Audrey Fleurot, l’iconoclaste flamboyante

Aux Célestins avant la Scala Paris, Audrey Fleurot monte sur les planches dans BUG, dirigée par Emmanuel Daumas.

Chevelure de feu, visage mutin, voix grave, envoûtante, Audrey Fleurot est une artiste fascinante qui a l’art de passer de la comédie à la tragédie avec une facilité, une aisance confondante. Loin de l’image de papier glacé, la comédienne se livre le temps d’un déjeuner, vibrante, terriblement humaine. Une belle rencontre !

Combinaison en jean, à peine maquillée, Audrey Fleurot sort de répétition. Elle a une heure pour déjeuner, se détendre avant de retrouver l’équipe de Bug, la pièce de Tracy Letts, mise en scène par son ami de longue date, Emmanuel Daumas et avec qui elle partage l’affiche. Ce que l’on remarque en premier, c’est un naturel, une présence. Tout sonne juste. Rien n’est forcé ni le vouvoiement, ni la poignée de main franche, ni la spontanéité des premiers mots échangés. La table est mise, les plats commandés, il ne reste qu’à s’immerger dans son passé, son histoire, sa vocation de comédienne, ses projets.

Un coup de foudre au Français

Sa passion pour le théâtre, n’a rien de banal – elle l’a déjà racontée maintes fois – mais elle est mâtinée de féérie. « Dans les années 80, à l’époque où cela existait encore, raconte-t-elle non sans malice, Mon père était pompier de service à la Comédie Française. Un soir, j’avais huit ans, m’a mère lui demande pourquoi n’amènerait-il pas la gamine, moi en l’occurrence. J’ai ainsi découvert le théâtre depuis les coulisses, assise sur le strapontin assigné au réserviste. Sur scène les comédiens jouaient un Goldoni, dans mes souvenirs. C’était assez magique. Il y a eu une évidence. J’ai su immédiatement que c’était cela que je voulais faire, être sur les planches. » Dans la foulée, ses parents l’inscrivent à des cours d’art dramatique. L’objectif est ancré dans sa tête, faire une école nationale. Volontaire, elle suit un itinéraire sans accro, linéaire. Bac + 2 en poche, la jeune femme quitte Paris, le cocon familial, tente et réussit le concours de la Rue Blanche, qui vient d’être délocalisé à Lyon. « La chance que j’ai eu, explique-t-elle, c’est de savoir très tôt ce que je voulais faire. J’ai donc mis toutes les chances de mon côté. Il me reste encore un rêve, on peut même dire un fantasme, qui sait, tout n’est pas perdu– sourire lumineux -, rentrer au Français. »

Le théâtre avant tout

Pendant les 3 ans passés dans la cité des Gaules, Audrey Fleurot pense, vit théâtre. « La diversité des rôles qu’on peut y jouer, souligne-t-elle, est mon moteur. J’y puise mon énergie. Passer d’une tragédie classique à un Molière ou à une création d’un texte contemporain, c’est un vrai bonheur. Là, par exemple, je suis très excitée par le fait qu’avec Emmanuel on s’attaque à Bug, qui n’a jamais été monté en France. On ne s’inscrit pas dans une énième mise en scène il y a tout à inventer. C’est passionnant. » Aussi à l’aise dans JO, comédie de boulevard d’après le film avec Louis de Funès, présenté en début de saison au théâtre du Gymnase-Marie Bell, que dans Le Tartuffe, mis en scène par Luc Bondy, la flamboyante comédienne avoue qu’elle aimerait jouer Racine et ainsi pouvoir enfin dire des Alexandrins.

