Hassane Kassi Kouyaté, un homme de terroir à la tête des Francophonies

Installé depuis quelques mois avec sa famille à Limoges pour être au plus près du festival qu’il dirige depuis janvier dernier, Hassane Kassi Kouyaté s’investit corps et âme afin de donner une couleur, une force aux francophonies en Limousin, rebaptisée pour l’occasion Zébrures. Dans les pas de ses prédécesseurs, il parie sur l’avenir et implante cet événement dans le temps, l’espace. Rencontre.  D’où vous vient cette passion pour l’art vivant ?  Hassane Kassi Kouyaté : Je suis né au Burkina Faso dans une famille de griots. En Afrique de l’Ouest, le griot est un personnage central de la vie des

Installé depuis quelques mois avec sa famille à Limoges pour être au plus près du festival qu’il dirige depuis janvier dernier, Hassane Kassi Kouyaté s’investit corps et âme afin de donner une couleur, une force aux francophonies en Limousin, rebaptisée pour l’occasion Zébrures. Dans les pas de ses prédécesseurs, il parie sur l’avenir et implante cet événement dans le temps, l’espace. Rencontre. 

D’où vous vient cette passion pour l’art vivant ? 

Hassane Kassi Kouyaté : Je suis né au Burkina Faso dans une famille de griots. En Afrique de l’Ouest, le griot est un personnage central de la vie des villages. Il est à la fois historien, organisateur et animateur des cérémonies traditionnelles. Il est médiateur dans la société. Pour assurer ces fonctions, il est doit être musicien, comédien et conteur. J’ai grandi donc dans ce milieu où l’art est une véritable philosophie de vie, que mes parents ont transformé en profession. Mon père, fonctionnaire de l’état français, était comédien, compositeur et metteur en scène. Très tôt, j’ai fait partie de ses spectacles. J’ai été nourri de cette culture toute mon enfance. Tout cela est en moi, c’est quasiment inné. Dans notre famille, on travaillait la journée et on vivait après. Du coup, je n’envisageais pas l’art comme un métier. En 1982, à 19 ans, je suis venu vivre en France pour faire des études de commerce à Paris. Je les finançais en participant à des spectacles. Rapidement, j’ai compris que j’étais plus fait pour l’art que pour le marketing. J’ai tout abandonné pour devenir conteur. C’est vraiment ce qui me faisait vibrer. Toutefois mes études m’ont appris à gérer, organiser, financer des projets, j’avais les armes pour concevoir des évènements. J’ai donc créé avec mes frères et des amis, un premier centre culturel privé à Bobo-Dioulasso, deuxième ville Du Burkina Faso. En parallèle, je continuais à me former, à travailler. J’ai longtemps été membre de la compagnie genevoise le Théâtre spirale avec Patrick Mohr et Michele Millner. Je suis resté une bonne dizaine d’années à leurs côtés. Grâce à eux, et aux différentes créations que nous avons montées, j’ai quasiment fait le tour du monde. En tant que comédiens, j’ai travaillé avec différents metteurs en scène, notamment avec Peter Brook, Stéphanie Loïk et même Sotigui Kouyaté, mon père. En 1998, j’ai eu envie de voler de mes propres ailes. J’ai donc créé ma compagnie, pour pouvoir monter mes propres projets. En tout, j’ai fait plus d’une quarantaine de mises en scène. Partenaire du Tarmac, de la Comédie de Saint-Etienne, du théâtre de Vidy à Lausanne, artiste associé du Lavoir moderne parisien entre autres, j’ai pas mal travaillé à l’international. Je suis fort de toutes ces expériences. Elles m’ont construit et ont alimenté toutes ces années durant, cette passion pour le théâtre, le spectacle vivant.

Comment arrive-t-on à la tête d’un festival comme les Francophonies en Limousin ? 

Hassane Kassi KouyatéJustement. Riche, de toute cette diversité, de toutes ces rencontres. Mes créations ayant beaucoup tourné, tout particulièrement dans les pays francophones, ayant donné pas mal de stages à travers le monde, c’est un sujet que je connais bien, un milieu que j’ai beaucoup côtoyé. Par ailleurs, je connais Limoges depuis 1986. J’étais venu en tant que spectateur. J’accompagnais mon père qui avait été invité par la directrice de l’époque, Monique Blin. J’ai été fasciné Étonnement, c’est le premier endroit où j’ai rencontré des Congolais. Comme si venir en France du Burkina Faso pour être confronté à d’autres cultures était plus simple que d’aller à Brazzaville. C’est aussi aux Francophonies que j’ai découvert le travail de Robert Lepage. J’ai pris de vraies claques en allant vers l’autre, en faisant le pas vers des univers qui peuvent paraître très différents mais qui ne sont finalement pas si éloignés. On a le même langage, celui de dire le monde par les mots, par le corps. Les points de vue sont variés, mais le moyen de s’exprimer similaire. On passe par les mêmes canaux, le même médium.

En tant que directeur du festival que voulez dire ou mettre en avant ? 

