Tg STAN - Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning - © DR

tg STAN, le collectif comme état d’esprit

Au Théâtre Garonne, le Tg STAN présente la version française de Que sera sera, d'après "le cinéma selon Alfred Hitchcock" de François Truffaut.

Tg STAN - Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning - © DR

Au théâtre Garonne, où il présente l’adaptation française de leur dernière création Que sera sera, le collectif flamand tg STAN (Stop Thinking About Names) s’empare à sa manière décalée, poétique et profondément humaine du livre de référence de François Truffaut, Le cinéma selon Alfred Hitchcock, conçu à partir d’un échange épistolaire entre les deux cinéastes. Rencontre avec des artistes généreux et passionnés. 

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Damiaan De Schrijver : Au cours de notre formation, nous avons eu la chance de rencontrer Matthias de Koning. Son théâtre nous a tout de suite plu par son originalité. Sa grande force est de sortir du cadre, faire du théâtre une expérience collective. C’est avec lui que nous avons appris à travailler, que nous avons grandi et que nous nous sommes construits comme artistes. Il est tellement important pour nous, qu’il est de quasiment tous nos spectacles. Je suis vraiment accro à lui [rires]. C’est grâce à lui, à son aide, qu’en sortant du conservatoire d’Anvers, nous avions présenté pour l’examen final deux spectacles, Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz et Oncle Vania d’Anton Tchekhov. Repérés par les programmateurs, nous sommes tout de suite partis en tournée à travers la Belgique et le Pays-Bas. Nous avons dû nous organiser, créer une compagnie. Le tg STAN était né. C’était en 1989. Depuis nous avons monté pas moins de 140 spectacles, des pièces de Shakespeare, des adaptations des films de Bergman, des textes d’Oscar Wilde, d’Ibsen, de Pinter, de Molière, de Schnitzler, de Jon Fosse, qui vient d’avoir le prix Nobel et pour qui nous venons de jouer à Oslo, et bien d’autres encore. Nous sommes flamands, mais très vite nous avons fait le choix de jouer la plupart de nos spectacles en français, pour pouvoir tourner en France et dans la plupart des pays francophones. Cette décision est notamment liée au fait qu’en Belgique, il y a trois communautés, les Wallons, les Flamands et les Allemands, et qu’il est difficile de passer de l’une à l’autre. C’est très sectorisé. Soit on joue à Liège et Bruxelles, soit à Gand et Anvers.

Que Sera Sera Tg STAN ©  Tim Wouters
© Tim Wouters

Damiaan De Schrijver : Bonne question. Je pense que c’est notamment lié au fait, qu’à quelques exceptions près, le collectif dans sa structure n’a que peu bougé. À part Sara De Roo, qui est devenue directrice du conservatoire, Jolente De KeersmaekerFrank Vercruyssen et moi-même sommes toujours partie prenante de l’aventure. Une autre raison est que nous avons aussi fait le choix de monter des spectacles individuellement, de participer à d’autres projets en dehors du collectif. Ce qui signifie que nous avons toujours accepté d’autres collaborations, que d’autres personnes participent à nos projets. C’est notamment le cas de Matthias de Koning et de sa compagnie Maatschappij Discordia, de Bert Haelvoet, qui a été mon élève, et avec qui nous montons actuellement ce spectacle autour d’Hitchcock, de Truffaut mais aussi de Godard. Il faut dire que du fait de notre répertoire plutôt riche, nous avons souvent trois ou quatre spectacles qui tournent en même temps. Les temps sont toutefois plus rudes. Les subventions moins importantes. Il est plus difficile de faire de grandes formes, ce qu’affectionne tout particulièrement Jolente. Je préfère pour ma part les spectacles en petit comité. 

Bert Haelvoet : Au sein du collectif, il y a une vraie histoire de transmission. Je ne fais pas partie à proprement parlé du groupe, mais je travaille beaucoup avec Damiaan De Schrijver, qui a été mon professeur. Pour ce projet, Que sera sera, nous sommes trois générations d’acteurs. C’est pour moi essentiel et fondamental. Si je n’avais pas vu un jour un spectacle du tg STAN, j’aurais peut-être quitté le théâtre. Grâce à eux, je me suis dit que quelque chose était possible. Travailler régulièrement avec eux, et avec Matthias, est une vraie chance. 

