La morale ou l’art de la rhétorique au Lucernaire

Au lucernaire, Hervé Dubourjal s'empare d'un conte philosophique de Diderot.

Face à face, une femme et un homme évoquent la passion, l’amour, la fidélité. Chacun à l’once de son sexe théorise, discourt, s’empare de la rumeur, lui tord le cou ou l’alimente. Adaptant le conte philosophique de Diderot, Hervé Dubourjal donne avec feu la réplique à une Caroline Silhol, flamboyante. 

Le charmant mais volage Chevalier Desroches s’entiche de la trop jolie Madame de la Carlière. Veuve depuis peu et fort riche, la belle, bien que fort éprise, se défie d’un si prompt amour. Seule la promesse solennelle de lui être à jamais fidèle, faite la veille de leur mariage devant leurs familles et amis, finit par faire tomber ses réticences. Comme si elle entrait en religion, elle se lie matrimonialement avec le ténébreux nobliau. 

L’union est heureuse. Une enfant, parée de toutes les grâces en est le fruit. Mais, le doute s’instille. Une lettre égarée, ne laissant nul doute sur l’infidélité de son conjoint, va mettre le feu aux poudres. La guerre est déclarée. Le contrat est rompu. Errante comme une âme en peine, Madame de la Carlière se retire du monde et attend la mort entraînant dans cette funeste réclusion sa fille. 

Excessive, folle, pour les uns, victime expiatoire de l’inconstante des hommes pour les autres, l’épouse bafouée s’instille dans les conversations, devient le sujet privilégié des ragots mais aussi l’objet de rhétorique. Philosophant sur la vie, les aléas du quotidien, Diderot (impeccable Hervé Dubourjal) et sa fort aimable compagne (lumineuse Caroline Silhol) s’interrogent sur ce qu’est l’union véritable entre deux êtres, la condition de la femme, les errances de l’homme et jusqu’où peut amener un amour immodéré, une folle passion. 

Avec peu d’effets, Hervé Dubourjal s’empare de ce conte philosophique qui questionne la rumeur, ainsi que le déballage de l’intime à la vue de tous. Il lui donne une belle densité. Le spectacle est de belle facture. Le dialogue à bâtons rompus signé Diderot est de haute volée. L’interprétation tout en délicatesse. 

Rien de révolutionnaire bien sûr, mais la présence scénique des deux comédiens suffit à charmer. C’est déjà la promesse d’une soirée fort sympathique. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Madame de la Carlière d’après l’œuvre de Diderot
Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Jusqu’au 3 novembre 2019
Durée 1h05 environ

adaptation et mise en scène d’Hervé Dubourjal 
avec Caroline Silhol et Hervé Dubourjal 
décor de Verani père et fille
lumières d’Yves Angelo
bande-son de Jean-Christophe Denis 

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