Onéguine de Pouchkine. mise en scène de Jean Bellorini. TNP. TGP. © Pascal Victor

Onéguine, le spleen russe sonore et poétique de Bellorini

Au TGP, puis au TNP en février prochain, Jean Bellorini s’empare avec une délicatesse infinie d’Onéguine, l’œuvre phare de Pouchkine.

Au TGP, puis au TNP en février prochain, Jean Bellorini s’empare avec une délicatesse infinie d’Onéguine, l’œuvre phare de Pouchkine. Grâce à un dispositif sonore des plus ingénieux et un quintet vibrant de jeunes comédiens, l’âme slave du héros romantique hante le plateau et convie à une belle rêverie mélancolique. 

Dans la petite salle Mehmet Ulusoy du Théâtre Gérard Philipe – Centre dramatique national de Saint-Denis, au centre d’un dispositif bifrontal resserré, un piano, deux tables et quelques chandeliers sont les seuls éléments de décor. Il n’en faut pas plus au talentueux Jean Bellorini pour donner vie au sombre roman du dramaturge russe. Préférant la légèreté d’une évocation à une démonstration qui serait trop imposante, le tout nouveau directeur du TNP revient dans les murs de son ancienne maison et joue avec les sensations sonores des spectateurs. Casque rivé sur les oreilles, ils écoutent les cinq jeunes comédiens susurrer les errances sentimentales du jeune Onéguine. 

Au vent d’hiver
Onéguine de Pouchkine. mise en scène de Jean Bellorini. TNP. TGP. © Pascal Victor

Le souffle d’une voix, les claquements d’une langue, les bruitages et les musiques mixés par Sébastien Trouvé et Jérémie Poirier-Quinot, convient à une balade au cœur de la Russie des tsars. Le vent glacé, la neige qui crisse sous les roues en bois d’une calèche, les bruissements d’une robe en soie, tout est suggéré avec ingéniosité. C’est simple, il suffit de fermer les yeux pour surprendre au détour d’une allée, d’un bosquet la mine affable du ténébreux Onéguine souriant à la belle Tatiana, pour voir le jeune homme traîner son spleen, son ennui dans les soirées mondaines de Petersbourg ou dans les plaines gelées de la campagne slave. 

Malicieuse complicité

Prenant le public à témoin, les comédiens s’amusent à basculer de la fiction à la réalité, du songe au factuel. Ainsi, en préambule, l’épatant Matthieu Tune, narrateur ensorceleur de cette tragédie, rappelle que le roman de Pouchkine se compose d’exactement 5 523 vers à quatre pieds. Pas la peine de prendre ses jambes à son cou, la magnifique traduction d’André Markowicz tinte délicieusement aux oreilles. Les mots s’envolent dans les airs, virevoltent laissant dans leurs sillages les fantômes d’antan se libérer de leur carcan littéraire. 

Tragédie joliment désuète
Onéguine de Pouchkine. mise en scène de Jean Bellorini. TNP. TGP. © Pascal Victor

Pouchkine, comme la plupart des auteurs russes de la fin du XIXe siècle, s’y entendent à merveille pour décrypter cette fameuse âme slave, faite de fièvre, de fougue et de mélancolie. Il en cisèle les contours. La jeunesse dorée de Petersbourg s’ennuie à mourir, mais avec démesure, avec panache. Onéguine ne déroge pas à la règle. D’une soirée à l’autre, il dépense sans compter, s’enivre de belles paroles et de sombres pensées. Refusant la facilité d’un amour qui pourrait le rentre heureux, il commet l’irréparable en séduisant Olga, sœur de la trop parfaite Tatiana et promise de son meilleur ami. Le drame est inévitable. Il déploie ses ailes noires, funestes sur le sort de notre nonchalant dandy. 

Bellorini en état de grâce

Avec peu, Jean Bellorini fait beaucoup. Il a cette capacité fine de saisir les essences des œuvres qu’il adapte afin d’en magnifier la force lyrique. Onéguine ne déroge pas à la règle. Porté par une troupe de comédiens habités et espiègles – Clément DurandGérôme FerchaudAntoine RaffalliMatthieu Tune, Mélodie-Amy Wallet – le roman de Pouchkine dévoile toutes ses beautés exaltées, ses envolées poétiques. Moment suspendu laissant l’imaginaire galoper , ce petit bijou théâtral frappe juste et captive. Loin de la pandémie et des chaleurs caniculaires de ces derniers jours, les spectateurs conquis ont deux heures durant voyagé dans un ailleurs délicat et ouaté.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Onéguine de Pouchkine. mise en scène de Jean Bellorini. TNP. TGP. © Pascal Victor

Onéguine de Jean Bellorini, d’après Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine
TGP – Théâtre Gérard Philipe – centre dramatique national de Saint-Denis
59, boulevard Jules-Guesde 
93 207 Saint-Denis Cedex
Jusqu’au 27 septembre 2020
Durée 2h00

Tournée
du 1er au 3 décembre 2020 au Théâtre de l’Archipel – scène nationale, Perpignan
Les 14 et 15 janvier 2021 au Théâtre de la Coupe d’Or – scène conventionnée, Rochefort
du 18 au 22 janvier 2021 à La Coursive – scène nationale, La Rochelle
du 23 février au 3 avril 2021 au Théâtre National Populaire, Villeurbanne

Mise en scène, Scénographie, lumière de Jean Bellorini assisté de Mélodie-Amy Wallet
Avec Clément Durand, Gérôme Ferchaud, Antoine Raffalli, Matthieu Tune, Mélodie-Amy Wallet
Composition originale librement inspirée de l’opéra Eugène Onéguine de Piotr Tchaïkovski enregistrée et arrangée par Sébastien Trouvé et Jérémie Poirier-Quinot
Traduction d’André Markowicz, publiée aux Editions Acte Sud, Collection Babel
Flûte Jérémie Poirier-Quinot
Violons Florian Mavielle, Benjamin Chavrier
Alto Emmanuel François
Violoncelle Barbara Le Liepvre
Contrebasse Julien Decoret
Euphonium Anthony Caillet

Crédit photos © Pascal Victor

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