Ressources Humaines © Christophe Raynaud de Lage

La partition sociale sans fausse note d’Elise Noiraud

Au plateaux sauvages, Élise Noiraud présente « Ressources Humaines » d’après le film de Laurent Cantet.

Ressources Humaines © Christophe Raynaud de Lage

En adaptant, 20 ans après, le film de Laurent Cantet, Ressources Humaines, Elise Noiraud réalise un excellent devoir de mémoire sur le monde du travail en usine et la fracture social entre un père ouvrier et un fils devenu cadre. C’est formidable.

Franck revient dans sa région natale. Sortant d’une grande école de commerce, il est la fierté de ses parents. Car, il ne sera pas ouvrier, comme son père, sa sœur et ses camarades du quartier. Il vient faire un stage au département des Ressources Humaines dans l’usine qui les emploie. Sa mission est de réfléchir sur la mise en place des fameuses 35h. Le fils prodigue va vite devenir le chouchou du patron, son avenir est tout tracé. Se rendant compte qu’il n’est qu’un prétexte pour camoufler un plan social qui touche son paternel, il va devoir choisir son camp, entre sa réussite sociale et la survie des siens.

Crise sociale
Ressources Humaines © Christophe Raynaud de Lage

Le temps ne faisant rien à l’affaire, les thèmes abordés par Laurent Cantet n’ont tristement pas pris une ride ! En 1999, Martine Aubry m’était difficilement en place les 35 heures et les RTT (Réduction du Temps de Travail). L’idée était bonne, puisqu’à la base, elle devait permettre, d’un côté, d’embaucher et, de l’autre, d’offrir un peu de temps libre. Depuis sa création, ce dispositif ne cesse d’être remis en question. Revenir aujourd’hui à la source, à ses débuts chaotiques, montre combien les problématiques des conditions de travail demeurent d’actualité.

Un gouffre entre deux mondes

L’autre aspect de ce spectacle aborde le problème du transfuge des classes, qui au cœur de l’œuvre d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature 2022, de Didier Eribon (Retour à Reims), Edouard Louis (Eddy Bellegueule). Sommes-nous à jamais marqué par l’endroit d’où l’on vient ? Comment ne pas perdre le fil des relations lorsque deux univers nous séparent ? Les parents de Franck ont tout sacrifier pour lui. Le gamin était un élève brillant. Ils savaient qu’il possédait les possibilités pour s’en sortir et qu’il n’aurait pas la même existence qu’eux ! Mais en changeant de classe sociale, il se retrouve exclus de leur monde et de leur compréhension. Devra-t-il toute sa vie vivre avec la honte d’être, à la différence de la majorité de ses condisciples d’étude, un fils d’ouvrier ?

Un théâtre engagé
Ressources Humaines © Christophe Raynaud de Lage

Elise Noiraud a fort bien capté toute la dramaturgie qui résidait dans le scénario du film. Le plateau est une boite noire. Les éléments de décors sont réduits à leur strict minimum, des tables et des chaises, changés à vu par les comédiens. Selon l’action, ils monteront la maison familiale, l’usine, les bureaux… A nous de laisser notre imaginaire inventer les images. La lumière, les sons et surtout la musique installent l’ambiance. Ce traitement scénique est très efficace. La metteuse en scène enchaîne les scènes comme des plans séquences cinématographiques. Cela file vite. On est captivé par tout ce qui se passe et se raconte sur le plateau. Son travail est remarquable.

Une troupe talentueuse

Sa direction d’acteurs est des plus précises. Ayant travailler avec eux pour Les fils de la terre, son précédent spectacle, elle les connaît bien. Ce compagnonnage renforce les liens entre elle et son équipe. Il règne un véritable esprit de troupe. Chacun est à sa place, même lorsqu’ils endossent plusieurs rôles, devenant tour à tour cadre ou ouvrier, patron ou employé. Sandrine Deschamps, Sylvain Porcher, Vincent Remoisset, Guy Vouillot sont épatants. On a craqué par les subtilités, les ruptures maîtrisées de Julie Deyre. Elle passe de la douce et tendre mère à la syndicaliste survoltée, avec une adresse redoutable. François Brunet est très émouvant dans le personnage du père, ce grand taiseux.

Le fils, ce héros

Benjamin Bernier nous a épatés par sa prestation très fine de ce jeune homme devenu étranger permis les siens. Il n’est que bienveillance et ne comprend pas que les autres y voient de l’arrogance. Il n’ y peut rien si là bas à Paris, pour être dans le moule, il a appris à danser comme cela doit être dans les grandes écoles. Il n’y peut rien, s’il sait choisir les mots pour exprimer un sentiment. Comment leur faire comprendre que le costume ne fait pas l’homme. Il suffira de ce moment de révolte devant l’injustice que représente le renvoi du père, pour qu’il retrouve sa place mais pas pour longtemps. Définitivement, sa vie est ailleurs. Bravo.

Marie-Céline Nivière

Ressources humaines d’après le film de Laurent Cantet.
Les Plateaux sauvages
5, rue des Plâtrières
75020 Paris.
Du 10 au 22 octobre 2022.
Du lundi au vendredi à 19h, le samedi à 16h.
Durée 1h30.

Tournée :
Les 15 et 16 novembre 2022 : Théâtre de Gascogne – Scène conventionnée de Mont de Marsan (40)
Le 9 décembre 2022: La Manekine – Scène intermédiaire des Hauts-de-France, Pont st Maxence (60)
Le 3 février 2023 : Le Sel – Sèvres (92)
Les 9 et 19 février 2023 : Studio-Théâtre de Stains (93)
Le 3 mars 2023 : Le Quatrain – Espace Culturel de Clisson Sèvre & Maine Agglo – Haute-Goulaine (44)
Le 9 mars : Le Théâtre du Château – Scène Conventionnée de la ville de Eu (76)
Le 11 mars 2023 : La Grange Dîmière – Théâtre de Fresnes (94)
Le 14 mars : Théâtre André Malraux – Rueil-Malmaison (92)
Le 25 mars : Maison du Théâtre et de la Danse – Épinay-sur-Seine (93)
Le 28 mars 2023 : Théâtre Louis Jouvet – Scène conventionnée art et création – Rethel (08)
Le 7 avril 2023 : Espace Paul Jargot – Scène ressources en Isère – Crolles (38)
Le 12 mai 2023 : Théâtre de Marcoussis (91)

Texte de Laurent Cantet, Gilles Marchand et Elise Noiraud. Adaptation et mise en scène d’Elise Noiraud.
Avec Benjamin Brenière, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porcher, Vincent Remoissenet et Guy Vouillot.
Création lumière de Philippe Sazerat.
Création sonore de Baptiste Ribrault.
Scénographie de Fanny Laplane.
Régie générale de Lison Foulou.
Costumes de Mélisande de Serres.

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage 

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