Couv_GrandCerfBleu_©Laurier Fourniau_@loeildoliv

Le grand cerf bleu, un collectif qui interroge avec malice les maux de la société

Au grand théâtre de Lorient, rencontre avec le Collectif du Grand Cerf bleu en plein création de Jusqu'ici tout va bien.

Un vent frais souffle sur le Sud Bretagne en ce début de mois de mars. En résidence au théâtre de Lorient, les trois membres fondateurs, Laureline Le Bris-Cep, Gabriel et Jean‐Baptiste Tur du collectif du grand cerf bleu, ont accepté le temps d’un café de revenir sur leur parcours, leur rencontre et leur futur spectacle qui sera présenté le 22 mars à Aubusson.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?

Laureline Le Bris-Cep : j’ai l’impression d’être tombée dedans toute petite. J’en fais depuis que je suis en primaire. Mais, il y a tout de même un événement qui a marqué mes jeunes années et qui a conditionné ce désir d’enfant en envie profonde d’en faire mon métier. À 13 ans, j’étais inscrite dans un atelier de théâtre municipal en banlieue parisienne. On faisait à l’époque pas mal d’improvisation. Quand notre professeure est partie en congé maternité, elle a été remplacée quelques mois par son mari. Moins ludique, il nous a confrontés à des textes classiques dont Andromaque de Racine. Clairement, on était peu enthousiasmé par cette proposition d’autant que c’était la première fois qu’on abordait ce genre de théâtre. Devant nos mines renfrognées, il a eu l’intelligence de passer par des moyens détournés comme les musiques que nous écoutions pour nous amener imperceptiblement à appréhender les vers raciniens, leur rythmique. Nous étions placés en cercle sur des tables autour de lui et il s’est mis à dire le texte en rappant en hurlant. Ça a été une véritable révélation pour moi. Suite à cela, je ne me suis plus arrêtée. J’ai suivi un parcours classique. Bonne élève, sérieuse, je me suis inscrite au conservatoire à rayonnement régional de Cergy, où j’ai eu comme professeur Coco Felgeirolles, qui jouait dans notre première pièce Non c’est pas ça ! et qui fait partie aussi de la distribution de notre nouveau spectacle Jusqu’ici tout va bien. Dès que j’avais un moment, un trou dans mon emploi du temps, je faisais du théâtre, je m’entraînais sans relâche.

Jean-Baptiste Tur : Pour mon frère et moi, tout a commencé à Béziers. Je devais avoir huit ans quand musique et art vivant ont fait leur apparition dans ma vie. Petits, on allait souvent au théâtre avec nos parents. Du coup, j’ai très vite fréquenté la MJC du quartier avant d’entrer au Conservatoire de Béziers-Méditerranée. À partir du collège, j’ai intégré un atelier qui mêlait enfants et adultes. C’est à ce moment que c’est devenu une évidence. Ce n’était plus un hobby, une activité du mercredi après-midi, mais bien quelque chose de vital pour moi. J’avais douze ans et je savais que je voulais en faire mon métier. En parallèle, la musique a toujours eu aussi une place importante. À quinze ans, j’ai fait partie tour à tour d’un groupe de rock puis de punk. Imperceptiblement, les deux arts se sont mêlés dans mon parcours étudiant.

Gabriel Tur : Avec Jean-Baptiste, on a deux ans d’écart. Du coup, petit, j’allais le voir quand il se produisait sur scène et puis comme lui, j’accompagnais nos parents au théâtre. Au début, je trouvais cela trop sérieux, je m’ennuyais. Puis au collège, un ami à moi qui était batteur dans un de mes premiers groupes de musique, m’a encouragé à l’accompagner à un atelier d’initiation que coordonnait et coordonne toujours une compagnie, basée à Béziers. C’était beaucoup plus ludique que ce que j’imaginais. J’y ai très vite pris goût. Je m’y sentais chez moi. M’amusant, c’est devenu presque évident que comme mon frère, je voulais en faire mon métier.

Comment est né le Collectif Le grand cerf bleu ?

Treplev variation_grand cerf bleu_ 1_© Simon Gosselin_@loeildoliv

Laureline Le Bris-Cep : On a, tous les trois, fait des écoles nationales de théâtre. Gabriel et moi, on a intégré l’École régionale d’acteurs de Cannes (ERAC). C’est d’ailleurs là qu’on s’est rencontré, alors que nous n’étions pas dans la même promotion. Nous avions une année de décalage.

Jean-Baptiste Tur : Pour ma part, je suis passé par l’Académie à Limoges. Nous étions tous à peu près en même temps dans le même cursus des trois ans pour devenir comédien.

