Et si je les tuais tous madame, Aristide Tarnada © Comédie – CDN de Reims

Festival FARaway, de Ouagadougou à Reims

Retour sur le festival rémois FARaway, un rendez-vous transdisciplinaire dont la quatrième édition était consacrée à la création ouest-africaine. Au programme, archéologies sensibles et transmissions artistiques.

Et si je les tuais tous madame, Aristide Tarnada © Comédie – CDN de Reims

Retour sur le festival rémois FARaway, rendez-vous transdisciplinaire dont la quatrième édition était consacrée à la création ouest-africaine. Au programme, archéologies sensibles et transmissions artistiques.

Et si je les tuais tous madame d’Aristide Tarnada ©Comédie – CDN de Reims

Dans la cité champenoise, la Comédie, le Manège, le Frac ou l’Opéra accueillent chaque année théâtre, danse, performances, expositions, installations et échanges dans un festival dense et riche en propositions. Cette année, à la faveur d’un focus régional, l’Afrique de l’Ouest se produit et s’expose, donnant à voir les problématiques et la vitalité qui animent ses artistes.

Traces et cicatrices
Sian – Décharger la marmite qui crame au feu depuis toujours, Tatiana Gueria Nade © DR
SIAN, Décharger la marmite qui crame au feu depuis toujours de Tatiana Gueria Nade ©DR

Au FRAC, si deux performances programmées côte à côte ne posent pas leurs yeux au même endroit, elles sont l’une comme l’autre affaire d’archéologie. Dans la salle du bas, au milieu de l’exposition The Bonimenteur, Garance Grand-Léger assure une performance immersive en forme de descente aveugle dans la grotte de Chauvet. Les yeux bandés, alors qu’une immense sculpture lumineuse du collectif de designers GRAU diffuse une lumière rouge de feu de camp, la jeune artiste genévo-lyonnaise nous guide à la voix tout au long de l’expérience. La langue, directe et simple, énonce à l’infinitif les actions et les gestes de la visite comme un inventaire de sensations. À la mémoire anthropologique et géologique inscrite dans la grotte, ‌Autour de moi il n’y a que de la roche, elle est plus lourde que nous superpose une autre mémoire, celle d’une découverte partagée avec la voix et retranscrite en images mentales.

La performance de Lune Diagne, Black is present – Noire est présent réactive une mémoire, celle des martyres de la résistance de Nder, ces femmes qui, en novembre 1819 au nord de l’actuel Sénégal, font le choix de s’immoler lorsque les Maures assiègent la ville afin d’échapper à l’esclavage. Diagne nomme quelques survivantes en introduction de sa pièce ; lui-même a ses racines là-bas. Préoccupé par les questions de mémoires, de traces — les poches de café dont il se déleste viennent souiller peu à peu la toile blanche qui jonche le sol comme les marques indélébiles d’une catastrophe —, il offre une performance allusive, volontiers obscure. Mais dans sa façon de chercher et saisir le regard du spectateur, Black is present cherche aussi à créer un espace d’échange, à apostropher le public dans un rapport étroit au corps.

En langue wobé, « sian » veut dire cicatrice. C’est le titre qu’a choisi Tatiana Gueria Nade pour son premier spectacle en tant que chorégraphe, créé en octobre dernier à l’Échangeur. Sous-titrée Décharger la marmite qui crame au feu depuis toujours, cette pièce affronte à bras-le-corps l’histoire autobiographique d’exploitation et de violences vécues par son autrice. Lorsque le public entre, elle est assise par terre, triant une montagne de préservatifs. Puis elle se lève, prend le micro, ne dit rien. La danse toute entière tourne autour de ce discours qui n’a pas lieu, de l’indicible d’une jeunesse vite passée très tôt dans les rues de Ouagadougou, entre les mauvaises fréquentations et les abus sexuels. Explorant cette zone de non-dits, Gueria Nade témoigne de ses qualités de danseuse enragée, spasmodique. Seuls ses gestes sont les derniers garants d’une mémoire traumatique à laquelle les mots n’ont plus accès. Puis la pièce bascule dans une partie plus illustrative, où la danseuse se fourre les préservatifs dans la bouche par poignées, qui s’achève sur l’affirmation que l’on n’y comprendra jamais rien. Inconfortable, pour sûr, mais on ne saurait réclamer du confort face à l’exutoire d’une enfance violée.

Transmissions
Clameur des arènes, Salia Sanou © DR
Clameur des arènes de Salia Sanou à sa création, en 2014 ©DR

Le focus dédié à l’Afrique de l’Ouest donne aussi à voir deux belles histoires de transmission venues du Burkina Faso, prouvant le fourmillement créatif d’un pays secoué par le coup d’état de 2022 et les conflits djihadistes récurrents. La première de ces passations se fait du côté de Salia Sanou. Dans le cadre de la carte blanche qui lui est offerte par le festival, le chorégraphe burkinabé remonte Clameur des arènes, une pièce créée à Montpellier Danse en 2014. À l’époque, quatre lutteurs et quatre danseurs se disputaient le plateau sur cette chorégraphie inspirée de la lutte sénégalaise. Aujourd’hui, quatre danseurs et quatre danseuses redonnent vie à cette pièce. Tous sont issus de la Termitière, le centre de développement chorégraphique fondé par Sanou à « Ouaga » en 2006. Sur l’une des deux scènes du Manège de Reims, ils offrent une palette de couleurs différentes à cette chorégraphie qui nous saisit et nous perd parfois, nous menant de la préparation aux gestes du combat, en passant par une belle séquence danse-théâtre de combat de rue.

Parmi ces découvertes, on retiendra peut-être le plus intensément la découverte d’un comédien et la réaffirmation d’une écriture à travers le duo formé par Aristide Tarnagda et B. Ange Alfred Ilboudo. Le premier est un auteur et metteur en scène phare de la scène burkinabé, directeur du festival vingtenaire des Récréâtrales. Le second est l’un des jeunes ougalais qui participent tous les ans à ce festival incontournable. Tarnagda le fait monter sur scène avec Et si je les tuais tous madame ?, monologue brillant d’un homme en errance. Le vagabond vient de mettre sa femme enceinte, est parti loin de sa pauvreté d’origine, n’a rien trouvé, pas encore. Il profite d’un feu rouge pour apostropher une conductrice par sa fenêtre. Les quelques secondes suspendues au milieu du trafic se dilatent. Lamine convoque la voix de sa femme, de ses parents. À travers ses digressions se dessine le portrait sensible d’un Burkinabé pris entre les déterminismes et son désir de liberté. Et s’il est pessimiste, le monologue laisse éclater des étincelles. Dans la langue, d’abord, mais aussi et surtout à travers l’interprétation d’un comédien captivant de bout en bout. Juste, sensible et intense, B. Ange Alfred Ilboudo, à peine atterri sur la scène rémoise, relève le défi haut la main.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Reims

Festival FARaway
Reims
Du 31 janvier au 12 février 2023

Crédit photos © Comédie – CDN de Reims ©DR

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