Matthias de Koning : La grande force du tg STAN, sa longévité, sont dues non seulement à leur démarche qui consiste à transposer les textes qu’ils soient classiques ou contemporains dans l’ici et maintenant, mais aussi à l’accueil qu’ils font aux artistes qui gravitent autour d’eux. C’est toujours un plaisir de travailler avec eux. Il y a une connivence immédiate. 

Damiaan De Schrijver : Le texte est essentiel. On se met tous à la table, on le travaille ensemble, on le traduit ensemble phrase par phrase. Tout est collectif. On développe le spectacle sans metteur en scène, chacun apporte sa pierre à l’édifice sans hiérarchie. C’est d’ailleurs Matthias de Koning et sa compagnie Maatschappij Discordia qui nous ont servi de modèle. C’est très important dans notre processus créatif, que le comédien ou la comédienne soit au début et à la fin de la chaîne de production. C’est lui ou elle qui décide de ce qu’il ou elle va jouer, quelle impulsion donner à son personnage. 

Matthias de Koning : Les comédiens sont les patrons. Il n’y a pas de hiérarchie. Le comédien doit être indépendant et authentique. 

Matthias de Koning : On fonctionne pareil. L’un des membres du collectif ou des invités propose un texte, un sujet. Puis on creuse ensemble, voir ce qui est possible, si cela résonne en chacun de nous. 

Damiaan De Schrijver : Ça commence avec un texte que l’un de nous a déjà proposé ou que nous choisissons ensemble. Puis après autour de la table, puis au plateau, on en discute, on se l’approprie, on voit comment l’explorer. 

Bert Haelvoet : La première fois où j’ai travaillé avec le tg STAN, nous étions huit ou neuf. Trois textes nous ont été soumis et nous avons voté. Mon choix, je me souviens, s’était porté sur Un mois à la campagne de Tourgueniev. Manque de pot, c’est La Cerisaie qui a remporté le plus de voix. 

Damiaan De Schrijver : ne t’inquiète pas. Ce n’est que partie remise. On le fera tous les deux. On jouera tous les personnages [rires].

Damiaan De Schrijver : Tout se passe à la table. On ne sait jamais qui va jouer quoi, un homme, une femme, plusieurs personnages. Chacun doit défendre son choix, son envie. Puis nous passons au vote. C’est souvent la semaine la plus difficile pour les comédiens. Mais cela reste très démocratique. Une fois que les rôles sont distribués, il n’y a pas de contestation. Par ailleurs, nous veillons aussi à varier les plaisirs, à faire en sorte que des duos déjà réunis ne soient pas réitérés. C’est très moderne, loin de ce qu’on nous a appris au conservatoire. C’est cela qui fait notre particularité, notre singularité, mais aussi qui alimente notre passion, notre feu, notre désir de créer toujours. Après, nous avons évolué, nous avons grandi, nos goûts ont changé. Mais je crois, en tout cas pour moi, cela reste essentiel. C’est là que je me sens plus à l’aise. C’est cela que j’ai envie de transmettre. 

Damiaan De Schrijver : Je pensais que c’était intéressant. Plus sérieusement, un ami, un cinéaste belge, m’a toujours dit qu’il avait beaucoup appris avec ce livre paru en 1966. En tant qu’enseignant, il le conseille à ses élèves. C’est un peu comme une bible, qui permet de tout savoir sur le cinéma. Plus spécifiquement, ce qui me plaisait dans cet ouvrage, c’est ce qu’il dit de Truffaut, de son idolâtrie pour Hitchcock. On est en 1962, le réalisateur britannico-américain tourne Les OiseauxTruffaut, alors critique aux Cahiers du cinéma, lui adresse une lettre pour lui demander un entretien. Le premier ne parle pas français, l’autre pas l’anglais. Peu importe, Hitchcock accepte. S’ensuivent huit jours et une trentaine d’heures d’échanges. Tout y passe : anecdotes, bien sûr, mais aussi une multitude d’informations techniques et artistiques. Cela donne un ouvrage très pratique, très prisé des étudiants en cinéma. 

