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Mesure pour mesure, Shakespeare à la peine

Au Tandem à Arras, Arnaud Anckaert rate son Shakespeare.

Au Tandem à Arras, Arnaud Anckaert s’empare laborieusement de Mesure pour mesure, une tragi-comédie de William Shakespeare. À trop tirer cette fable sur le pouvoir vers la métaphore métaphysique, il se perd dans les méandres de sa pensée et laisse le public sur le carreau. L’interprétation fine de Chloé André et les pantomimes drolatiques de Pierre-François Doireau ne suffisent malheureusement pas à donner chair et corps à ce spectacle beaucoup trop confus. 

Dépressif, un brin pervers, Le duc de Vienne semble las du pouvoir. Afin de recouvrer le goût de la vie, le sens du devoir, prétextant un voyage diplomatique, il décide de laisser les rênes de la cité à son cousin, le trop puritain Angelo. Doutant de lui-même et de ses décisions autant que de ses conseillers, le noble souverain se déguise en moine et ainsi incognito va au contact de son peuple. Il va très vite déchanter. Non seulement, à l’image des puissants, la cité semble gangrénée par le vice, mais loin d’être l’intègre qu’il prétend, le régent se révèle le pire des fléaux, un faux dévot lubrique et fourbe.

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Face à la dépravation de ses congénères, à la folie du pouvoir, seule la belle et angélique Isabella (Chloé André), une nonne prête à tout pour sauver la tête de son frère, condamné pour avoir fauté avant le mariage avec son accorte fiancée, va se lever et lutter. Mais sa belle rhétorique, sa séduisante vertu, suffiront-elles à faire ployer le monstre lubrique qui se cache en tout homme ? Ces nerfs pourtant d’acier seront soumis à rudes épreuves pour le savoir. 

Cousine lointaine de Beaucoup de bruit pour rien, Mesure pour mesure de William Shakespeare traite avec force dérision et âpre tragédie du pervertissement des âmes corrompues par le pouvoir, débauchées par l’avidité du gain, ensorcelées par le désir. Jouant sur les faux-semblants, il s’amuse à confronter en des dialogues ciselés l’orgueil des uns à l’humilité des autres et offre à chacun en un twist final qui traîne en longueur le choix ultime entre la rédemption et la chute. 

Étrange, singulière, cette pièce du célèbre dramaturge anglais navigue en permanence entre tragédie et comédie. Elle demande une exigence, un travail minutieux pour éviter les écueils de la caricature. À trop intellectualiser le texte, Arnaud Anckaert pêche par arrogance et finit par s’égarer dans les circonvolutions de ses réflexions. Rêvant de faire de cette fable une satire sans concession du pouvoir, il ne laisse aucune place à une quelconque liberté artistique, une folie qui permettrait quelques respirations, quelques envolées lyriques dont cette froide adaptation aurait bien besoin pour être plus digeste, moins absconse. 

Malgré une scénographie fort intéressante à deux niveaux, qui, étonnement, est sous employée, la présence lumineuse de Chloé André, parfaite en sainte jeune fille, et l’interprétation ciselée de Pierre-François Doireau, épatant en amuseur public, le spectacle-fleuve ne décolle pas et laisse un goût amer d’inachevé, d’inabouti. L’ensemble sonne faux, manque d’âmes. Et rien, malheureusement, pour sauver le public, totalement perdu dans ce chaos théâtral et scénique. Le trop – d’idées, de registres, de sonorisation, d’effets, etc – devient l’ennemi du bien. Quel gâchis !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Arras


Mesure pour mesure de William Shakespeare
Créé au Tandem, scène nationale le 26 février 2019
7 Place du Théâtre
62000 Arras
durée 2h10 environ

Tournée 
le 8 mars 2019 au Manège, Maubeuge
du 26 au 29 Mars 2019 à La Comédie de Béthune, CDN Hauts-de-France
du 2 au 4 avril 2019 à La Comédie de Picardie, Amiens
le 6 avril au Théâtre Romain Rolland, Villejuif
les 10 & 11 avril 2019 au Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains
les 25 & 26 avril 2019 au Bateau Feu, Dunkerque
le 21 mai 2019 à La Barcarolle, Arques
les 23 & 24 mai 2019 au Chateau d’Hardelot

Adaptation et mise en scène d’Arnaud Anckaert assisté de Marie Filippi
Scénographie d’Arnaud Anckaert
Création lumières de Daniel Lévy
Création musique de Benjamin Collier
Création costumes d’Alexandra Charles
Régie générale de Frédéric Notteau
Régie son d’Olivier Lautem
Construction décor d’Alexandre Herman
avec Chloé André, Alexandre Carrière, Roland Depauw, Pierre-François Doireau, Amélia Ewu en alternance avec Gaëlle Voukissa, Fabrice Gaillard, Maxime Guyon, Yann Lesvenan, Valérie Marinese et David Scattolin
Production : Compagnie Théâtre du prisme, Arnaud Anckaert et Capucine Lange

Crédit photos © Bruno Dewaele

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