De la scène à la caméra

Après des débuts au théâtre, Audrey Fleurot fait son apparition sur le petit écran et s’invite dans le foyer des Français. De Kaamelott où elle joue la Dame du Lac, à Engrenages où elle joue les avocates aux dents longues, en passant par Village français où elle incarne une belle garce, elle multiplie les styles, les genres, évite de s’enfermer dans un type de personnages. « J’ai cette chance, souligne-t-elle, de pouvoir passer dans différents univers et de passer d’un médium à l’autre. C’est une vraie liberté. N’ayant pas de plan de carrière, je n’ai jamais pensé en termes de théâtre, de cinéma ou de télévision, mais plus par rapport aux rôles que l’on m’offrait. J’ai un parcours d’artiste assez indéfinissable. Du coup, les gens me connaissent par un prisme :  une série par exemple. Ce n’est pas toujours simple de faire des ponts entre tout ça. J’essaye. J’espère notamment que ceux qui m’ont vu dans Intouchables au cinéma, ou plus récemment à la télévision dans Le Bazar de la Charité, ont eu l’envie de découvrir Jo et viendront voir Bug ». Cette diversité, cette multiplicité fait que la comédienne a des affinités avec beaucoup, mais ne fait pas, à proprement parler partie d’une famille. « Au lieu de creuser un sillon, une veine, explique-t-elle, je butine. Ça me correspond. » Naviguant entre différents mondes, Audrey Fleurot affectionne tout particulièrement les personnages qui jouent des personnes qui ont du caractère, une carapace. « Ils me semblent être plus authentiques, réfléchit-elle, avoir un rapport avec la vraie vie. On s’adapte à l’auditoire, on compose et on a tous un système de protection. J’ai toujours été attirée par ce type de rôle, car à mon sens (ils sont) plus riches, moins monochromes. »

Authenticité de jeu

Frigide dans Sous les jupes des filles d’Audrey Dana, Catcheuse dans Les Reines du ring de Jean-Marc Rudnicki, Elvire en lutte contre Tartuffe dans la mise en scène de Luc Bondy, la comédienne est en permanence là où on ne l’attend pas. « Je passe mon temps à lutter contre les stéréotypes, souligne-t-elle. Je trouve cela plus intéressant, plus enrichissant. D’autant que cette image, je ne l’ai pas construite. Ce n’est pas quelque chose qui m’appartient. C’est le monde extérieur qui vous la renvoie. Bien sûr, il y a un jeu qui plait, mettre des jupes, des talons. Mais c’est un jeu comme un autre. Ce n’est pas l’important, car ce n’est pas moi dans le quotidien. » La grande force d’Audrey Fleurot, c’est sa sincérité, sa capacité à attirer le personnage à elle, de s’en saisir, pour mieux l’incarner. « En fait, explique-t-elle, on ne travaille qu’avec soi. Ce n’est pas possible de jouer en ne donnant pas une part de ce qu’on est. Quand je travaille un rôle, je cherche à savoir ce qu’il a, qui peut faire écho en moi et que je n’ai pas l’opportunité de sortir dans la vie. C’est totalement cathartique. On met en avant une partie de soi, qui est normalement refoulée ou pas exploitée, ou au contraire qui est proche mais pas forcément perçue par les autres. Clairement, je trouve très compliqué de ne se contenter que d’une seule vie d’autant que je m’ennuie vite. J’ai la chance, par mon métier de pouvoir être multiple, plurielle. » Coutumière des lectures de scénarii, l’actrice choisit ses rôles en fonction du challenge qu’ils représentent, du défi, de ce qu’elle peut apporter à la proposition. « Quand j’ai lu Jo, s’amuse-t-elle, j’ai tout de suite vu l’espace de conneries que j’avais, l’endroit où je pouvais amener une touche personnelle, une plus-value en l’occurrence, la danse, cette exubérance, cette densité, que le personnage n’a pas forcément dans le texte original. »

Engrenages vs théâtre

Habituée des scènes conventionnées, Audrey Fleurot monte régulièrement sur les planches, avec une certaine forme d’insouciance. Le lendemain est toujours assuré. « Profondément amoureuse du théâtre, raconte-t-elle, j’avoue que je commençais dans les années 2003, 2004, à m’intéresser à la télévision et au cinéma. Mon principal problème étant que je ratais la plupart des castings, l’exercice étant loin d’être aisé, en tout cas pour moi. Mais quand j’ai vu le rôle de Joséphine Karlsson dans Engrenages, j’ai été séduite. J’ai mis toutes les armes de mon côté. Et ça a marché. On vient de tourner la huitième et ultime saison. L’aventure a été belle, et même si à l’époque, il y a eu un vrai clash avec ma famille de théâtre, qui n’a pas compris ma décision d’abandonner un temps le jeu de plateau, je ne le regrette absolument pas. Je pense que j’ai bien fait. » Apprenant de ses erreurs, s’enrichissant à chaque rôle, la comédienne trace sa route et avance. « Quand je regarde le résultat de ce que je fais, explique-t-elle, je m’aperçois que ce qui est le plus intéressant, ce n’est pas ce que je fais mais ce qui m’échappe. Il faut accepter le lâcher-prise, ne pas tout intellectualiser. En tout cas, c’est comme cela que je travaille maintenant. Beaucoup de recherche en amont, puis un temps de déconcentration jusqu’à l’action. »