Bert Haelvoet : D’autant qu’à l’époque, Hitchcock n’est pas forcément considéré comme le monstre sacré qu’il est aujourd’hui. Il fait du thriller. Il a un rapport aux femmes limite. C’est un dominant. Ce qui l’intéresse ce n’est pas le jeu, pas le fond mais la finalité, l’argent que le long-métrage va apporter. Le film doit être efficace, un point c’est tout. C’est pour cette raison qu’il était important de trouver un contre-point. C’est comme cela que Godard et son regard sur le 7e art est entré dans la danse, sur une idée de Matthias. Son approche est plus artistique, plus expérimentale, clairement moins voire pas du tout mercantile. 

Matthias de Koning : Ce qui est intéressant avec Hitchcock, c’est qu’il a tout connu du cinéma du XXe siècle. il a commencé avec les films muets. Il a vu l’arrivée du son, de la couleur. C’est passionnant. Face à lui, Godard est un esthète, ce qui l’intéresse c’est d’offrir aux spectateurs une expérience où tout n’est pas gratuit, où il doit faire son propre chemin, sa propre réflexion. Chez lui, il n’y a pas de personnages définis. Ils se construisent au fil des rencontres avec les comédiens et comédiennes. Confronter les deux cinéastes est passionnant. 

Damiaan De Schrijver : L’enjeu n’est pas à cet endroit. On n’emmène pas le cinéma au théâtre. Tout simplement parce qu’on part du texte, pas de la pellicule. Ensemble, à la table, avec Matthias et Bert, on travaillait le texte, on fait des coupes, on choisit des morceaux. Puis nous avons entremêler à l’échange épistolaire entre Truffaut et Hitchcock, des extraits de l’entretien qui a eu lieu en 1980 entre Jean-Luc Godard et le journaliste américain Dick Cavett. Parfois, on passe des images, mais ce n’est pas l’essentiel du spectacle. Ce qui nous intéresse c’est la manière dont chacun des interlocuteurs se répondent, comment ils interagissent ensemble. Je sais bien qu’actuellement faire du cinéma au théâtre, filmer en direct les comédiens, est un des grands courants de la scène européenne. Ce n’est pas ce que je cherche, je préfère le théâtre tout court. Par contre, montrer comment Hitchcock imagine un long traveling, pour coller en une prise au plus près des émotions, je trouve cela fascinant. C’est cela que l’on a souhaité traiter. On ne cherche pas à démystifier le cinéma, mais à montrer quel métier cela est. 

Damiaan De Schrijver Cela arrive parfois. C’est pour nous plus simple. C’est notre langue maternelle. 

Bert Haelvoet : Bien évidemment. Mais étonnamment, c’est plus facile en français, ou pour être plus exact, plus libérateur. On est obligé de se concentrer plus, d’être moins direct dans notre adresse mais quand on le fait bien, cela sonne mieux, plus intensément. Je ne saurais l’expliquer. 
Les mots deviennent des obstacles, mais paradoxalement, on est plus conscient de ce qu’ils signifient, comment ils résonnent chez les spectateurs. C’est assez jouissif !


Que sera sera / Hitchcock Truffaut/ Cavett Godard / Pour qui pour quoi de Bert Haelvoet, Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning
création de la version française au Théâtre Garonne
1 Avenue du Château d’Eau
31300 Toulouse

du 21 au 25 novembre 2023

Tournée
5 et 6 décembre 2023 au Malraux. Scène nationale de Chambéry
14 et 15 décembre au théâtre benno besson, Yverdon-les-Bains
16 au 20 janvier 2024 au théâtre les tanneurs, Bruxelles

avec Bert Haelvoet et Damiaan De Schrijver
texte d’après Le cinéma selon Alfred Hitchcock de François Truffaut, éditions Gallimard
vidéo Emma Hampsten
costumes Elisabeth Michiels
technique Tim Wouters

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