Le fondu enchaîné cannois d’Etienne Gaudillère

Au théâtre 71, Etienne Gaudillère plonge dans les coulisses du Festival de Cannes.

Révélé au Festival d’Avignon en 2018, avec sa pièce documentaire sur l’affaire Wikikeaks, le jeune metteur en scène Etienne Gaudillère revient sous les feux des projecteurs. Avec son regard perçant, mordant, il plonge avec délice et fascination dans les coulisses du festival de Cannes. Travelling sur un artiste à suivre !

Comment êtes-vous devenu metteur en scène ? 

Etienne Gaudillère : A l’origine, je suis comédien. Je crois que ce qui me touche fondamentalement dans ce métier, c’est de comprendre un petit peu la vie des autres, de se mettre au service d’une existence, d’une personnalité, d’un caractère qui me sont lointains, étrangers, qui soient tout simplement distincts de ce que je suis. C’est aussi de chercher au plus profond de soi comment l’on serait si on avait pris un autre chemin, si notre destinée était différente. Quel roi pourrais-je être ? Quel étranger suis-je ? Acteur, c’est être fondamentalement en empathie. Même si comprendre ne veut pas dire accepter. Le vrai déclic en tant que metteur en scène a été Pale Blue Dot, une histoire de Wikileaks. Lorsque j’ai découvert l’histoire, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait la raconter, la partager j’ai eu l’envie, un peu folle, de mettre en lumière les questionnements de notre époque. C’était comme une nécessité. J’ai commencé à écrire. Puis rapidement, j’ai rêvé de donner corps aux mots, de mettre en espace ce récit. D’une idée est né un projet. Avec les moyens du bord, le soutien, du NTH8, à Lyon), c’est devenu une réalité. J’ai pris plaisir à être de l’autre côté, dans les coulisses. Avec Cannes – Trente-neuf / Quatre-vingt-dix, créé au Théâtre Molière – Sète – Scène national Archipel de Thau, c’est encore un autre processus qui s’est révélé ; celui d’être auteur du spectacle. En dehors du dialogue entre Varda et Demy, tiré d’entretiens, j’ai tout écrit. Ce n’était pas le cas pour le précédent spectacle, ou la moitié du texte venait de de matière extérieure (discours, interviews…). 

Comment choisissez-vous les sujets que vous traitez ? 

 Etienne Gaudillère : Il y a, je crois, la nécessité à l’origine d’avoir une histoire à conter qui reflète notre monde. Sur Cannes, c’est un sujet très surprenant pour beaucoup de personnes, mais aujourd’hui la question est plutôt de se demander « comment cela n’a pas été fait avant ? ». Il y a une telle richesse d’enjeux politiques, économiques, artistiques et une telle galerie de personnages… Pale Blue Dot et Cannes – Trente-neuf / Quatre-vingt-dix ont comme point commun, il me semble, d’avoir un rapport à l’histoire et aux époques. Comment la grande Histoire s’écrit et naît d’histoires individuelles, de choses qui peuvent paraître anecdotiques . Comment, nous en sommes les spectateurs, certes, mais aussi les acteurs. C’est basique, mais tellement important.

Après l’affaire Wikileaks, vous vous intéressez au festival de Cannes côté paillettes – côté coulisses. Qu’avez-vous eu envie de raconter ? 

Etienne Gaudillère : Il y a beaucoup de choses mises sous les feux des projecteurs dans Cannes. On lorgne beaucoup du côté de la fresque. Mais je crois que le point central est la question de l’art – ici cinématographique – comme élément qui “échappe” sans cesse aux enjeux politiques, économiques, diplomatiques, qui vient sans cesse les mettre en crise – et bien heureusement. Puis je voulais mettre dans la lumière Philippe Erlanger, qui a été totalement oublié de l’histoire. Selon Wikipédia, il est « mort sans postérité » alors que c’est lui qui a eu l’idée du Festival dans un train en 1939, sans savoir bien évidement que ce rêve se transformerait en mythe… Peut-être que ce sont les idées et le pari de les défendre, qui sont finalement la vraie trame de ce spectacle.

Comment avez-vous procédé pour écrire un spectacle qui couvre plus de 50 ans de Festival ? 

Etienne Gaudillère : Ça a été deux ans de recherches, de rencontres avec des historiens, des gens qui ont fait ou vécu le Festival. A partir de là, avec mon équipe, on a choisi des moments clefs où Cannes est en crise et/ou risque d’être annulé. Étonnement, ce sont aussi des périodes qui reflètent les grands enjeux de ce jubilé : la guerre froide en 1954, les attentats en 1975…. De toute cette matière, J’ai jeté beaucoup de texteS, de sujets profondément intéressants mais qui ne trouvaient pas leur place dans le spectacle. La vraie surprise a été qu’il n’y a finalement pas beaucoup de matières documentaires qui explorent les mutations profondes des structures de cet événement international. C’est un festival « aussi célébré que méconnu », des mots même de Thierry Frémaux. Il a donc fallu – et tant mieux – imaginer comment les choses auraient pu se passer, rêver, se permettre de s’amuser en se décollant aussi d’une pure reconstitution historique plate. Tout cela a donné un prologue, quatre tableaux et trois intermèdes, où « toutes les situations sont imaginées, mais où tous les faits sont vrais. » Et une certaine subjectivité.

Y a-t-il des thématiques qui vous ont plus marquées que d’autres ? 

Etienne Gaudillère : Tout est passionnant. L’histoire du Festival est tentaculaire. De l’évolution du règlement à l’arrivée des médias, en passant par le marché international du film, les inflexions diplomatiques, c’est d’une telle densité, d’une telle richesse. Mais la dramaturgie était de montrer comment le Festival, qui est né sous la coupe ministérielle, est passé d’un “engluement” dans les enjeux diplomatiques à une institution supra-nationale que les pays n’osent plus contester. Comment un mythe s’est créé. L’intérêt était aussi de montrer l’apparition, par petites touches, de notre monde à nous : la naissance des paparazzi, l’arrivée des mesures de sécurité, des marques… Toutes ces choses auxquelles notre regard est habitué, sans savoir qu’elles n’ont pas toujours existées, pour le meilleur, pour le pire !

Comment avez-vous choisi les comédiens ? 

Etienne Gaudillère : Le problème est que l’histoire du Festival de Cannes est une histoire d’hommes. Comme je ne voulais pas une distribution où il n’y aurait que des hommes, le choix a été fait de faire jouer des rôles d’hommes aux actrices – ce qui permet, en plus, de rester dans l’esquisse des personnages, de ne pas chercher une reconstitution historique qui aurait été, il me semble, moins intéressante. Aussi parce que chacun est défini, par ses idées et ses positions plus que par son corps. “Chacun a ses raisons”, comme dit Jean Renoir.

Avez-vous d’autres projets ? 

Etienne Gaudillère : Cannes est en tournée cette saison et le sera la saison suivante. Oui, il y a d’autres projets, mais c’est encore trop tôt pour en parler…

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Cannes – Trente-neuf / Quatre-vingt-dix d’Etienne Gaudillère
Théâtre 71
3 place du 11 novembre
92240 Malakoff
Jusqu’au 16 janvier 2020


Tournée
Les 18 et 19 janvier 2020 au Théâtre Firmin Gémier / La Piscine, Châtenay-Malabry
Le 22 février 2020 à la Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains
Le 7 mars 2020 au théâtre de la Croisette, Cannes

Crédit portrait © Rebecca Diaz / crédit photos © Jurin Jovan

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