Pommerat royal au Porte-Saint-Martin

Au Porte Saint-Martin, Joël Pommerat revisite brillamment la Révolution.

Dans quelques jours, il sera trop tard. Ça ira (1) Fin de Louis tire sa révérence au théâtre de la Porte Saint-Martin, le 28 juillet 2019. Pour clôturer ses trois mois d’exploitation, Joël Pommerat a accepté de plonger dans ses souvenirs et de revenir sur cette création-monstre saluée par le public et la critique. Grand entretien. 

Comment le théâtre est-il entré dans votre vie ? 

Joël Pommerat : C’est venu d’un désir d’adolescent, celui d’être comédien. Dès que j’ai pu, j’ai commencé à travailler avec de jeunes compagnies. C’était passionnant. Puis, avec un petit cercle d’amis, nous avons commencé à monter nos propres projets. Après cinq ans, j’ai été envahi par une frustration, un manque. Pour pallier ce sentiment presque mélancolique, je me suis recentré sur l’écriture, enfin quelque chose qui s’en rapproche. Il n’y avait pas de finalité, c’était nécessaire. J’avais besoin de prendre le temps, de lire, de m’épancher, de livrer mes idées, mes pensées sur le papier. Cette période entre deux a duré un peu plus de quatre ans. Sans m’en rendre compte, j’avais deux pièces en main. Sur un coup de tête, j’ai décidé de les monter. A partir de là, je n’ai plus arrêté. Je n’ai pas fait de grandes études. Et à mon époque, il n’y avait pas toutes ces écoles pour auteurs, pour metteurs en scène. J’ai donc eu un parcours assez solitaire, ce qui a, à terme, forgeait chez moi une forme d’autonomie, d’indépendance. 

Vous vous définissez comme un écrivain de spectacles. Qu’est-ce que cela signifie ? 

Joël Pommerat : Étant autodidacte, au fil de ma carrière, dans mes projets, je me suis rendu compte que j’avais du mal à dissocier spectacle et théâtre. Je ne peux imaginer dans la forme de pensée que j’ai finie par adopter pour créer, qu’une pièce de théâtre se suffise à elle-même. Je suis plutôt dans une projection d’un objet total nommé spectacle. Ce qui me plait finalement dans tout cela, ce n’est pas forcément l’écriture théâtrale, mais un endroit où le texte n’est pas forcément central. 

N’aimeriez-vous pas mettre en scène une pièce écrite par quelqu’un d’autre ? 

Joël Pommerat : Je ne me sens pas du tout metteur en scène. Je ne serais ni légitime ni suffisamment passionné pour m’attaquer au texte d’un autre. Tout comme je ne me considère pas comme un écrivain au sens littéraire du terme. Mon angle de travail, c’est la question théâtrale, pas ses composantes. Je vois un ensemble que je ne saurais pas parceller. Mon point d’appui, ma référence, c’est le cinéma. L’auteur réalisateur est en charge d’un langage complexe qui mêle scénario et images. 

Comment est née l’idée de raconter l’histoire de la France à travers la Révolution française ?

a-ira_Pommerat_©Elizabeth-Carecchio-09-06Re341_@loeildoliv

Joël Pommerat : Mon point de départ était un travail d’écriture à partir d’archives historiques. J’avais cette envie d’étudier notre présent sous une forme archéologique en allant puiser dans l’histoire, dans la manière d’où il s’est construit à travers le temps. Je voulais creuser notre passé, aller à la recherche de là où nous Français nous venions. A la base, je voulais revisiter l’histoire du XXe siècle, la façon dont nos idéologies d’aujourd’hui ont éclos. Imperceptiblement, le sujet a glissé, s’est déporté. Je suis tombé sur des récit de la Révolution française. J’étais frappé par leur écho avec l’actualité. C’est là que j’ai compris que la situation actuelle de la France prenait sa source dans cette époque, ce moment de bascule de l’ancien régime vers le monde moderne. 

Il y a donc une résonance très forte avec l’actualité ? 

 Joël Pommerat  : Je pense qu’il y a eu plein de situations historiques, et pas seulement en France, qui pourraient coller aux gilets jaunes, comme à mai 68. Il y a des périodes de tensions, quasi insurrectionnelles fort régulièrement que ce soit avant ou depuis la Révolution. Il ne faut pas oublier la Commune par exemple. Régulièrement tous les régimes politiques, quels qu’ils soient, sont confrontés à des questionnements, qui entraînent des bouleversements politiques. Dans notre pays, le calme, je pense, n’était qu’apparent depuis mai 68. Il y avait un équilibre dû à une forme de paix sociale que je qualifierais de relative. 

En abolissant le quatrième mur, vous invitez les spectateurs à (re)vivre l’histoire. Comment cela vous il est venu ? 

