Le couple bergmanien revisité par le Balagan’retrouvé

Au festival de Villerville en Normandie, après avoir présenté déjà deux autres spectacles lors des précédentes éditions, la compagnie Balagan’retrouvé revient avec sa dernière création, une variation douce-amère de scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Disséquant la déliquescence programmée du couple parfait, le duo Gina Calinoiu et Lionel Gonzàlez fait des étincelles acides autant qu’ardentes.  Johan et Marianne forment le couple idéal par excellence. Ils sont beaux. La vie leur appartient. L’amour les unit. Fiers de ce qu’ils sont, de l’image qu’ils renvoient, ils se sont décidés à partager leur expérience sur scène pour le bien commun. Derrière le

Au festival de Villerville en Normandie, après avoir présenté déjà deux autres spectacles lors des précédentes éditions, la compagnie Balagan’retrouvé revient avec sa dernière création, une variation douce-amère de scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Disséquant la déliquescence programmée du couple parfait, le duo Gina Calinoiu et Lionel Gonzàlez fait des étincelles acides autant qu’ardentes. 

Johan et Marianne forment le couple idéal par excellence. Ils sont beaux. La vie leur appartient. L’amour les unit. Fiers de ce qu’ils sont, de l’image qu’ils renvoient, ils se sont décidés à partager leur expérience sur scène pour le bien commun. Derrière le vernis, très vite, des craquelures apparaissent. Elles sont imperceptibles. Des gestes, des attitudes, qui trahissent déjà la lassitude, la fin annoncée d’une histoire trop idyllique, trop parfaite. Lui est arrogant, prétentieux, bouffi de certitudes. Il monopolise la parole. Elle est plus en retrait. Sa voix est fluette, presque inaudible. Leurs mains se croisent, se touchent, s’écartent. Leurs corps semblent attirés l’un vers l’autre, puis un tressaillement à peine visible, ils s’éloignent. 

A trop vouloir être un modèle, ressembler à une sorte de Ken et Barbie vivants, ils en deviennent suffisants, en oublient leurs désirs, leur véritable personnalité. Mais la réalité les rattrape. Le démon de midi ronge Johan. Le corps d’une jeune étudiante à l’appétit sexuel insatiable, réveille son corps endormi. Il quitte tout, femme et enfants sans un regard en arrière. Loin d’être contrit, il prend un malin plaisir à blesser la trop parfaite Marianne, devenue frigide, insensible par asthénie. 

Enfermée dans son monde tout rose, tout beau, son réveil est lent, difficile. Trop longtemps écrasée par un mari pervers et narcissique, elle a bien du mal à se libérer de ses invisibles chaînes. Tout vient à point. Quand enfin, elle accepte la rupture, elle s’émancipe et hurle « se foutre » de tous les petits malheurs qui pourrissent la vie de son ex-compagnon. L’instant est jubilatoire.

Avec beaucoup de délicatesse, suite à un travail de longue haleine et une première tournée l’an passé, qui s’était arrêté notamment au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, le duo Gina Calinoiu et Lionel Gonzàlez s’empare avec délectation de la série en six épisodes d’Ingmar Bergman, Scènes de la vie conjugale, qui s’inspire de la propre vie du réalisateur et de sa compagne Liv Ullman. Si le film creuse avec une acuité sidérante la déliquescence d’un couple qui s’est construit sur un idéal factice de vie, la pièce du Balagan’retrouvé s’attache à présenter dans un décor minimaliste – une table, quelques chaises de bois, deux réalités, celle d’un homme sûr, de lui de son charisme, de sa supériorité, presque jusqu’à la caricature ; celle d’une femme, véritable gravure de mode, qui dans son couple n’a pas appris à penser, seulement à suivre. Les deux vont fracasser leur existence contre un mur, ce qui sera terrible, douloureux pour l’un, bénéfique voire salvateur pour l’autre. 

Bien sûr, la trajectoire de ce couple n’a rien de singulier, mais le jeu particulièrement ciselé des comédiens, Gina Calinoiu, tremblante à souhaite, incandescente, et Lionel Gonzàlez, cynique, sulfureux, plonge le spectateur dans l’intime, au plus près de leur entente, de leur discordance, de leur attraction dévastatrice. La salle du Garage à Villerville se prête particulièrement à ce règlement de compte conjugal. Soulignant les sentiments, les émotions, la musique joué live par Thibault Pierrard, complice régulier de Jeanne Candel, donne à l’ensemble une densité poétique qui fascine et captive. 

Malgré de petites longueurs, ces Analphabètes des sentiments, ces bobos de l’amour touchent les spectateurs, réveillent certaines vieilles blessures, et interrogent sur ses propres histoires d’amour, de couple.

Olivier Fregaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Villerville


Les analphabètes librement inspiré de Scènes de vie conjugale d’Ingmar Bergman
Spectacle du balagan’retrouvé
Un Festival à Villerville
Garage 
10 Rue du Général Leclerc
14113 Villerville
Jusqu’au 1er septembre 2019 à 18h30
Durée 3h00

Tournée les 17 et 18 mars 2020 au Théâtre d’Arles
Les 24 et 25 mars 2020 au théâtre de l’Onde à Velizy

Direction Gina Calinoiu et Lionel Gonzàlez
Avec Gina Calinoiu, Lionel Gonzàlez et Thibault Perriard
Collaboration artistique de Marion Bois
Lumières de Fabrice Ollivier
Costumes d’Elisabeth Cerqueira

Crédit photos © Victor Tonelli

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