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Sylvia ou l’évocation étourdissante d’une vie

Au théâtre national de Wallonie-Bruxelles, Fabrice Murgia évoque magnifique la poétesse Sylvia Plath.

Frêle, terriblement vivante mais écrasée par le pouvoir de l’homme, sa domination, Sylvia Plath tente par tous les moyens d’échapper à sa condition d’épouse, de mère, à exprimer tout ce qu’elle a dans son cœur, dans son âme. Avec une délicate férocité, Fabrice Murgia donne vie aux mots brûlants, ardents, de cette poétesse bridée, de cette féministe d’avant-garde et nous entraîne dans le tourbillon intime, déchirant de cette vie sacrifiée. Un manifeste contre les violences morales faites aux femmes.

Est-on au théâtre ou dans quelques salles obscures dévolues au 7e art ? À la lisière des deux sans doute. Sur une scène aux allures de studio de cinéma, où les différents lieux marquants de la vie de Sylvia Plath posés sur roulette tournent, virevoltent dans un ballet mortifère, neuf comédiennes, arborant des tenues stylisées fifties, se laissent emporter par la musique Jazzy jouée en direct par le fantastique An Pierlé Quartet. Le XXIe siècle paraît bien loin, tant tout a été minutieusement pensé pour entraîner le spectateur dans un voyage à travers le temps, une immersion dans le monde de la poétesse américaine. Malgré deux caméras qui trahissent notre époque, l’illusion est totale.

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Imperceptiblement, la réalité, l’espace scénique, s’effacent pour laisser place à la fiction, l’évocation onirique de cette vie de femme, d’auteure dont le suicide en 1963, à l’âge de 30 ans, a révélé le talent, la force de ses écrits. Unique autant que multiple, Sylvia Path avait tout pour être heureuse. La mort de son père, un universitaire d’origine allemande, alors qu’elle n’est âgée que de huit ans scelle sa triste destinée. Marquée par cette épreuve, elle cherchera en vain toute sa vie un bonheur qu’elle n’atteindra jamais. Elle est en permanence coupée en deux, tiraillée entre son besoin viscéral de coucher sur le papier, ses pensées, ses mots qui la brûlent, la broient et son aspiration à répondre aux normes sociales d’une époque où la femme n’a pas de statut en dehors du mariage, de la maternité.

Incandescente, la poétesse s’épuise à trouver sa voie. Elle déprime, tente de se suicider à plusieurs reprises, faute de ne pouvoir être vraiment ce qu’elle est au plus profond de son âme, une femme libre. Toujours, elle écrit, jamais ne s’arrête, noircissant les pages de ses doutes, de ses angoisses, de ses cris déchirants. Elle pense trouver un écho à ses blessures, ses fêlures, un double d’elle-même en la personne de l’écrivain anglais Ted Hughes. Elle s’échine à être la femme parfaite, rien n’y fait la dépression revient au galop. Tourmentée, hurlant au monde ses rêves d’indépendance, refusant les carcans de la femme au foyer qu’on lui renvoie, elle se débat en vain et finit un soir de grand désespoir par mettre sa tête dans une gazinière.

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Textes et journal intime expurgés de certains feuillets par son ex-mari, réticences de sa fille à donner les droits d’exploitations, Sylvia Plath, trop crue, trop lucide, est le symbole de la femme bafouée, niée au-delà de la mort. Comment raconter cette artiste hors norme, cette féministe qui se heurte à une société patriarcale, machiste ? Avec ingéniosité, appétit, Fabrice Murgia s’empare de cette vie, scrute via la vidéo les moindres détails de cette existence pour en faire une héroïne de roman, une martyre. Entraînant le public dans un tourbillon des sens, des émotions exacerbées de la poétesse, il livre une vision exaltée, ardente, embrasée de cette passionaria, de cette pourfendrice du droit des femmes à être libre, que les neuf éblouissantes, vibrantes comédiennes, d’origine et d’âge différent, incarnent tour à tour.

Enivrant le spectateur, lui donnant le tournis,Fabrice Murgia le saisit, l’attrape, le pousse à accepter l’intolérable vérité, la femme artiste a dû se battre, s’immoler pour imposer son droit à la créativité. Étourdi, secoué, exsangue, il se laisse submerger par cette folle et bouleversante farandole. Spectacle à l’onirisme poignant, troublant, Sylvia est un manifeste coup de poing à voir de toute urgence, une ode aux auteures, aux poétesses, aux artistes femmes. Un acte féministe, indispensable, essentiel à voir au théâtre Jean Vilar de Vitre-Sur-Seine dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin !

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Bruxelles


Sylvia_Mrugia_TNWB_© Scarlet Tummers_@loeildoliv

Sylvia de Fabrice Murgia
Théâtre national de Wallonie-Bruxelles
111-115, Boulevard Emile Jacqmain,
1000 Bruxelles, Belgique
jusqu’au 12 octobre 2018
Durée 1h45

En tournée

Théâtre Jean Vilar – Vitry sur Seine dans le cadre Les théâtrales Charles Dullin
1 Place Jean Vilar
94400 Vitry-sur-Seine
les 6 et 7 décembre 2018 à 20h

mise en scène de Fabrice Murgia assisté de Justine Lequette & Shana Lellouch
Musique An Pierlé Quartet (voix et piano : An Pierlé ; clarinette basse, sax, guitare et percussions : Koen Gisen ; clavier et ordinateurs: Hendrik Lasure & percussions : Casper Van de Velde)
AvecValérie Bauchau, Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers
Direction photographie : Juliette Van Dormael
Assistant caméra : Takeiki Flon
Assistant en tournée : Maxime Glaude
Création vidéo et lumière et direction technique Artara : Giacinto Caponio
Assistant creation vidéo et gestion technique vidéo : Dimitri Petrovic
Costumes de Marie-Hélène Balau
Scénographie de Rudy Sabounghi assisté de Julien Soulier
Décoratrice : Aurélie Borremans assistée de Valérie Perin
Construction décor et costumes : Ateliers du Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Régie générale : Hugues Girard
Régie lumière : Emily Brassier
Régie son : Bob Hermans
Régie plateau : Lucas Hamblenne, Joachim Hesse, Aurélie Perret
Caméra : Juliette Van Dormael / en tournée Aurelie Leporcq
Création Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Crédit photos © hubert Amiel & © Scarlet Tummers

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