BUG, histoire d’une amitié

Un jour gris, Audrey Fleurot et son meilleur ami depuis l’école de théâtre, Emmanuel Daumas, vont au cinéma. Ils découvrent le film de William Friedkin, un événement resté grave dans leur mémoire. « On était ressorti, se souvient-elle, très emballé par ce huis clos, que l’on trouvait très théâtral. On l’a revu quelques années plus tard, en se disant que, vraiment cela ferait un bon spectacle. C’est en cherchant qu’on a réalisé qu’en fait, c’était une pièce qui avait été adaptée au cinéma. On avait depuis longtemps l’envie de retravailler ensemble. Cela a été le déclencheur d’autant que ce texte de Tracy Letts n’a jamais été monté en France. » Très vite, le duo rachète les droits pour le faire traduire. L’aventure est lancée. « C’est un peu notre bébé, avec Emmanuel, s’amuse-t-elle. On tient beaucoup à ce projet qui nous réunit sur scène. C’est très joyeux, on se connaît tellement bien qu’il n‘y a pas d’inhibition, que tout roule. Ayant des références communes, ça facilite le travail. C’est vraiment agréable. » Réunion de deux solitudes, BUG raconte la rencontre d’une serveuse dans un bar miteux du fin fond de l’Oklahoma, devenue ici une danseuse de lap dance, vivant dans un motel décati, et d’un vétéran de l’armée persuadé qu’on lui a inoculé des bestioles sous la peau. Paumés, ils vont se comprendre, s’appréhender, s’enfermer dans leur monde. « C’est de l’ordre de la tragédie grecque, souligne-t-elle. On connaît la fin mais le parcours est passionnant à vivre. »

Les projets

Alors qu’Engrenages touche à sa fin, Audrey Fleurot sera d’ici le 25 mars, à l’affiche de Divorce Club, une comédie de Michael Young. En parallèle, elle vient de tourner le pilote d’une nouvelle série pour TF1. Elle y incarne une jeune femme super intelligente. « C’est une sorte d’Erin Brockovich, raconte-t-elle. Certes je ne suis pas Julia Roberts, mais j’ai tout de suite aimé ce personnage qui a concrètement un physique de pétasse, qui élève ses trois mômes toute seule dans le nord de la France, mais qui a le QI d’Einstein. Elle n’arrive pas à garder un boulot, bien évidemment, car forte tête. » Marquant petit et grand écran, par ses rôles de femmes fortes, engagées, la comédienne aime ses rôles où l’héroïne se bat. « C’est vrai, réfléchit-elle. Je n’ai que rarement joué les victimes. C’est une veine que j’aurais aussi envie de creuser. Ça peut être intéressant d’aller vers un autre endroit. »

Le repas se termine. Il fut gourmand, passionnant, drôle. Le café arrive, accompagné de sa petite mousse au chocolat, il va falloir se quitter. Celle qui rêve de faire des Mata Hari, les miladys, les femmes troubles, doit retourner en répétition. La rencontre fut belle, pleine de promesses, de connivences. L’envie de découvrir BUG a redoublé. Les rendez-vous est donné dans quelques jours.

Propos recueillis par Olivier Frégaville- Gratian d’Amore


Bug de Tracy Letts
Création au théâtre des Célestins
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Du 11 mars au 21 mars 2020
Durée 1h15

Puis du 25 mars au 5 avril 2020 à la Scala Paris

Mise en scène d’Emmanuel Daumas
avec Audrey Fleurot, Thibaut Evrard, Anne Suarez, Igor Skreblin & Emmanuel Daumas traduction de Clément Ribes
lumières de Bruno Marsol
scénographie et costumes de Katrijn Baeten, Saskia Louwaard
création musicale de Gérald Kurdian

Crédit portrait avec l’aimable autorisation de © Franck Ferville

Crédit photos © Stéphane Grangier / Simon Toupet / CANAL+, © Marc Bossaerts, © Canal + & © Olivier Marty

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