Racine à masques joué

A Aubervilliers, dans les locaux des Tréteaux de France, Robin Renucci prépare sa prochaine création, une adaptation masquée du Britannicus de Racine.

A Aubervilliers, dans les locaux des Tréteaux de France, Robin Renucci, directeur de ce Centre dramatique national itinérant, prépare sa prochaine création, l’intégrale de Britannicus de Racine. Mesures sanitaires obliges, il intègre à sa mise en scène port du masque et distanciation sociale. Un défi de taille relevé avec beaucoup d’ingéniosité. Reportage. 

En plein cœur du 93, l’un des départements français les plus touchés par la Covid, la vie culturelle reprend en douceur. De l’extérieur, les locaux ne paient pas de mine. Le camouflage est parfait. Impossible de savoir qu’une ruche théâtrale se cache derrière ses murs passepartouts. Dans l’entrée, tout est prêt pour accueillir les équipes artistiques et quelques visiteurs. Une bouteille de gel et des masques sont en libre-service. Loin du théâtre 14, où on l’avait laissé, Johanny Bert nous fait les honneurs des lieux. La rencontre est autant fortuite que rapide. Il répète, ici, son prochain spectacle. Mais c’est ailleurs que nous sommes attendus. Dans une petite salle du rez de chaussée. Jean-Frédéric Lemoues, assistant de Robin Renucci, est là. Il nous présente l’équipe. Ils sont sept à être au plateau. 

Un tapis pour scène

L’instant est singulier. Les comédiens viennent de découvrir le décor. Un magnifique et immense tapis octogonal, dont les motifs géométriques rappellent les mosaïques qui ornaient les sols des maisons antiques. Cela tombe bien. Direction Rome.  L’Empereur Claudius vient de mourir. Agrippine (Nadine Darmon), son ambitieuse épouse, dont l’hyménée est récent, impose sur le trône son fils Néron (Tariq Bettahar), aux détriments de l’héritier légitime Britannicus (Christophe Luiz). La grogne gronde. Les intrigues de cour vont bon train. Le pouvoir pervertit les âmes et abîme les belles amours. 

Des répétitions au temps du coronavirus

Ne brûlons pas les étapes. Après un travail à la table et en visioconférence, les artistes ont repris le chemin des répétitions. Depuis un peu moins de deux semaines, ils se familiarisent avec le plateau, se confrontent aux vers, au jeu enfin face à face. Pour l’heure, ils s’échauffent en attendant l’arrivée du metteur en scène. Quelques mouvements, quelques vocalises, quelques exercices de diction. Un nouveau texte à apprendre, le prologue tout juste imprimé. Il situe l’action, les personnages. Les comédiens se le mettent en bouche, s’écoutent les uns les autres, voient comment les césures tombent.

Un festival au coeur de l’Île-de-France 

Petite pause, Robin Renucci arrive à pas feutrés. Voix douce, basse, légèrement grave, il fait le point sur le programme du jour. Ce soir a lieu un filage. Il faut s’y préparer. Mais tout d’abord, il tient à voir comment fonctionne le prologue. Assis par terre, face au metteur en scène, les artistes, les uns après les autres, s’essayent au texte. L’important est de captiver leur futur auditoire. Il faut par les intonations, la manière d’amener l’histoire de rivalité entre Néron et Britannicus,que chacun puisse être captivé. Dans le cadre du festival « l’Île-de-France aime le théâtre », les Tréteaux de France propose une série de spectacles dans différents lieux de loisirs de la région parisienne. Aux comédiens incombent d’être bateleurs, d’entraîner vers la salle à ciel ouvert un public pas forcément habitué au théâtre. C’est tout le challenge de ce projet, conquérir le cœur de nouveaux spectateurs. 

Une mise en scène masquée

Tout en délicatesse, Robin Renucci dirige sa troupe. Il se nourrit des propositions des artistes pour alimenter sa propre vision du spectacle. Coronivrus oblige, c’est munis de leur masque qu’ils doivent dire leur texte. Du coup, le metteur en scène se sert de cette contrainte comme d’un effet scénique. Il s’appuie d’ailleurs sur l’un des vers de Racine, prononcée par Agrippine, « Ah l’on s’efforce en vain de me fermer la bouche ! » pour donner du poids à ce choix assumé. Bout de tissu sur le nez, les comédiens doivent forcer leur diction. Il faut que chaque syllabe de chaque mot passe à travers ce nouvel obstacle. C’est un nouveau challenge, qui se prête bien aux alexandrins. 

Un travail de groupe

Bien que studieuse, l’ambiance est bon enfant. La troupe se connait bien. Robin Renucci la guide avec bienveillance, sans jamais brusquer, toujours à l’écoute, et toujours avec le souci du public. Pour le metteur en scène, il est important de se concentrer sur la manière dont les spectateurs vont appréhender telle ou telle intonation, tel ou te geste. Il n’hésite pas à se remettre en cause, à faire reprendre un vers s’il sonne différemment du sens que l’on veut donner au texte. Tout est étudié, précis.

Le monde d’après

Il en va de même pour la logistique qu’impose les règles sanitaires permettant de réduire la transmission du virus. Ainsi, de nombreuses bouteilles de gel sont éparpillées çà et là dans la salle afin de permettre après chaque contact, chaque sortie de scène de se nettoyer les mains. Des loges nominatives faites de paravent de bois et de restes de casiers métalliques sont à disposition des comédiens. Malgré Ces entraves, ces obligations, tout semble si fluide, si facile. La greffe a pris. Les artistes, une bande bien joyeuse, se sont faits aux masques. En répétant le prologue, en faisant semblant d’aller chercher du public, leur regard ne trompe pas. Sourires et jeux de séduction sont au rendez-vous. Le plaisir de jouer à nouveau est là, bien présent. 

En attendant de retrouver les amours contrariées de Junie (Louise Legendre), de Néron et de Britannicus, dès le 22 juillet dans les bases de loisirs de la région parisienne, Les tréteaux de France refusent d’être à l’arrêt. Au programme des semaines à venir, répétitions et ateliers. Tout doit être prêt pour des vacances « cutlurelles et apprenantes » sur les routes parisiennes.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Britannicus de Racine 
Tréteaux de France 
Création juillet 2020 dans le cadre de L’Île-de-France aime le théâtre 
du 18 juillet au 30 août 2020
Les îles de loisirs du Port aux Cerises (Draveil), de Cergy-Pontoise et de Saint-Quentin-en-Yvelines 
Spectacles et ateliers gratuits 

Mise en scène de Robin Renucci assisté de Jean-Frédéric Lemoues 
Avec Tariq Bettahar, Nadine Darmon, Thomas Fitterer, Louise Legendre, Christophe Luiz, Stéphanie Ruaux et Julien Tiphaine 
Scénographie de Samuel Poncet 
Lumières de Julie-Lola Lanteri 
Costumes de Jean-Bernard Scotto 

Crédit photos © Héloïse Tardif, © DR et © Jean-Christophe Bardot

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