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Au paradis perdu des artistes immortels des « années sida »

Christophe Honoré rend un hommage vibrant aux Idoles de sa jeunesse.

Avec une tendresse infinie, un désir ardent, Christophe Honoré convoque au plateau les héros de son adolescence, ses Idoles qui ont fait l’homme qu’il est devenu. À leur image, irrévérencieuse, provocatrice, réservée ou extravagante, il esquisse le portrait saisissant, caustique, engagé d’une génération d’artistes emportées par le sida. Un pied de nez bouleversant à la mort.

Ils s’appelaient Koltès, Guibert, Lagarce, Demy, Collard ou Daney. Ils étaient dramaturges, cinéastes ou journalistes. Ils ont tous marqué par leur talent, leur génie, leur extravagance, leur pessimisme, leur soif de vivre les années 1980. Tous homosexuels, ils ont été décimés par le sida. C’est à ce panthéon d’artistes, dont les œuvres devenues pour la plupart mythiques, qu’a voulu rendre hommage Christophe Honoré. Alors qu’il grandit dans un petit village de Bretagne, le jeune homme réservé, avide de culture, lit, va au cinéma et découvre la danse, un soir d’automne lors d’une virée parisienne au centre Pompidou. Jours étranges de Dominique Bagouet, du moins le récit de cette représentation qui l’a tant marqué, ouvre le bal de ces anges, ces démons, de ces êtres à la vie si courte, si intense, qui, le temps d’une ritournelle, vont se conter, se confronter, s’affronter, se charmer, se séduire.

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Dans un espace singulier gris-bleu, quelque peu underground, rappelant autant les couloirs froids du métro parisien que les sous-sols très « indus » du palais de Tokyo, imaginé par Alban Ho Van, les six idoles d’Honoré errent telles des âmes en peine, en quête d’un peu de chaleur, d’un corps qui réchauffe, qui émeut. Coincés dans une sorte de purgatoire où l’espoir d’un lendemain, d’un ailleurs est vain, ces intellectuels, ces artistes, ces héros d’un temps révolu, rêvent, fantasment, oublient presque que la mort les a fauchés à leur fleur de l’âge. Vivants, ils le sont de nouveau au théâtre, ressuscités par la plume drôle, vive, caustique, tendre du cinéaste, metteur en scène et dramaturge français. Ici, rien d’hagiographique, bien au contraire, juste le désir fou de réunir en un même lieu, un même endroit, tous ceux qui lui ont servi de modèle que ce soit « pour sa vie, ses amours, ses idées », et que la destinée a sacrifié sur l’autel de la maladie, le sida.

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S’affranchissant de toute ressemblance, de toute réalité, Christophe Honoré joue avec ces figures du passé et redonne vie à leur esprit, leur pensée. Ainsi, Hervé Guibert et Jacques Demy sont campés par deux comédiennes, respectivement Marina Foïs, terriblement émouvante quand elle fait le récit, sublime autant que bouleversant, de la mort de Michel Foucault, l’un des trois amours du romancier, et Marlène Saldana, divine, burlesque dans un play-back chorégraphié et hilarant de Chanson d’un jour d’été, l’un des tubes iconiques des Demoiselles de Rochefort. Serge Daney et Jean-Luc Lagarce se réincarnent dans la peau de comédiens – Jean-Charles Clichet épatant avec sa voix de fausset et Julien Honoré étonnant de déférence narquoise – qui n’ont rien à voiravec leur modèle, mais qui dans le jeu sont tellement eux. Enfin, Harrisson Arévalo et Youssouf Abi-Ayad, cultivent leur ressemblance avec Cyril Collard et Bernard-Marie Koltès, que c’en est troublant, sensuellement déroutant.

Koltès et Collard en plein réflexion © Jean Louis Fernandez

En anthropologue, en ethnologue passionné, Christophe Honoré s’empare des années sida, les décortique pour en extraire l’essentiel, le superflu, l’extraordinaire. De la fin terrible de Rock Hudson, star hollywoodienne déchue, à l’engagement d’Elizabeth Taylor pour la lutte contre le sida, en passant par la polémique autour du réalisateur des Nuits fauves, césarisé, porté aux nues avant d’être jeté en pâture pour ses pratiques sexuelles à risques, à une vision homoérotique des dragues crues en zone de chasse, sans omettre la dureté de la maladie, la déchéance physique des corps décharnés par le virus, il donne à voir en quinze chapitres un concentré de ce que fut cette période foisonnante, riche, douloureuse.

Entre désir charnel et sensualité acerbe, entre fantasme et réalité, Les idoles de Christophe Honoré oscillent avec virtuosité entre comédie et tragédie, entre rires et larmes. Sans pathos, sans fard, sans rien cacher des petites lâchetés de chacun refusant d’être un porte-étendard tout en acceptant son statut de victime, le cinéaste des chansons d’amour, le metteur en scène de Nouveau roman, signe un grand cri d’amour à toute une génération défunte pour avoir voulu vivre. Un coup de cœur en guise de pièce épitaphe. Un spectacle nécessaire, émouvant, mortifère et hilarant. Un grand moment de théâtre, d’humanité.

Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial Rennes


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Les idoles de Christophe Honoré
Théâtre National de Bretagne
1 Rue Saint-Hélier
35040 Rennes
jusqu’au 30 novembre 2018
durée 2H25

Reprise à l’Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006
du 11 janvier au 6 février 2019

Livret et mise en scène de Christophe Honoré assisté de Teddy Bogaert et Aurélien Gschwind
Scénographie d’Alban Ho Van
Assistant dramaturgie : Timothée Picard
Lumière de Dominique Bruguière assisté de Pierre Gaillardot
Costumes de Maxime Rappaz

Avec Youssouf Abi-Ayad, Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Marina Foïs, Julien Honoré, Marlène Saldana et la participation de Teddy Bogaert et Aurélien Gschwind

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez

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