Béguin, Pierre Maillet, Emilie Capliez, Valérie Schwarcz, Marc Bertin.
dans Hollywood 72, Clément Sibony, Elise Vigier, Frédérique Loliée, Denis Lejeune, Matthieu Cruciani, Véronique Alain, Jonathan Cohen, Pierre Maillet, Geoffrey Carey.

Crédit photos © Bruno Greslin / © Jean-Louis Fernandez

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