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 Joël Pommerat  : J’analyse cela comme le résultat de ma recherche théâtrale. J’avais cette intuition qu’il fallait placer le spectateur en position d’être au présent, de reproduire le caractère imprévisible et non programmé des événements. C’est un pur effet de théâtre, de mise en scène. Quand c’est réussi, cela produit chez le public, le sentiment que ce qui se passe sous ses yeux est palpable, avec l’incertitude du moment d’après. Finalement, le théâtre permet de produire ce rapport au temps. D’un point de vue de la perception des gens, cela chamboule totalement leur rapport à la réalité, à la fiction. Le temps est ainsi vivant. 

Comment travaillez – vous ? 

Joël Pommerat  : rien n’est figé, rien n’est immuable. Tout est modulable, modifiable. Je fonctionne beaucoup avec un système d’aller-retour entre la table et le plateau. Tout commence par de l’improvisation, un travail préalable à toute écriture. En tout cas pour moi. J’ai besoin de sentir la manière dont les comédiens évoluent sur scène, comment ils interagissent entre eux. C’est la source même de mon inspiration, ce qui provoque mon écriture. C’est comme un processus de page blanche pour un écrivain, par où je vais commencer, qu’est-ce que je veux raconter Je donne bien évidemment un fil narratif, une hypothèse, après je leur laisse le champs-libre. En l’occurrence, ici la Révolution. 

Au vue du titre, y aura-t-il une suite ?  

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Joël Pommerat  : en effet, il y avait l’hypothèse depuis le départ d’un épisode 2. Plus précisément quand on a commencé à entrer dans le vif du sujet, on s’est rendu compte que le projet initial, qui consistait à aller jusqu’à la chute de Robespierre, n’était pas tenable en un temps raisonnable. Et puis pour être totalement honnête, je n’avais pas le temps. Déjà pour faire 4 heures je trouvais que 6 mois de répétitions ce n’était pas assez. Alors pour plus, ce n’était, à mon sens, pas possible. Je m’étais donc dit que nous pourrions envisager de poursuivre le récit plus tard. Et puis le temps faisant, ce n’était plus d’actualité. J’avais d’autres idées en tête. J’avais je crois besoin de m’oxygéner l’esprit en abordant d’autres thématiques. Je ne voulais pas non plus faire une suite pour une suite. Ça n’aurait pas de sens, d’autant que je suis assez lent à l’écriture. J’aime prendre mon temps, répéter, travailler au plateau. Je déteste être bousculé, travaillé dans l’urgence. Alors j’avoue j’essaie de rallonger les prémices, ce temps précieux où tout est encore possible. 

Le spectacle est plutôt prévu pour une salle en hémicycle, mais st Martin est un théâtre à l’italienne. Comment s’est passé l’adaptation ?

Joël Pommerat: On a déjà joué dans un théâtre à l’italienne, c’était à Amsterdam. Il a fallu quelques jours pour explorer cette nouvelle configuration. Mais ce qui est passionnant, c’est que cela produit des choses différentes, que je trouve excitantes, fort intéressantes. Bien évidemment, l’immersion dans l’histoire n’est pas la même. Mais je crois qu’elle fonctionne bien, qu’elle permet à ceux qui sont à l’orchestre d’être au cœur de l’hémicycle, à ceux qui sont au balcon d’être dans la position des tricoteuses, qui pendant la révolution suivaient les débats. 

Avez- vous d’autres projets ?  

Joël Pommerat: ce printemps, nous avons commencé les répétitions de l’Inondation, basée sur l’histoire tragique d’un couple pour l’Opéra-comique. C’est une vraie création pour laquelle j’ai suivi un processus qui est particulier à l’opéra , en collaboration étroite avec le compositeur. On a organisé des périodes de recherche, c’est comparable à ce que je fais d’habitude, avec ici des chanteurs et un travail d’écriture où la musique et le texte se cherchent avec aussi de la musique improvisée, une violoncelliste était là, pour nous aider. Petit à petit, nous avons construit la pièce. Il a fallu pas mal de séances de travail pour que tout se mette en place. Ainsi, J’ai pu réfléchir au travail de la mise en scène en écoutant un support concret de musique. En parallèle, depuis le mois d’avril, je travaille sur une création avec ma compagnie et là on est dans un processus théâtral traditionnel. La première aura lieu à La coursive à La Rochelle en novembre.

Marie Gicquel & Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Ça ira (1) Fin de Louis, une création théâtrale de Joël Pommerat
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin 
75010 Paris
Jusqu’au 28 juillet 2019
durée 4h30 entractes compris

conception et mise en scène de Joël Pommerat
scénographie et lumières de Eric Soyer
costumes et recherches visuelles Isabelle Deffin
son François Leymarie
avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Eric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir

Crédit portrait Cici Olsson / Crédit photos Elisabeth Carrechio

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