Laureline Le Bris-Cep : En parallèle de nos formations, Gabriel et Jean-Baptiste organisaient chaque hiver à Béziers, un festival d’art vivant et de performances scéniques, qui s’appelait La Fabrique. Souvent, ils se réunissaient pour préparer l’édition suivante et inventer de nouvelles formes. Il y avait déjà l’idée de construire quelque chose ensemble, d’aller plus loin dans le travail artistique.

Jean-Baptiste Tur : Ce n’était pas véritablement formulé, mais oui on avait l’envie de faire des démarches ensemble à la sortie de nos formations. Parallèlement à cela, je pense que le collectif est né aussi d’une succession d’échecs. Nous étions tous les deux passionnés de Tchekhov et nous avions le désir de monter La Mouette. Si bien heureusement, il n’y a pas eu la mort d’un metteur en scène, comme dans Non, c’est pas ça !, nous avons dû faire face à un certain nombre d’avanies. Été 2014, nous n’étions plus que tous les trois. Faisant le bilan de cette aventure, relisant la pièce, une nouvelle fois, l’idée a émergé de monter le spectacle autour notamment de la triangulaire amoureuse. On est donc partie de nos erreurs, de nos ratages qui font partie intégrante de la pièce de Tchekhov, pour créer autre chose, une pièce qui nous ressemble, aborde des sujets qui nous tiennent à cœur et réponde en quelque sorte aux problématiques de Treplev sur les nouvelles formes de théâtre.

Gabriel Tur : Si de notre travail n’est pas forcément née une nouvelle forme artistique, pour nous cela a mis en branle tout un processus créatif qui nous liait tous les trois. Comme mettre en scène, écrire et jouer à trois ! À la sortie de nos écoles, nous avons tous réalisé des cartes blanches, de petites formes théâtrales que chacun d’entre nous est venu découvrir. Mais déjà à cette époque, nous avions en commun cet intérêt pour le jeu, le présent, l’intime et le rapport au public afin de l’intégrer dans nos spectacles. Imperceptiblement, nous avons pris l’habitude de travailler ensemble. Ainsi est né le collectif et notre première pièce collaborative.

Pourquoi ce nom d’ailleurs de Collectif Le grand cerf bleu ?

collectif logo cerf bleu_@loeildoliv

Gabriel Tur : Cela vient à l’origine de la fable du Grand Cerf Blanc qui fait partie de La légende de la table ronde et du roi Arthur. En lisant cette histoire, la morale qui s’en dégage est que  » ce qui rend le plus heureux les Hommes c’est d’avoir le choix.  » Cet adage résonne étrangement en nous d’autant qu’il rappelle les contes de notre enfance peuplés de magie, de chevaliers, de confrérie. Par ailleurs, pour nous en tant que comédiens et auteur, le fait de se dire que chacun est libre de disposer de lui-même est quelque chose qui nous est intrinsèque.

Jean-Baptiste Tur : Soyons aussi honnêtes, derrière la légende, on trouvait que cela sonnait bien. On a changé blanc en bleu, car pour nous qui sommes du sud, cela nous rappelait la mer et le ciel, notre enfance au bord de la Méditerranée. Plus sérieusement, le bois de cerf avec toutes ses ramifications était une symbolique forte qui fait penser à notre façon de travailler en tant que collectif.

Laureline Le Bris-Cep : Pour finir le Cerf est un animal magique et mythique appartenant à la fiction, mais il existe dans la réalité. C’est un vrai animal sauvage de nos forêts.

Après le succès de votre premier spectacle, auréolé du prix du Public du festival Impatience, vous travaillez actuellement sur votre deuxième création, comment avez-vous choisi le sujet ?

Gabriel Tur : Quand on a créé Non c’est pas ça !, différentes thématiques qui nous étaient chères ont émergé de nos réflexions sur le texte de Tchekhov. Du coup, nous sommes partie un peu de ce même principe, c’est-à-dire partir de problématiques sociétales qui nous intéressent et tirer le fil. Cette fois-ci, nous ne voulions pas nous appuyer sur une œuvre préexistante, mais bien partir de nos idées. Le point de départ est le consensus, qu’est-ce qui fait qu’on arrive tous, dans certaines circonstances, à s’entendre, à s’accorder. Nous souhaitions aussi aborder les préjugés, les projections qui empêchent finalement le vivre ensemble, le dialogue.

Pourquoi donnez-vous vos prénoms à vos personnages ?

