Empathie mortifère d’une âme trop naïve

A théâtre en mai, Myriam Boudenia et Pauline Laidet s'intéresse au syndrome de Stockholm.

Partant d’un fait divers qui a marqué l’Amérique des années 70, l’affaire Patty Hearst, Myriam Boudenia décortique, au scalpel les mécanismes psychologiques du syndrome de Stockholm et de la radicalisation d’une jeunesse désœuvrée. De cette matière dure, violente, Pauline Laidet tire un spectacle choc, saisissant, jamais complaisant, un conte noir qui puise sa poésie âpre, crue dans la soif rageuse, vitale de vivre libre. 

Sur une scène dépouillée, une jeune femme erre en chemise. Blonde comme les blés, visage angélique, Héloïse (épatante Margaux Dessailly), à peine vingt ans, n’arrive pas à dormir. Il est quatre heures du matin, sa vie défile bien tranquillement. Fille d’un riche magnat de l’industrie, elle s’ennuie, ne semble pas trouver sa place dans le monde. Elle s’interroge sur sa morne existence presque triste. Derrière elle, cachées par de grandes cloisons grises, des silhouettes inquiétantes apparaissent. Visages dissimulés derrière des masques de loup, six individus fondent sur elle, la malmènent, la violentent, l’enlèvent. C’est le début d’une longue descente en enfer. 

Enfermée dans une cage bien trop petite, nourrie a la cuillère, totalement terrorisée, Héloïse, bien trop naïve, bien trop innocente, pleure, gémit. Rien n’y fait. Le cœur de ses bourreaux reste insensible. Pourtant, malgré les sévices, les ravisseurs, tous en marge d’une société qui ne veut pas d’eux et dont ils rejettent la compassion, laissent paraître derrière la dureté, la violence, une sorte de rugueuse bienveillance. Pour survivre, pas le choix, elle doit s’adapter. Imperceptiblement, elle change, elle se laisse séduire, comprend leur motivation et finit par adhérer à leur mouvance radicale, à prendre la tête des activistes politiques en guerre contre l’establishment, contre le capitalisme à outrance, qui en hommage au roman d’Hermann Hesse se sont auto-baptisés « La Steppe ». 

Utilisant comme point de départ l’histoire tragique de Patty Hearst, petite fille du célèbre magnat de la presse William Randolph Hearst – connu notamment pour avoir servi de modèle à Orson Welles pour Citizen Kane , dont l’odyssée tragique et meurtrière défraya la chronique américaine en 1974, Myriam Boudenia dresse le portrait en creux d’une société où s’affronte les nantis et les démunis. Véritable champ de bataille, la personnalité en construction de la jeune captive sert de terreau à ce récit noir. N’épargnant rien de la terreur subie, des angoisses qui assaillent l’esprit apeuré de la jeune femme, la dramaturge dissèque un à un les mécanismes de défense psychologique qui vont l’amener à éprouver de l’empathie pour ses kidnappeurs, à se fondre dans le groupe, quitte à renier son monde, ses parents, à devenir une passionaria anti-mondialisation, une Zadiste. 

Forte de ce texte rugueux, dense, qui fait constamment l’aller-retour entre l’intérieur du groupuscule et l’extérieur, Pauline Laidet donne corps à cette fuite en avant d’une jeunesse désespérée qui rêve de révolte, de subversion. Embarquant ses comédiens – Anthony BreurecMargaux DessaillyLogan De Carvalho, Antoine DescanvelleÉtienne DialloTiphaine Rabaud-Fournier et Hélène Rocheteau– , tous engagés, tous remarquables, dans un ronde macabre, une spirale infernale qui ne peut cesser sans effusion de sang, elle cisèle sa mise en scène, confrontant les points de vue, les divergences d’opinion. Avec aisance, ils passent d’un rôle à l’autre. De policiers, journalistes, parents, ils redeviennent en un clin d’œil des tortionnaires, des bourreaux autant que des victimes du système.

Évitant les écueils du manichéisme, Pauline Maidet signe un spectacle coup de poing, qui devrait gagner en force et en intensité au fil du temps, gommer les quelques longueurs qui perdent parfois le propos dans quelques saynètes superflues. Pas de deux, danses de l’errance ou de guerre sur la musique jouée en direct par Jeanne Garraud, c’est toute une chorégraphie qui vient souligner cette partition féroce, cette radicalisation fougueuse. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Dijon


Héloïse ou la rage du réel de MyriamBoudenia
Théâtre en mai – Théâtre Dijon Bourgogne
Atheneum
Campus de Dijon
Esplanade Erasme
21000 Dijon
Création le 25 mai 2019
Durée 2h15


Mise en scène de Pauline Laidet
Avec Anthony Breurec, Logan De Carvalho, Margaux Desailly, Antoine Descanvelle, Etienne Diallo, Jeanne Garraud, Tiphaine Rabaud-Fournier et Hélène Rocheteau
Création lumières de Benoit Brégeault
Création musicale de Jeanne Garraud et Baptiste Tanné
Scénographie et accessoires de Quentin Lugnier
Costumes d’Aude Désigaux

Crédit photos © Vincent Arbelet

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