Hassane Kassi Kouyatétout d’abord, je crois que ce qui a été déterminant dans toute ma carrière, c’est le moment où j’ai décidé de vivre de mon art. c’est le fondement de tout ce qui en a découlé depuis. De cette détermination, de ce choix, dépend ce que je vais insuffler aux Francophonies. Tout d’abord, c’est un lieu de rencontre, un lieu d’ouverture réelle sur le monde. L’endroit où l’on peut côtoyer la différence qui nous éclaire, qui nous enrichit. Tout cela dans un esprit de fête, de convivialité avec la sensation d’appartenir à une même communauté. C’est tout cela que je souhaite retrouver, (re)mettre en place. 

Y-a-t-il des  grands axes dans votre programme pour les années à venir ? 

Hassane Kassi Kouyatéje dirais que le premier axe est autour de ce que l’on appelle l’émergence au sens large. Mais pour que cela fonctionne, il faut qu’il y ait des graines à semer. Limoges est le lieu idéal. Il l’a toujours été. Il faut que cela continue. En cela, je n’invente rien, je surligne un peu plus ce qu’ont fait mes prédécesseurs. Je reprends juste les éléments fondateurs du festival, ceux voulus par Pierre Debauche et Monique Blin. Dans les faits, en 36 ans rien n’a vraiment changé. L’idéal serait qu’on n’ait plus à parler de francophonies, de « ghettos », terme que je n’aime pas. Il est encore utile de donner de la place à des formes de propositions différentes. Il est important de mettre en place une politique volontariste là-dessus. Je m’explique. Quand on a eu envie de donner un coup de pouce à la danse contemporaine, on a créé les CCN. Qu’a-t-on fait pour les créateurs francophones, pour leur offrir une place dans le paysage culturel ? Peu de chose en fait. La réalité est très loin. Les Francophonies ont donc leur utilité. Et je souhaite donc que ce soit un lieu de création, de découverte de ces écritures artistiques et théâtrales. Car ce festival, c’est aussi la musique, la danse, le cinéma. Un autre axe, c’est que je souhaite que les gens venant du monde entier puissent échanger, se rencontrer de manière totalement informelle, dépasser le réseau habituel, s’ouvrir vraiment sur la diversité des cultures, des métiers. J’aimerais que Limoges soit un lieu de recherche artistique, un endroit où on invente demain. Le troisième axe, c’est la division du festival en deux évènements, les Zébrures du printemps, dédiées aux écritures, aux lectures, aux auteurs, et celles d’automne, dédiées aux spectacles, aux jeux. D’un côté, il sera possible d’entendre le texte, d’en voir tout le potentiel, de l’autre de le voir relu par un metteur en scène. C’est notamment le cas cette année, avec Jours tranquilles à Jérusalem, qu’on a pu entendre en 2018 et dont l’adaptation sera présentée dans quelques jours. Enfin dernier axe, la notion de lieu. Cette année on investit l’ancienne Caserne Marceau, tout y sera réuni, tout y sera possible, même y faire la fête. C’est primordial pour moi. Je tiens à ce que cela perdure, quitte à construire un autre lieu dans les années à venir. Par ailleurs, nous mettons en place des partenariats toute l’année avec les autres structures culturelles de la ville, que ce soit l’éducation nationale, les associations, l’université, le théâtre de l’union, l’opéra, ainsi qu’avec la maison Maria Casarès, située en Charente, à quelques encablures de Limoges. L’objectif est de tisser des liens, mettre en place une dynamique forte autour de la création artistique. Je veux d’ici trois ans faire de Limoges, le centre des Francophonies. 

Comment sélectionnez-vous les spectacles ? 

Hassane Kassi KouyatéJe dirais tout simplement par l’originalité. C’est-à-dire il faut que le projet soit un plus dans l’univers de la création, que ce soit l’objet, le contenu ou les acteurs, qu’ils soient artistiques, techniques ou opératiques. Pour cela nous mettons en place des partenariats avec des structures hors France, que ce soit en Afrique, en Inde, au Québec, au Moyen-Orient. On élargit ainsi la francophonie qui ne se limite pas aux pays issus de la décolonisation, aux membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), mais à tous les artistes créant en Français, en s’enrichissant d’une autre culture, d’une autre langue. Il y aura donc de nombreux critères. Je ne veux rien de limitatif. D’ailleurs, j’ai souhaité que chaque Zébrures d’automne soit ouverte par un spectacle participatif où les associations locales ont une part à jouer, afin d’implanter plus encore le festival dans son territoire. Par ailleurs, nous clôturerons chaque année par une nuit francophone, c’est à dire des performances, des attractions, des propositions artistiques et culturelles, qui se feront dans les lieux les plus divers de la ville de 18h à 6h du matin.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Les Francophonies – Zébrures d’automne
87000 Limoges
Jusqu’au 5 octobre 2019

Crédit portrait © Christophe Pean / crédit photos © Christophe Pean / © Alain Richard / © Sonia Yassa

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