Treplev variation_grand cerf bleu_ 2_© Simon Gosselin_@loeildoliv

Laureline Le Bris-Cep : C’est-à-dire quand on travaille, on part de ce que l’on connaît le mieux, de nos propres expériences. Avant de construire un personnage, on utilise comme matière première ce que l’on est. D’ailleurs, on parle plus de figures, car intrinsèquement, c’est nous dans des circonstances singulières, particulières. Il y a évidemment un peu de nous dans tout ce que l’on écrit, mais avec des variantes, d’imperceptibles différences.

Jean-Baptiste Tur : En fait, un personnage c’est un caractère, un tempérament et puis des circonstances. Du coup, c’est nous qui les portons, qui les sculptons. Le contexte, les enjeux les éloignent de ce que nous sommes et cela crée la fiction.

Laureline Le Bris-Cep : Dans Non, c’est pas ça !, d’ailleurs, on s’était intéressé aux différents protagonistes de l’histoire et comment on pouvait ramener leurs problématiques à des choses qui nous touchent. C’est ce qui a fait qu’on s’était intéressé au ratage, l’envie de devenir quelqu’un puis au lien intergénérationnel, qui devient l’un des thèmes de notre nouvelle pièce. Quand on a construit la distribution de Jusqu’ici tout va bien, on a voulu aller plus loin dans cette thématique. Du coup, nous avons contacté des comédiens de tous âges. Pour ce nouveau spectacle, nous sommes partis une nouvelle fois des acteurs, huit au total pour inventer une fiction. Très vite, le cadre familial s’est imposé, puis Noël. On avait vraiment cette envie de travailler avec nos aînés. C’est ainsi que Martine Pascal a accepté d’être notre grand-mère. C’est d’ailleurs curieux de se dire que nous restons dans une sorte de continuité avec La Mouette, car la famille en est l’un des sujets.

Jean-Baptiste Tur : Tchekhov reste notre modèle. C’est une bonne inspiration pour écrire. Même si nous avons une vision différente de la société, que nous nous retrouvons pas forcément dans son regard sur le monde, nous aimons sa façon inimitable de dire les choses en creux. Ce n’est jamais frontal. C’est toujours dans les non-dits que la vérité se niche. Les personnages nient souvent ce qu’ils sont, ce qu’ils aimeraient vraiment dire.

Comment procédez-vous pour écrire ?

Gabriel Tur : On commence par une écriture au plateau. Au départ, nous avons réuni notre distribution sans pour autant attribuer des rôles. Petit à petit, chacun a improvisé des situations, des discussions. On part du vide pour construire une histoire. Ainsi, on accepte une part de ratés pour que des circonstances, des enjeux se dessinent. Le cadre se met en place insensiblement. Des rapports entre les comédiens s’esquissent et cela nous sert de base pour créer un texte, une fiction.

Laureline Le Bris-Cep : On travaille en différentes étapes. Dans un premier temps, on filme les comédiens entre eux, les improvisations. Puis dans un deuxième temps, on visionne les « rush », on débriefe tous les trois. Et ainsi de suite, on crée une histoire. De résidence en résidence, notre spectacle prend forme.

Combien de temps faut-il pour écrire une pièce ?

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Jean-Baptiste Tur : C’est un processus long. On a commencé cette nouvelle aventure au théâtre de Vanves en mai 2016, qui est un de nos partenaires historiques. On travaille par étapes, par petites touches. Nous en sommes à notre quatrième résidence de quinze jours. On a commencé au Grand Parquet à Paris, puis à la Scène nationale d’Aubusson, où la première aura lieu le 22 mars prochain, puis au 104 et enfin au théâtre de Lorient, avant de retourner à Aubusson. Le passage par ce type de répétitions très cadrées s’est imposé à nous du fait qu’on voulait pour cette nouvelle création, une distribution importante et un vrai décor tournant. Du coup, nous avons sollicité le centre dramatique national, une scène nationale ou conventionnée pour nous aider à produire, pour nous soutenir. On a ainsi tissé pas mal de partenariat. C’est un travail de longue haleine avec le bureau de production Copilote avec lequel nous travaillons depuis trois ans.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Les dates de tournées :
22 mars à la scène nationale d’Aubusson
24 et 25 mars au WET à Tours
3 et 4 avril à Sortie Ouest à Béziers
Puis en tournée sur 18/19 à la Manufacture de Nancy, CDN de Lorient, Theatre de Chelles, Théâtre de Choisy le Roi, Théâtre de Vanves, Théâtre de Châtellerault, Au 104 à Paris, Theatre de l’éclat à Pont-Audemer, Théâtre du Bois de L’aune à Aix en Provence.

Crédit photos © Laurier Fourniau & © Simon Gosselin

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