Mélanie Charvy et Millie Duyé au cœur de la REP

Après deux années d’un travail de collecte de paroles et de témoignages dans différents établissements scolaires, Mélanie Charvy et Millie Duyé ont porté au plateau, en région parisienne, puis au Train bleu à Avignon, des récits de vies racontant le quotidien d’un collège en Réseau d’éducation prioritaire (REP). Loin de tout misérabilisme, elles signent avec Qu’il fait beau cela vous suffit, une comédie humaine, un drame social qui touche droit au but. Bravo !

© Christophe Raynaud de Lage

Dans la grande salle du Théâtre Jean Vilar de Suresnes, collégiens, lycéens et professeurs s’installent. Dans le brouhaha du début de spectacles, des voix s’élèvent. Ça s’agite dans les gradins. Hommes en costumes sombres, femmes en tenues strictes se sont mêlées aux spectateurs. Les uns vocifèrent, les autres invectivent. Il faut dire que le moment est grave. Sous pression, un enseignant de collège en Réseau d’éducation prioritaire a fini par péter les plombs et prendre en otages ses élèves. Comment a-t-on pu en arriver là ? C’est ce que se demande ces beaux messieurs, ces belles dames de l’Assemblée. Pour faire bonne figure, face à eux sur scène, la ministre de l’Éducation tempère. Elle est sur le coup et annonce qu’elle a missionné une CPE aguerrie dans un établissement similaire, situé au cœur d’une cité, pour prendre le pouls du problème et préconiser des solutions pour éviter d’autres drames. 

Préjugés vs Réalités
© Christophe Raynaud de Lage

Tailleur gris, coupe droite, « so » XVIe arrondissement, la CPE, tout sourire, débarque dans la cour du collège et déjà, il y a comme un décalage. Elle semble arriver d’une autre planète. Son langage châtié fait tache. Son attitude rigide, trop, a bien du mal à faire écho dans la tête de ses interlocuteurs, qu’ils fassent partie du corps enseignant ou de celui des élèves. Il faut dire que leurs préoccupations sont à mille lieux des siennes. Pour elle, c’est l’éducation qui doit primer, le savoir, l’apprentissage, doit leur donner les armes, les clés pour affronter l’avenir, pouvoir un jour entrer sur le marché du travail. Pour les profs, les objectifs ont été revus nettement à la baisse. Faire cours, c’est déjà beaucoup. Pour les collégiens, c’est leur quotidien qui les intéresse : est-ce qu’un jour leur parent s’intéressera-t-on à eux ? Échapperont-ils à une forme d’harcèlement ? trouveront-ils hors du cadre un moyen de survivre, de se faire de l’argent facile ? etc.

Clairement, personne ne parle la même langue, aucun ne connaît l’autre, nul ne veut faire un pas vers son prochain. Le dialogue est rapidement rompu. C’est l’impasse. Il faudra une rencontre improbable, avec un jeune élève prometteur mais tourmenté pour que tombe l’armure de la CPE et que son regard change, que ses aprioris fondent comme neige au soleil. Plus humaine qu’il n’y parait, elle découvre une autre réalité avec laquelle il faut apprendre à travailler. Loin des grandes théories, la pratique va lui ouvrir les yeux. Prête à se battre pour ces jeunes que les précédentes réformes ont laissé à la marge, elle monte au créneau, propose à la ministre et à la commission parlementaire chargée de formuler un énième texte, des choses concrètes à mettre en place. Mais face à l’impossibilité de faire consensus, de plaire à tous les courants politiques – toute ressemblance avec une situation actuelle est forcément fortuite – , un changement concret et progressiste est-il possible ?

Au plus près du réel
© Christophe Raynaud de Lage

Plume acérée, très documentée, Mélanie Charvy et Millie Duyé signent une œuvre nécessaire qui creuse jusqu’à l’os avec intelligence et sans complaisance les problématiques d’un système à bout de souffle, d’un système depuis trop longtemps négligé. Loin d’être didactique, leur mise en scène tourbillonnante offre une vision lucide autant que poétique des REP. Pour les deux artistes, il n’est pas question de faire le procès des politiques ou d’un quelconque système, mais de tenter de comprendre où le bât blesse, où il est possible d’agir pour changer les choses, pour faire que demain, les films comme La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld, ne reste qu’une fable, que les drames de Conflans-Sainte-Honorine, de Saint-Jean de Luz ne soient que de tragiques, d’inoubliables mais de lointains souvenirs.

Porté par une troupe au diapason, Qu’il fait beau cela vous suffit, titre tiré du très beau poème de Louis Aragon, Il y a des choses que je ne dis à personne alors … , immerge le spectateur, qu’il soit petit ou grand, collégien, lycéen ou adulte, proche du corps enseignant ou non, au plus près du cœur palpitant du quotidien docu-fictionnel d’un collège au bord de la crise de nerfs où la moindre étincelle peut mettre le feu au poudre, mais où l’écoute, le dialogue peut tout changer, désamorcer le pire et pourquoi pas inventer un autre monde !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Qu’il fait beau cela vous suffit de Mélanie Charvy & Millie Duyé
du 15 au 25 Novembre 2023 au Théâtre de L’Étoile du Nord (Paris) 

Création l’EPCC Issoudun / Centre Culturel Albert (Issoudun)
Festival Off AvignonThéâtre du Train Bleu
40 rue Paul Saïn 84000 Avignon.
Du 7 au 25 juillet 2023 les jours impairs à 12h40.
Durée 1h40.

Tournée
le 14 avril 2023 au Théâtre de la Nacelle (Aubergenville)
en juillet 2023 au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival Off d’Avignon

Écriture et Mise en scène de Mélanie Charvy & Millie Duyé 
Dramaturgie & Regards extérieurs de Romain Picquart & Charles Dunnet
Avec Aurore Bourgois Demachy, Thomas Bouyou, Émilie Crubezy, Paul Delbreil, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Loris Reynaert & Etienne Toqué Création sonore – Timothée Langlois
Création lumière d’Orazio Trotta
Costumes de Carole Nobiron
Scénographie d’Irène Vignaud
Construction du décor – Pierre Heydorff / Théâtre dans les vignes
Chorégraphie de Christine Tzerkezos-Guérin 

Critiques