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Je suis Fassbinder, une réflexion féroce et noire sur une Europe en crise

Au TNP, Nordey et Richter font revivre Fassbinder et le confronte à l'Europe d'aujourd'hui.

Les mots cognent, brutalisent nos consciences de petits européens insouciants. Ils s’insinuent comme un venin acide, âpre et salvateur dans nos âmes pour faire voler en éclats cet écran mental, invisible, qui nous évite de voir notre Europe fantasmée se replier sur elle-même, sombrer dans un nationalisme nauséabond, réactionnaire. Une pièce coup de poing signée par le duo exalté Nordey/Richter.

Dans la pénombre, un individu allume une cigarette. Le rouge incandescent du tabac qui se consume s’affiche en 4 par trois sur un écran en fond de scène. Deux voix furieuses s’élèvent dans cette obscurité pesante. Le débat est intense, âpre. Doucement la lumière éclaire une scène du quotidien dans ce que l’on imagine être une cuisine usée, Rainer Werner Fassbinder (déchaîné, nerveux Stanislas Nordey), tout de noir vêtu, portant son sempiternel perfecto, pousse, dans une ultime conversation, sa mère (fabuleux, déchaîné Laurent Sauvage) dans ses derniers retranchements. Unissant adroitement les époques, les situations entre l’Allemagne des années 1970, terrorisée par la Bande à Baader, et celle d’aujourd’hui apeurée par l’afflux de migrants, responsables de tous les maux, mêlant l’histoire des comédiens à celles de leurs personnages, nos deux partenaires ouvrent une brèche dans nos bien-pensances et nous invitent à une réflexion sur l’état actuel de l’Europe mortifiée par l’état d’urgence, par la peur de l’autre et la haine de l’inconnu.

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Ce prologue, tiré du dernier film réalisé par Fassbinder, qui servira aussi de conclusion, donne le ton à l’étrange et saisissant spectacle que nous ont concocté le duo Falk Richter et Stanislas Nordey. Stimulés l’un par l’autre, les deux compères ont mis en commun leur regard anxieux sur le devenir inquiétant des sociétés européennes qui cèdent au nationalisme, au conservatisme, qui sont à un battement de cil de renvoyer la femme au foyer, les homos dans l’obscurité et à autoriser les tirs sur les étrangers quels que que soient leur âge et leur sexe. Favorisant l’écriture au plateau, poussant les comédiens à libérer leur conscience, à laisser libre cours à leur colère, leurs pensées, le dramaturge allemand, s’est nourri de cette matière folle, incandescente et furieuse, l’a moulinée à l’esprit subversif, lucide de Fassbinder pour signer un texte fracassant, cinglant, traduit dans la foulée par sa complice de longue date, Anne Montfort.

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Portés par leur propre réflexion exacerbée par la mise scène fougueuse, exaltée, de Stanislas Nordey et de Falk Richter, les comédiens s’en donnent à cœur joie, prennent possession de l’immense plateau, où se mêlent photos tirées des films de Rainer Werner Fassbinber, écrans géants redonnant vie aux muses du réalisateur allemand, tapis en moumoute blanche synthétique, bouteilles d’alcool et autres ustensiles rappelant les années 1970. Dans une sorte de chaos délirant, violent, ils nous bousculent, nous déroutent avec violence et férocité. Totalement essoré par leur jeu puissant, habité, par leurs paroles assassines, provocantes, on tente un repli stratégique au plus profond de nos pensées, de nos convictions, on essaie de se protéger, on finit par forcer notre rire, mais malgré nous, on est atteint en pleine âme, en plein cœur. Profitant du répit des quelques chansons fragilement interprétées par cette troupe poignante d’acteurs, notre esprit vagabond un temps, se reposent avant de se laisser gratouiller, chatouiller là où ça fait mal.

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Ensorcelé par Judith Henry, enragée Europe, par Dea Liane, lumineuse jeune femme, par Vinicius Timmerman, lunaire amant, par Laurent Sauvage, singulière mère, et par Stanislas Nordey, confondant Fassbinder, le public se prend sans broncher ce coup de poing théâtral, cette ode vibrante à la démocratie, ce manifeste humain pour une Europe ouverte, œcuménique et métissée qui panse ses blessures malgré les attentats, malgré les violences. Brillant !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Je suis Fassbinder de Falk Richter
Théâtre national populaire – Villeubanne
Grand théâtre, salle Roger-Planchon
8, place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne
jusqu’au 24 novembre 2017
du mardi au samedi 20h00 et le dimanche à 15h30

La comédie de Clermont – Scène nationale
Maison de la culture – Salle Jean-Cocteau
80, boulevard François-Mitterrand
63000 Clermont-Ferrand
29 nov. 2017
au Jeu. 30 nov. 2017
À partir de 20h30

Scène nationale de Chateauvallon
795 Chemin de Châteauvallon
83192 Ollioules
Le 8 et 9 décembre 2017 à 20H30

TNS – Salle Koltès
1, Avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg
du 18 au 22 décembre 2017
du lundi au vendredi à 20H
durée 1h55

Reprise du 5 au 28 avril 2019 au Théâtre du Rond-Point

traduction d’Anne Monfort
mise en scène de Stanislas Nordey
avec Judith Henry, Dea Liane, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage, Vinicius Timmerman
collaboration artistique : Claire Ingrid Cottanceau
dramaturgie de Nils Haarmann
scénographie et costumes de Katrin Hoffmann
assistanat aux costumes de Juliette Gaudel
assistanat à la scénographie de Fabienne Delude
lumière de Stéphanie Daniel
musique de Matthias Grübel
vidéo d’Aliocha der Avoort
production Théâtre National de Strasbourg
coproduction Théâtre national de Bretagne, Théâtre Vidy-Lausanne, MC2: Grenoble
avec l’autorisation de la Rainer Werner Fassbinder Foundation.

Crédit photos © Jean Louis Fernandez

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