Féminicide, l’autre facette de Barbe Bleue

Lisa Guez réinvente le mythe de Barbe Bleue au JTN.

Dans le cadre de la onzième édition du Festival Impatience, manifestation théâtrale qui met à l’honneur les créations de jeunes compagnies émergentes, Lisa Guez propose une revisite ingénieuse du mythe de Barbe bleue. Inscrivant son récit choral au coeur vibrant de l’actualité, la metteuse en scène libère la parole féminine. Une fable noire, humaine, drôle, où sensualité et désir flirtent avec le soufre, la mort !

Tout habillée de rouge, une jeune femme attend, assise sur une chaise collée au gradin. D’un bond, elle se lève, prend possession de la scène. Blonde, primesautière, gourmande, elle déborde de vie. Tout lui sourit. Un mari aimant, immensément riche, une maison gigantesque avec piscine, le bonheur, quoi ! Après avoir arrêté ses études sous le regard réprobateur de sa famille,  elle jubile à l’idée d’inviter ses proches dans ce lieu idyllique. Elle va leur montrer à tous qu’elle n’est pas une ratée, mais une gagnante. 

il y a bien a truc qui la taraude, qui brouille son regard, une ombre qui gâche un peu son plaisir. Elle n’est pas tout a fait tranquille. Une petite clé étrange, laissée par son mari, parti en voyage d’affaires, titille sa curiosité. Elle ouvre la porte de l’entresol, un lieu secret où la jeune femme a défense d’entrer. Va-t-elle céder à ses pulsions et franchir l’interdit, ou les ignorer et respecter la volonté de son époux ? La tentation est trop grande, l’intérêt trop fort. Elle veut tout savoir de l’homme qu’elle a épousé. 

Bien mal, lui en a pris. Une farandole de corps de femmes, abimés, démembrés, se révèle dans la pénombre de la mystérieuse pièce. Bal des mortes, danse macabre, les quatre victimes, du moins leurs fantômes, prennent l’une après l’autre la parole, racontent leur fatale et macabre histoire. Construit comme un groupe de soutien, façon « alcooliques anonymes », la pièce prend un autre tournant. Chacune encourage l’autre à changer sa funeste destinée, à lutter contre ce démon de mari qui les a asservies, puis assassinées. 

Sensuelles, sexuées, provocantes, elles sont loin d’être des prudes, des oies blanches. Elles aiment à la folie, rêvent de sensations fortes, de se frotter au démon, au malin. Fortes, humaines, elles ne s’en laissent pas conter pour autant. Pourtant  le charme vénéneux de l’homme à la Barbe bleue les subjugue, les paralyse. Face à lui, elles perdent toute combativité, excusent ses bizarreries, son irascibilité. 

A l’heure, où les violences faites aux femmes explosent, les récits croisés, écrits à douze mains – les cinq comédiennes et la metteuse  en scène- , font terriblement écho à l’actualité. Construisant un personnage en patchwork, riche de leurs sensibilités, de leurs expériences, de leurs désirs, elles donnent un autre visage à la réalité, loin de tout manichéisme. L’homme n’est pas le barbare qu’on aimerait qu’il soit. Il est dilettante, agressif, prédateur ou passif. La femme n’est pas la victime sacrificielle. Elle est vibrante, instinctive,, libidinale. Décomplexant le regard d’une société encore trop patriarcal, Valentine Bellone, Valentine Krasnochok, Anne Knosp, Nelly Latour, Jordane Soudre et Lisa Guez explorent  avec humour, fureur, intelligence, la féminité, le féminisme, le caprice, la gourmandise, la vanité, la passion, l’obsession, l’envie.

Rien n’est tout noir ou tout blanc. Le drame a eu lieu, mais des alternatives sont envisagées. L’entraide, la sonorité, l’écoute, sont de puissants remèdes, des moyens de lutter contre l’inéluctable, le sexisme. Parfois le trait est plus grossier, le jeu plus fragile, mais en meneuse de jeu, en initiatrice du projet,  Lisa Guez fait des merveilles et signe un spectacle brûlant. Poussant ses comédiennes, excellentes, à l’orée de leur pulsion charnelle, elle invite à une plongée apnéique dans le psyché féminin. Un moment de théâtre férocement drôle, cruellement lucide, intelligible ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Les femmes de Barbe-Bleue de Juste avant la compagnie
Création au Lavoir Moderne Parisien en novembre 2019
Pièce présentée au JTN en décembre 2019 dans le cadre du festival Impatience
Durée 1h30 

Mise en scène de Lisa Guez 
Dramaturgie de Valentine Krasnochok
avec Valentine Bellone, Valentine Krasnochok, Anne Knosp, Nelly Latour et Jordane Soudre

Crédit photos © Morgane Moal

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